Des archives pour une histoire globale de la MOI ~ Fondation Gabriel Péri Skip to main content

Des archives pour une histoire globale de la MOI

Dans l’un des rapports produits par la brigade spéciale n°2 des renseignements généraux de la préfecture de police chargée d’enquêter sur le « réseau Manouchian », le sigle « MOI » est développé en « Mouvement ouvrier international ». Nous sommes en 1943, vingt ans après que le Parti communiste – alors section française de l’Internationale communiste (PC-SFIC) – avait décidé la création d’un collectif organisé en son sein chargé de pénétrer les « masses » laborieuses immigrées. « MOI », avant d’être accolé à « FTP » pour donner naissance aux « FTP-MOI », qualifie en fait une structure partisane à la dénomination évolutive : commission de la main-d’œuvre étrangère (« MOE ») dans les années 1920, section de la main-d’œuvre immigrée des années 1930 jusqu’aux années 1980, puis secteur immigration. Dans la culture communiste pourtant, et à travers le XXe siècle, la MOI renvoie au sein du parti à la fois à un objectif politique et à un outil chargé de sa réalisation. L’anecdote illustre la difficulté, pour certains policiers pourtant rompus à la surveillance du mouvement communiste, à appréhender dans le détail le fonctionnement interne d’un parti révolutionnaire. Les historiens d’aujourd’hui ne rencontrent-ils pas finalement, des décennies plus tard, les mêmes écueils ? Et par répercussion les archivistes, dont l’une des missions est de documenter l’histoire des structures et des individus producteurs d’archives pour en permettre la critique ? Le fonds du Parti communiste français (PCF) a été déposé aux Archives départementales de la Seine-Saint-Denis (AD93) au début des années 2000 pour une ouverture généralisée à la recherche. Antérieurement pourtant, des travaux universitaires avaient été réalisés alors que les documents internes à l’organisation politique n’étaient pas accessibles à l’ensemble des chercheurs. Quelle plus-value cette source peut-elle constituer pour envisager une histoire globale de la MOI ?

L’entre-deux-guerres. De la MOE à la MOI.

Conséquence directe de son interdiction en septembre 1939 puis de sa répression, le PCF n’a conservé que peu d’archives originales produites dans l’entre‑deux‑guerres, celles‑ci ayant été saisies, détruites ou dispersées. Son positionnement comme section française d’une organisation internationale centralisée, l’Internationale communiste (IC) a pourtant évité un trou documentaire irrémédiable. La direction de l’IC à Moscou ayant eu pour vocation de superviser l’action de ses sections nationales pour la coordonner, un système élaboré de transmission de l’information s’est progressivement mis en place dès les années 1920. Il consistait pour la SFIC à adresser, pour analyse, une partie de sa production documentaire dans un souci de conformation à la ligne politique édictée, comme de conformité des cadres sélectionnés pour sa mise en œuvre. Ce fonctionnement pyramidal a permis de sauvegarder des sources renseignant – de manière inégale certes – l’histoire du PCF depuis sa fondation jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, sources dotées d’une typologie variée comprenant non seulement les archives produites par les instances de direction, mais aussi par les différents secteurs de travail collectif qui lui étaient rattachés, parmi lesquels la MOE puis la MOI. Dans le cadre de relations bilatérales entre partis, des opérations de transmission de microfilms de ces archives furent menées dès les années 1970. C’est à Bobigny qu’est conservée la ressource principale pour aborder l’histoire de l’organisation dans cette période, sous la forme de deux sous‑séries microfilmées (3MI6 et 3MI7) dont les inventaires sont consultables sur le portail internet des AD93. La numérisation de ces microfilms par la Maison des sciences de l’Homme de Dijon puis leur mise en ligne sur le portail Pandor offre un accès simplifié à cette ressource.

Archives de la section sur le travail parmi les ouvriers étrangers (MOE) et matériaux des groupes de langues du PCF (Archives du PCF / AD 93, 3MI6/69).

