La traque des FTP-MOI de Paris par les BS ~ Fondation Gabriel Péri Skip to main content

Tout au long de l’année 1943, la police française, en coopération avec les troupes d’occupation, s’emploie à rechercher activement les FTP-MOI de la région parisienne. La traque devient le quotidien des partisans. Ils sont recherchés, filés, repérés et fichés par une police créée à cet effet, par le gouvernement de Vichy sous la responsabilité de Pierre Pucheu afin de surveiller et réprimer les activités « communistes et terroristes » : ce sont les Brigades spéciales des Renseignements généraux de la Préfecture de Police (BS1 et BS2). Leur activité débouche sur trois vagues d’arrestation au cours de l’année 1943, à l’issue de trois grandes filatures qui s’enchaînent depuis le mois de janvier jusqu’en novembre sous l’égide de la BS2. Chacune de ces filatures dure deux à trois mois.

Les forces mobilisées sont importantes soulignant une véritable asymétrie : pour 68 résistants arrêtés en novembre 1943, on compte plus de 200 policiers des Brigades spéciales. Grâce à leurs patientes filatures, les policiers notent avec minutie les lieux de rencontres et les acteurs de la résistance communiste, reconstituant les réseaux ou les groupes de partisans qui se rencontrent.

Schéma réalisé suite aux filatures de Joseph Boczor par la brigade spéciale n° 2, s.d. Nous ne savons si ce document a été réalisé par les policiers en charge de l’enquête ou s’il l’a été ultérieurement. Archives du PCF / AD 93, 261J6/22.

Puis, ils reportent méticuleusement sur des fiches centralisées ces renseignements, avec des noms de code ou pseudonymes en fonction des lieux (« Mouffetard », « Ivry », etc.) ou de caractéristiques physiques (« la rouquine », « la blonde », etc.), et tous les documents saisis lors des arrestations.

La première filature

La première filature, de janvier-février à mars 1943, conduit à l’arrestation des jeunes juifs de la MOI dirigés par Henri Krasucki, mais aussi des imprimeurs, mettant à bas pour un temps le travail de propagande ou contre-propagande des FTP-MOI. Henri Krasucki, qui militait au sein du 20e arrondissement, était devenu très vite l’un des responsables de la région parisienne. Il organise avec d’autres camarades la manifestation du 13 août 1941 durant laquelle Samuel Tyszelma et Henry Gautherot sont arrêtés, puis ensuite fusillés. Peu après, Krasucki quitte la maison familiale et s’installe avec son père à côté de la Porte des Lilas, puis il loge rue Stanislas Meunier avec sa compagne, la résistante, Paula Sliwka. Dès août 1942, Henri Krasucki (« Henri Mésenge ») participe à la direction des organisations de jeunes de la section juive de la MOI en lien avec Adam Rayski. Son père est arrêté en janvier 1943 et déporté à Birkenau où il meurt gazé à son arrivée.

C’est au cours de cette première filature des BS que les jeunes de la section juive sont repérés, logés et fichés. Dans cette opération, les policiers sont aidés par Kajla Goldfarb connue sous les pseudonymes de « Katia », « la Rouquine » ou « Lucienne » qui était protégée par l’inspecteur de la Brigade spéciale de Puteaux, Piget. Elle a contribué à l’identification de dizaines des jeunes juifs communistes qui sont arrêtés le 23 mars 1943 et les jours suivants. Au total une soixantaine de jeunes résistants tombe dont Henri Krasucki (« Bertrand »), Paulette Sliwka (« Martine »), sa compagne d’alors et sa mère Léa Krasucki. La fiche des BS décrit Henri Krasucki : « Bertrand : 22 ans, 1,70 m, mince, nez long, visage type sémite, cheveux châtain clair rejetés en arrière, retombant sur le côté. Pardessus bleu marine à martingale, pantalon noir, souliers jaunes, chaussettes grises. » Henri Krasucki, après être passé au commissariat de Puteaux, mais aussi dans les mains de la police allemande, est mis au secret dans la prison militaire allemande de Fresnes. Le 21 juin 1943, il est transféré à Drancy, où il retrouve Paulette Sliwka, mais aussi sa mère et plusieurs de ses camarades tombés en mars. Ils sont ensuite déportés à Auschwitz le 23 juin (convoi 55).

