La mort de Manouchian imputée au PCF: l’affaire Mosco ~ Fondation Gabriel Péri Skip to main content

La mort de Manouchian imputée au PCF: l’affaire Mosco

Mardi 2 juillet 1985, le quotidien communiste L’Humanité propose un numéro spécial. Le tirage, pour l’occasion, a été augmenté de près de 100 000 exemplaires apprend-on dans le numéro du lendemain. En première page, l’Affiche rouge et ces mots en très grands caractères : «NOS FRÈRES morts pour la France».

Une de L’Humanité du 20 avril 1985

Quoi de plus normal que cette Une, si ce n’est que l’été 1985 ne correspond à aucun temps fort de la mémoire de Manouchian et de ses camarades brocardés par les nazis sur cette affiche ? Souvent, les initiatives ont lieu à la fin février, date anniversaire de l’exécution de ces Résistants et ce sont les anniversaires qui tombent rond qui sont les plus marqués (les années en 4 donc). Pourquoi cet accent si fort à cette date ? C’est que le Parti communiste est alors au cœur d’une des polémiques mémorielles les plus aiguës le concernant : il est accusé d’être à l’origine de la mort de Missak Manouchian et de ses camarades, dans un film diffusé à la télévision en première partie de soirée.

Le point de départ : 1983. Un jeune réalisateur, Mosco, présente à Cannes un film qui lui a été commandé par le ministère de la Culture (alors dirigé par Jack Lang) et Antenne 2 dont le sujet est les FTP-MOI : Des terroristes à la retraite. Quelques spectateurs découvrent le visage et la voix de ceux de ces anciens résistants qui ont survécu, leur trajectoire, leur combat. Document rare s’il en est. Pourtant, une partie du film concentre l’attention : l’accusation portée contre le Parti communiste. Avec renfort d’un historien à l’appui, en la personne du jeune Stéphane Courtois et de l’essayiste Philippe Ganier-Raymond. Avec la charge affective de cette voix naguère très liée au PCF, Simone Signoret. Avec, enfin, le témoignage de certains anciens résistants qui semblent accréditer cette thèse, à commencer par Mélinée Manouchian elle-même. Le film a tout d’une bombe pour le PCF.

Cependant, en 1983, il n’a qu’une audience très limitée – bien qu’il soit primé au festival de Grenoble à la fin de l’année. Albert Cervoni, dans L’Humanité, dit bien sûr son embarras : « Se prétendant consacré à l’histoire du groupe Manouchian et à la MOI, [le film] présente à la fois des témoignages assez passionnants et une telle manipulation de contresens historiques, des interprétations tellement inacceptables qu’on ne peut conclure qu’à une véritable falsification » (14 mai 1983). Pour autant, le débat public ne s’installe pas. Le film a été conçu pour la télévision (il devait marquer le 40e anniversaire de l’exécution de Manouchian et de ses camarades, en février 1984) ; vu la teneur dudit film, la télévision ne le diffuse pas.

Les choses commencent à prendre une autre dimension l’année suivante : un comité de soutien pour la promotion du film se constitue. Une personnalité comme Serge Klarsfeld décide de s’y investir. Le Nouvel Observateur soutient la démarche. Des projections privées sont organisées, non sans heurts.

Tout s’accélère dans les premiers mois de 1985. Ivan Levaï, journaliste et directeur de la rédaction d’Europe 1, appelle publiquement depuis sa puissante antenne à la programmation du film. Quelques jours plus tard, la direction d’Antenne 2 annonce son intention de diffuser Des terroristes à la retraite le 2 juin prochain. L’affaire n’est pas anodine : Le Monde, pourtant peu coutumier du commentaire de programmes télévisés, s’en fait l’écho dans son édition du 1er avril. D’emblée, une seule question se trouve au cœur de l’abondant traitement médiatique : le rôle du PCF dans la mort de Manouchian.

Commence, en pleine lumière, un combat en trois temps.

Acte I – La protestation communiste

Le 25 avril, L’Humanité Dimanche lance les premières protestations communistes nationales. Le 14 mai, L’Humanité propose un long article en pleine page (le journal a alors ce très grand format historique qu’il perdra en 1986) et dénonce « « L’Affiche rouge » profanée ». C’est surtout fin mai que la protestation qui commence prend de l’ampleur à travers, notamment, l’implication majeure du président de l’Union des juifs pour la Résistance et l’entraide (UJRE), l’avocat Charles Lederman, sénateur communiste du Val-de-Marne. Il demande à voir le film en compagnie de journalistes de L’Humanité ; Antenne 2 le lui refuse dans un premier temps.