Ce corpus a partiellement nourri le récit historique de Dimitri Manessis et Jean Vigreux, auteurs d’une étude de la MOI des années 1920 à la Libération (Avec tous tes frères étrangers. De la MOE aux PTP-MOI, Libertalia, 2024), la thèse de doctorat d’Astrig Atamian, autrice d’une histoire des communistes arméniens des années 1920 aux années 1990 (La mouvance communiste arménienne en France, INALCO, 2014), ou encore celle de David Noël (Le PCF et la Confédération générale du travail unitaire dans le département du Pas-de-Calais durant l’entre-deux-guerres, université Bourgogne – Franche-Comté, 2023).

La guerre et l’Occupation. De la MOI aux FTP-MOI.

Le passage du parti communiste à la clandestinité à partir de 1939 marque une réduction drastique de sa production documentaire, conséquence de la répression. Un phénomène de ventilation des archives communistes concernant cette période a par ailleurs eu lieu après la Libération. Sur ce point, le parti communiste a par exemple incité ses militants à nourrir les collections du musée de Résistance nationale de Champigny, le fonds Jacques Duclos étant quant à lui confié au musée de l’Histoire vivante de Montreuil. Sur la question plus spécifique de l’organisation des travailleurs immigrés au sein des organisations communistes pendant l’Occupation, les sources aux AD93 sont donc assez parcellaires. Le fonds majeur pour la période, qui provient de la commission centrale de contrôle politique (sous-série 261J6), résulte de l’activité conjointe de cette structure disciplinaire et de celle de la section de montée des cadres, chargée du contrôle politique des membres du parti. Il concerne notamment les enquêtes internes réalisées sur des évènements ayant impliqué des militants, et les enquêtes externes, menées sur des organisations et groupes d’individus non communistes dont l’action a eu des répercussions sur le parti. Il contient également des dossiers nominatifs classés alphabétiquement, dont l’accès est soumis à autorisation. S’y ajoutent des documents relatifs à l’organisation, au fonctionnement et à l’implantation du parti pendant la période, et à ses liens avec les autres mouvements de la Résistance. Au sein de ce fonds, on soulignera en particulier l’existence de trois dossiers consacrés à la chute du réseau Manouchian (cotes 261J6/21-23), compilant de nombreux documents provenant de la brigade spéciale n° 2 des renseignements généraux de la préfecture de police (où figure le rapport précédemment cité).

Les procès-verbaux de filatures, d’interrogatoires, d’arrestations, les rapports, les états d’organisation, les listes des détachements, des attentats, des noms et responsabilités, des « logés », permettent une approche fine de l’avancée patiente de l’enquête policière jusqu’à la chute du groupe. Cette matière, dont on ne sait comment elle est parvenue au PCF, a été utilisée après la Libération dans le cadre d’une enquête interne destinée à identifier les responsables de l’arrestation des combattants des FTP-MOI ; s’y ajoutent donc des notes, rapports et correspondances ultérieurs. Notons également la présence de schémas de filatures, peut-être réalisés dans le cadre de l’enquête policière, peut-être plus tardivement par le parti. Ces archives ont été réétudiées par le parti dans les années 1980, à l’occasion de différentes polémiques mettant en cause la responsabilité de celui-ci dans le drame. Ces documents, numérisés, sont mis en ligne sur le site des AD93 à l’occasion de la panthéonisation du couple Manouchian.

Parmi les fonds personnels, les archives de David Diamant (sous-série 335J) apparaissent comme une autre source d’importance, en particulier pour ce qui a trait à la résistance juive. Militant communiste, documentaliste, auteur de nombreux ouvrages sur la résistance communiste juive largement cités dans les travaux précurseurs d’Annette Wieviorka (Ils étaient juifs, résistants, communistes, Denoël, 1986) et de Stéphane Courtois, Denis Peschanski et Adam Rayski (Le sang de l’étranger, Fayard, 1989), il a tout au long de sa vie rassemblé une quantité considérable d’archives aujourd’hui dispersées dans différentes institutions, mais toujours sollicitées par des jeunes chercheurs notamment, à l’instar de Zoé Grumberg pour sa thèse sur le secteur juif du PCF de la Libération à la fin des années 1950 (Militer en minorité, IEP Paris, 2020).