La deuxième filature

La deuxième filature, d’avril à juillet 1943, conduit à l’arrestation et au démantèlement du groupe yiddishophone et du 2e détachement des FTP-MOI. Ce groupe, qui compte plus de 60 opérations entre juillet 1942 et juillet 1943 (27 au deuxième semestre 1942, 32 au premier semestre 1943 et 1 en juillet 1943), est vivement recherché et traqué sans relâche. Sa dernière action se situe le 19 juillet 1943 à Vanves lorsqu’une équipe jette une grenade sur un camion allemand. Cette deuxième filature conduit à l’arrestation de son chef Meier List (ou Mayer List), le 2 juillet par les BS2, puis au cours du mois à plusieurs dizaines d’arrestations. Depuis la fin avril 1943, les inspecteurs de police de la BS2 avaient identifié Meier List lui attribuant le surnom de « Lunettes ». Au cours de cette opération, la police arrête 77 personnes. Meier List est trouvé en possession de faux papiers au nom « d’Oscar Maguin ». Lors de son interrogatoire, il décline sa vraie identité et se déclare « de nationalité polonaise et de race juive ». Il est fusillé au Mont-Valérien le 1er octobre 1943. Marcel Rajman est également repéré au cours de cette deuxième filature.

La troisième filature

Enfin, la troisième filature, entre le 26 juillet et le 15 novembre 1943, conduit à la chute des autres groupes et détachements des FTP-MOI de la région parisienne. Si Marcel Rajman était déjà repéré, Missak Manouchian l’est quant à lui en septembre et pris en filature lors de ses rencontres avec Boczor (chef du 4e détachement), Joseph Epstein, mais aussi avec Joseph Dawidowicz. La fiche n°18 des BS stipule que « Bourg » (Manouchian) rencontre « Ivry » (Boczor) le 24 septembre 1943 ; puis « Bourg » rencontre « Meriel » (Epstein) le 28 septembre…

Rapport de filature de Missak Manouchian (« Bourg ») par la brigade spéciale n° 2, 28/09/1943 (p.1). Archives du PCF / AD 93, 261J6/21

Cette traque sans répit bénéficie aussi des aveux sous la torture ou de la récupération de documents lors des perquisitions. Effectivement, la traque de la BS 2 était très bien orchestrée. Le détachement avait été repéré à la suite d’une descente chez Joseph Dawidowicz. Commissaire politique des FTP-MOI, arrêté le 26 octobre 1943 à Conflans-Sainte-Honorine, Dawidowicz subit un interrogatoire musclé. Une perquisition effectuée à son domicile, rue Auguste-Blanqui à Choisy-le-Roi, permet la découverte de tracts, mais aussi de listes d’effectifs, de rapports d’activité des détachements de la FTP-MOI, etc. Dans cette documentation saisie, il y a même une liste, datée de septembre 1943, de tous les membres du secteur 1 de la FTP-MOI avec les détachements et les premières lettres des pseudonymes et les numéros de matricule. Les BS viennent de réaliser une prise de taille.

Structure du « groupe Manouchian », s.d. Les nombres correspondent aux numéros de matricule de ses membres. Archives du PCF / AD 93, 261J6/22.

Lors de ses interrogatoires, Dawidowicz est prolixe et donne également de nombreuses informations aux policiers qui peuvent compléter utilement leurs enquêtes et filatures. Les documents saisis font le reste. Les fiches et les organigrammes sont mis à jour avant l’opération finale. Les BS ont alors repéré les planques des FTP-MOI : il suffit d’attendre, de laisser partir les partisans et ensuite de les « cueillir ».