Ce sont ensuite plusieurs des témoins interrogés dans le film qui protestent. Ils ont accepté de bonne foi de participer au film de Mosco dont ils n’imaginaient pas les accusations. Celles-ci ne leur ont d’ailleurs jamais été indiquées de sorte qu’ils n’ont pu y répondre. Le montage laisse ainsi accroire qu’ils partagent l’opinion des accusateurs ou, à tout le moins, qu’ils n’ont rien à y redire. Telle est la teneur des propos de Jacques Farber rapportés par Jean-Pierre Ravery qui, pour L’Humanité, suit le dossier. Les protestations de Gilbert Weissberg et Charles Mitzflicker sont également mentionnées ainsi que celles d’Albert Ouzoulias, commissaire militaire national FTP. Celui-ci explique ainsi : « De trente minutes d’enregistrement qu’il [Mosco] fit, il a repris à peine trente secondes dans le film ». Ouzoulias demande a minima que son témoignage, ainsi utilisé, soit retiré.

Le PCF prend l’affaire au sérieux. Il décide de donner la parole à Jacques Farber dans l’émission à laquelle, comme parti national, il a droit de temps en temps à la télévision : Expression directe (le 23 mai sur Antenne 2).

Sous la pression, le président d’Antenne 2, Jean-Claude Héberlé (en poste depuis quelques mois après avoir dirigé RMC) décide de saisir cet ancêtre du CSA créé par la gauche au lendemain de la victoire de 1981 : la Haute autorité de la communication audiovisuelle. Il indique qu’il s’en remettra à la décision préconisée. L’Autorité, présidée par Michèle Cotta, saisit à son tour plusieurs personnalités de la Résistance pour avis, comme elle l’avait fait à propos d’un film consacré à Klaus Barbie. Lucie et Raymond Aubrac, Claude Bourdet, Henri Noguères et Pierre Sudreau constituent ce jury tandis que, dans le même temps, l’Institut d’histoire du temps présent qui accueille alors Stéphane Courtois, organise une conférence de presse plus courue qu’à l’ordinaire.

L’avis des Résistants est promptement rendu :

« Le film en cause se rapportant à un aspect à nos yeux très important et très longtemps minimisé de la Résistance française – la participation des étrangers à la lutte armée dans le cadre des FTP-MOI –, nous avons accepté sans la moindre réserve de faire connaître notre avis sur ce film. […]

Nous regrettons d’autant moins d’avoir réagi ainsi que nous avons été unanimement d’accord, sans le moindre débat, en dépit de divergences politiques bien connues. […]

Si chacun de nous avait à exercer la responsabilité qui incombe à un président de chaîne de télévision, chacun de nous, sans hésitation, refuserait d’accueillir ce film sur l’antenne. […]

Nous avons considéré que ce film présente comme données acquises des hypothèses controversées et constitue, de ce fait, une opération de désinformation dont la finalité politicienne nous est apparue évidente et choquante. […]

Nous avons exprimé le souhait que soit mis sous les yeux des téléspectateurs le film historiquement indiscutable que mérite, dans sa totalité, l’épopée des combattants FTP-MOI. […]

D’autre part, l’équilibre que l’on prétend rétablir par un débat n’est qu’un faux équilibre : les téléspectateurs, s’ils ont vu un film de soixante minutes minutieusement construit en vue de développer une thèse, puis un débat de vingt minutes dans lequel les deux points de vue opposés ont été confrontés, ont, finalement, vu et entendu développer l’une de ces thèses pendant soixante-dix minutes, et l’autre pendant dix ».

Le film semble donc devoir ne pas être programmé. Nous sommes fin mai.