L’enquête ayant bien avancé, le 12 novembre Rino Della Negra et Robert Witchitz tombent lors de l’attaque d’un convoyeur de fonds rue Lafayette (10e arrondissement), puis Missak Manouchian et Joseph Epstein sont arrêtés le 16 novembre à la gare d’Évry-Petit-Bourg. Le temps des arrestations est donc venu. Les policiers se rendent dans tous les domiciles identifiés et arrêtent les FTP-MOI. Ce sont 20 combattants qui sont alors arrêtés dans ces traques de l’automne 1943, outre Manouchian et Epstein :
– deux membres de l’équipe spéciale (Marcel Rajman et Célestino Alfonso) ;
– deux membres du 1er détachement (Olga ou Golda Bancic et Armanak Manoukian) ;
– huit membres du 3e détachement (Georges Cloarec, Rino Della Negra, Spartaco Fontanot, César Luccarini, Roger Rouxel, Antoine Salvadori, Amédée Usseglio, Robert Witchitz) ;
– huit membres du 4e détachement (Joseph Boczor, Thomas Elek, Moska Fingerweig, Emeric Glasz, Lajb Goldberg, Michel Martiniuk, Salomon Schapira, Wolf Wajsbrot).

Rapport de la brigade spéciale n° 2 suite à l’arrestation de Marcel Rajman, 16/11/1943 (p. 1).
Archives du PCF / AD 93, 261J6/21.
Synthèse de l’interrogatoire d’Olga Bancic suite à son arrestation le 16/11/1943. Nous ne savons pas si cette synthèse a été effectuée par les services de police ou si elle a été réalisée ultérieurement sur la base du procès-verbal d’interrogatoire original. Archives du PCF / AD 93, 261J6/21.

Seuls quelques partisans en réchappent. Surtout, après avoir transféré Dawidowicz à Fresnes le 2 décembre, les BS le libèrent un peu plus tard pour éviter tout soupçon et ce dernier affirme s’être échappé. Cela ne convainc pas les rescapés : Boris Holban et Alfredo Terragni, assistés d’un commando, avec Christina Boïco, conduisent Joseph Dawidowicz dans un pavillon de Bourg-la-Reine où, après un long interrogatoire, il est exécuté le 28 décembre 1943.

Cette troisième filature de novembre 1943 conduit à l’arrestation de 68 personnes. Les 23 partisans sont jugés sous le nom inventé par les autorités allemandes du « groupe Manouchian » et fusillés au Mont-Valérien, le 21 février 1944. Cette appellation ou expression « groupe Manouchian » est la manifestation même de la propagande proposée par les Allemands ou les collaborationnistes, empruntant l’image d’une « bande », dont Missak Manouchian est le « chef », par l’intermédiaire de l’Affiche rouge. Olga Bancic, la seule femme jugée dans le groupe, est exécutée plus tard en Allemagne. Les autres arrêtés sont déportés. 

Les rafles ont fait tomber plusieurs dizaines de combattants durant l’année, mais aussi de nombreux membres des réseaux clandestins. L’un d’entre eux n’est jamais identifié : il s’agit de Jospeh Epstein, chef des FTPF de la région parisienne : « torturé pendant plusieurs semaines, il ne révéla pas son identité. Condamné à mort par le tribunal allemand de Paris (rue Boissy-d’Anglas, 8e arrondisement), le 23 mars 1944, il a été fusillé le 11 avril 1944 sous le nom de Joseph Andrei ». Son dossier conservé dans les archives des BS2 est au nom d’Estain. C’est pourquoi, Epstein, supérieur de Manouchian dans l’organigramme de la Résistance communiste, n’a pas été jugé dans le groupe de l’Affiche rouge. Son successeur Louis Chapiro est à son tour arrêté en janvier 1944. On comprend l’ampleur de cette lutte sans relâche des policiers, mais aussi des partisans, qui devaient sans cesse être sur leur garde.

Par Jean Vigreux