Acte II – La bataille contre la « censure » ou la riposte des partisans de Mosco

La réaction ne tarde pas. Le Monde donne la parole à l’avocat Georges Kiejman (aux sympathies socialistes connues bien qu’il n’ait pas encore été, à cette date, le ministre de Michel Rocard qu’il sera lors du second septennat de François Mitterrand). La tonalité est claire : « Aujourd’hui, c’est une autorité administrative, respectable et respectée, qui a accepté de se constituer en organe de censure ». Il fallait diffuser le film. À tout le moins, l’organisation d’un débat serait un « moindre mal ». Dans le même temps, le journaliste politique Patrick Jarreau, dans un long article du quotidien, défend le même point de vue, sollicitant notamment l’autorité de Mélinée Manouchian qui accuserait également le PCF. Dans le même journal, un troisième papier développe une orientation identique, sous la plume de Nicole Zand : « Il faut croire pourtant que le film de Mosco frappe juste, tellement juste que, pour mieux noyer les mystères, c’est lui qu’on accuse de la rage…. « Je n’ai pas voulu faire un film anticommuniste », dit Mosco. Est-ce sa faute à lui si la réalité ne paraît pas conforme à la légende communiste ? ». Sur Europe 1, Ivan Levaï est plus radical encore : « Aujourd’hui, en France, si la presse est libre, si l’édition est libre, si le cinéma est libre, la télévision ne l’est pas. Et cette anomalie ne tient ni au pouvoir ni à la loi, mais à la pratique d’un parti, le Parti communiste français ».

La messe est dite, mais manque une onction académique publique. Elle est offerte par une tribune de Stéphane Courtois dans Le Monde. Non seulement l’historien soutient le film, mais encore il insiste sur l’oubli dans lequel le PCF aurait plongé ces Résistants étrangers après leur mort. Sans nuances ni doutes, il affirme au mode indicatif :

« La vague de patriotisme qui submerge alors le PCF emporte comme fétu de paille le souvenir des FTP-MOI. De mars 1944 à février 1951, l’Humanité n’aura pas un mot pour les 23. [on se permet de préciser au lecteur que les exemplaires de L’Humanité de cette période étaient accessibles aux chercheurs dans les années 1980 et que leur lecture, même rapide, interdisait déjà de soutenir pareille assertion]

Et de conclure : « Comme dit le proverbe : « On se gratte toujours là où ça démange ». L’interdiction du film de Mosco, Des terroristes à la retraite, semble indiquer que « ça

démange toujours ». En attendant, la mémoire des FTP-MOI est une fois de plus occultée ».

Au-delà, le monde médiatique bruisse de réactions à cette affaire : Jack Lang semble prendre position pour la diffusion du film à L’Heure de vérité ; Simone Signoret fustige un PCF manipulateur sur France Inter… L’Unité, hebdomadaire socialiste, consacre trois pages au sujet : le PCF défend une intolérable censure. Serge Klarsfeld donne à son tour une tribune au Monde : « La reprogrammation du film s’impose, suivie d’un débat, comme cela avait été proposé au PCF et comme il l’a refusé, sans tenir compte ni des intérêts de l’opinion publique française ni de ses propres intérêts ».

La Ligue des droits de l’Homme s’émeut à son tour : « Sans méconnaître l’importance de l’avis donné en conscience par cinq éminentes personnalités de la Résistance à la Haute Autorité, elle estime que le retrait du film programmé – retrait que ces personnalités n’avaient d’ailleurs pas demandé – s’assimile à une censure ».

Le mardi 11 juin, le conseil d’administration d’Antenne 2 décide finalement, unanime :

le film sera diffusé dans le cadre normal des « Dossiers de l’écran » précédé d’une présentation replaçant les événements dans leur contexte historique et suivi d’un débat auquel seront conviées les parties concernées. La date est fixée au 2 juillet 1985.

Acte III – Quel encadrement de la diffusion du film ?

Le PCF reprend dès lors sa campagne de protestation contre ce film qui l’accuse d’avoir livré Manouchian. Il trouve le renfort de Robert Chambeiron, ancien secrétaire général adjoint du CNR, qui s’exprime dans L’Humanité dans l’esprit des résistants sollicités par la Haute autorité : « La décision prise par Antenne 2 […] de programmer un film dont le caractère diffamatoire n’est plus à démontrer interpelle tous les résistants. Personne ne sera dupe de cette fausse symétrie que constitue un éventuel débat après la projection du film quand on sait l’impact de l’image sur le public et les conditions de choix des participants au débat ». Pour autant, à présent que la décision d’Antenne 2 est prise, Charles Lederman, pour le Parti communiste, propose une formule : le film doit être précédé d’un débat entre lui-même et le réalisateur, Mosco. Une campagne de soutien à cette proposition est lancée (Chambeiron la soutient comme « le minimum que l’on puisse exiger »).

Une de l’Humanité du 14 juin 1985

Elle trouve vite un écho favorable : le comité de soutien au film de Mosco, notamment animé par Serge Klarsfeld, ne tarde pas à la soutenir.

Un problème particulier demeure toutefois pour le PCF. Depuis le début, les partisans de la programmation du film de Mosco font une très fréquente référence à Mélinée Manouchian, à double titre : 1. elle est favorable à la diffusion du film ; 2. elle soutiendrait elle-même l’idée d’un lâchage de son mari par le PCF.

À la mi-juin, Mélinée Manouchian organise une conférence de presse pour clarifier les choses : « Je n’ai jamais écrit et jamais prononcé le nom du PCF comme responsable de la disparition du groupe Manouchian ». Elle rappelle qu’elle conserve l’opinion déjà exprimée dans le livre qu’elle a donné aux EFR (la maison d’édition d’Aragon) sur Manouchian : elle pense que Boris Holban, le prédécesseur de Manouchian, a une responsabilité dans la mort de celui qui était alors son mari, dans la mesure où il lui aurait donné l’ordre de poursuivre son activité en région parisienne malgré les dangers croissants. Holban à titre individuel, non le PCF et sa direction nationale.

L’affaire continue en tout cas d’agiter tout le débat médiatique et politique. L’intensité du soutien aux thèses du film de Mosco réduit toutefois avec la publication par Le Monde d’une tribune d’Adam Rayski, ancien cadre de la MOI. Les Unes de L’Humanité continuent d’accueillir Manouchian. Le 20 juin, c’est l’historien Roger Martelli qui dénonce les « tintamarres contemporains », « la lâcheté de petits hommes, la calomnie et l’insinuation ».

Une semaine avant le 2 juillet, la formule est arrêtée. Mosco refusant le débat, c’est Charles Lederman qui fera une déclaration préalable à la diffusion du film. Après celle-ci, un débat sera organisé avec Jacques Chaban-Delmas (résistant gaulliste), Christian Pineau (résistant socialiste), Henri Rol-Tanguy (résistant communiste), Roger Pannequin (résistant ayant quitté le PCF), deux anciens des FTP-MOI, Arsène Tchakharian et Annette Kamieniecki. En outre, deux historiens : Henri Amouroux, très conservateur ; Roger Bourderon, communiste.

Ainsi se dénoue, dans un record d’audience, cette polémique de haute intensité. Si le film et ses allégations sont présentés aux téléspectateurs, le PCF parvient à en amoindrir la charge par l’expression préalable de Charles Lederman et un débat qui ne vient pas apporter de crédit aux thèses défendues par Mosco. Le PCF a en outre organisé des protestations, rassemblements et hommages aux FTP-MOI dans toutes ses zones de force et proposé un numéro spécial de L’Humanité à grand tirage. Reste que son image est sans doute écornée par l’écho apporté à des accusations que le grand public n’avait pas en tête. Surtout, l’impossibilité d’accéder aux archives policières prive alors les historiens de sources de première importance. Le débat se déroule et se prolonge ainsi sans cette base documentaire ici fondamentale. [Il faudra l’ingéniosité de Denis Peschanski pour contourner les barrières placées devant les archives de la préfecture de police de Paris pour lever ce problème quelques années plus tard] Quelque chose comme un doute indécidable semble nimber désormais la figure de Manouchian, des FTP-MOI et l’attitude du PCF à leur égard.

Épilogue – Une polémique aux couleurs des années 1980

Pourtant, au total, cette polémique apparaît comme profondément marquée par le singulier contexte des années 1980. Retenons-en quelques caractéristiques.

1. La première tient à la mémoire de la Résistance communiste à cette époque. Sur le plan mémoriel, Manouchian en est l’une des figures de proue. Honoré tous les ans au cimetière parisien d’Ivry-sur-Seine où il est enterré, il est entré dans la culture commune grâce à la force du poème d’Aragon et de l’interprétation de Ferré.

Plus globalement, la Résistance est un élément majeur de l’identité communiste et de l’aura du PCF dans la société française depuis les années 1940. Attaquer le PCF sur ce point, c’est l’attaquer au cœur. Cela n’a pas manqué au fil des années, mais la première moitié de la décennie 1980 concentre peut-être les offensives parmi les plus rudes. Celles-ci portent en particulier sur l’attitude du secrétaire général, Georges Marchais, pendant l’Occupation. De premières polémiques avaient été lancées sur ce thème dans les années 1970, mais, à l’occasion de la campagne présidentielle de 1981, les assauts redoublent et la presse nationale se penche avec prolixité sur Messerschmitt et les activités du jeune Normand Georges Marchais.

Deuxième étape : 1984. L’historien très médiatique Philippe Robrieux publie le dernier volume de son énorme Histoire intérieure du parti communiste (Fayard). Il y accuse le PCF d’avoir donné Manouchian. Le responsable ? Jean Jérôme, dirigeant majeur du Parti communiste français. Cependant, la polémique souffre vite des tirs croisés émanant d’Annie Kriegel dans Le Figaro et de Jean-Jacques Becker dans Le Monde. L’accusation de Robrieux est démontée par ces deux historiens alors très éloignés du PCF. Certains journaux défendent toutefois Robrieux et quelque chose reste par endroits de ce premier assaut – prolongé par l’auteur dans un livre en 1986. 2. Deuxième élément de contexte : les relations entre le PCF, l’État et la télévision. La question est complexe de longue date. C’est peu dire en tout cas que les communistes sont moins présents à la télévision que dans l’ensemble de la société française. Cela a été à l’origine de mobilisations importantes dans les années 1970 notamment et, en 1981, il avait été convenu qu’en cas de victoire de la gauche, la situation serait pour une part redressée. Ce qui fut fait, en partie. Reste que la lecture de L’Humanité permet de mesurer que cette bataille n’est pas jugée remportée. Au-delà de la question des journalistes communistes, c’est le lien entre le pouvoir et la télévision qui est interrogé. Est notamment visée l’émission Vive la crise proposée par Yves Montand (dont les relations au PCF et au communisme sont alors exécrables) et faisant l’apologie unilatérale du libéralisme devant des millions de téléspectateurs au début de l’année 1984 – car la décennie est aussi marquée par ce formidable écho de la télévision. La rupture entérinée avec le pouvoir mitterrandien – à l’été 1984, lors de la formation du gouvernement Fabius, il n’y a plus de communiste –, c’est une campagne qui est lancée par le PCF lorsque Montand propose au printemps 1985 l’émission La Guerre en face sur FR3 dans une tonalité de Guerre froide très assumée. Pendant des jours et des jours, L’Humanité fait sa Une pour qu’une émission soit programmée : « La Paix en face ».

Une de L’Humanité du 20 avril 1985.

Jean-Claude Averty, Jean Ferrat, Georges Séguy, Philippe Soupault, Pierre Juquin, Renaud, le général de Bollardière signent avec d’autres l’appel qui prend la forme d’une pétition largement distribuée. L’Humanité du 7 mai rapporte que Roland Leroy, directeur du journal, a déposé 36 000 appels à la Haute Autorité de la communication audiovisuelle – sans obtenir gain de cause. Il y a donc un passif lourd entre le PCF et la télévision vue comme un relais du pouvoir dans son versant le plus libéral, atlantiste et anticommuniste.

3. Troisième élément : il faut garder en tête le climat des années 1980, sa musique de fond « antitotalitaire » depuis les années 1970 et l’irruption des nouveaux philosophes accompagnés de François Furet pour le volet historique. Une décennie aux couleurs de Jaruzelski, d’Afghanistan envahi par l’URSS. Il y a – avec, sans doute, un isolement plus grand des communistes – quelque chose qui tient de la polémique suscitée par le Danton de Wajda en 1983.

4. Les questions liées aux identités, au racisme et aux migrations prennent une place très croissante dans le débat public. Elles pèsent ici nettement, le PCF étant accusé de ne pas être si net en matière d’antiracisme et de lutte contre l’antisémitisme. C’est le sens de la double accusation : avoir lâché Manouchian pendant la guerre ; avoir oublié et fait oublier Manouchian après le conflit. Nous ne sommes que quelques années après les fortes polémiques autour du « bulldozer de Vitry » et de certaines déclarations de Georges Marchais. Dans un temps qui est aussi celui de la marche des Beurs et du lancement de SOS Racisme dans l’orbite socialiste. Un temps, enfin, peu enclin à entendre un combat politique qui ne serait pleinement et premièrement imprégné d’une dimension identitaire.

Comme toujours, les polémiques sur le passé disent plus de l’époque dans laquelle elles prennent place que de l’époque évoquée…

Par Guillaume Roubaud-Quashie