De la Libération aux années 1990. De la MOI au secteur Immigration.

La MOI a survécu à la Seconde Guerre mondiale. La paix revenue, ce mode d’organisation s’adapta néanmoins aux nouvelles migrations et aux indépendances alors que la sous-section juive s’émancipait pour devenir une commission de travail à part entière. Même pour l’après-guerre, identifier avec exhaustivité l’ensemble des structures constituant la direction nationale du PCF est un exercice périlleux. Rares sont les organigrammes détaillés ; les archives de direction ne sont guère bavardes à ce sujet – mais pas totalement muettes, nous le verrons. Et ça n’est que tardivement que furent publiés à l’issue des congrès nationaux la liste des dirigeants nationaux en charge de telles ou telles questions politiques, assistés dans leurs tâches par des commissions, sections ou encore secteurs, selon une terminologie induisant une forme de hiérarchie. Les dénominations de ces structures animées par des permanents mais agrégeant également des militants évoluèrent, comme évoluèrent leurs missions. Elles changeaient, s’adaptaient, disparaissaient, d’autres apparaissent ; leur nombre fluctuait en fonction des enjeux politiques du moment, des mutations de la société française, des moyens humains et financiers. Ainsi vit-on leur nombre augmenter singulièrement dans les années 1970 alors qu’une victoire électorale de la gauche unie se profilait. Pour ce qui concerne la MOI, un croisement des archives du bureau politique avec l’organe théorique Les Cahiers du communisme montre que la responsabilité du travail en direction de la main-d’œuvre immigrée ne fut attribuée formellement qu’à quelques reprises, et tardivement : à Georges Marchais en 1967, puis à Jean Colpin désigné « responsable de la section entreprises [nouvellement créée] et du travail parmi les immigrés » en 1976 (lui succéderont Jean-Claude Gayssot de 1982 à 1985 puis Claude Billard de 1985 à 1994). Pour la période antérieure, parfois documentée par des relevés de décisions établis à l’issue des réunions du bureau politique, les choses sont moins aisées. On peut néanmoins envisager qu’avant 1976 et la création d’une section entreprises, le responsable à l’organisation avait parmi ses prérogatives le travail politique dans les entreprises en général, donc celui plus spécifique en direction de la main-d’œuvre immigrée. Les archives personnelles d’André Vieuguet (sous-série 518J), « secrétaire à l’orga » dans la première moitié des années 1970 et signataire d’un ouvrage sur l’immigration en 1975, semble valider l’hypothèse. La pérennité d’une commission ou d’une section de la MOI au sein du parti marque la survivance d’une volonté d’organiser avant tout les travailleurs sur les lieux de production. Une rupture symbolique eut lieu en 1994, lorsque la question de l’immigration fut confiée à Gisèle Moreau alors chargée de « la coordination du comité national, du bureau national et du secrétariat, du collectif national de coordination des luttes contre la misère, contre le racisme et pour une société plus solidaire, de la vie urbaine et de l’immigration ».

Il n’en demeure pas moins qu’identifier les dirigeants du plus haut niveau ne se suffit pas. Le recours aux archives de la MOI (sous-série 261J15, en cours de traitement au moment de la rédaction de ce texte) fait émerger les acteurs de son activité quotidienne cette fois : Mario et Ida Fornaciari, Charles Barontini, Michel Kachkachian, Alain Pigot, Babacar N’Diongue, Pierre Agudo, Ernest Guillemet, Jean Fabre, Belkacem Fehrat, Marius Apostolo ou encore Charles Pesek. Peu d’entre eux disposent d’une notice dans le Maitron. Couvrant une période allant des années 1960 aux années 1990, ces archives  offrent de précieux éléments d’appréciation sur la réflexion du PCF en matière d’immigration et sur les démarches envers les communautés qu’il s’agissait d’organiser : par l’édition de publications spécifiques (pas moins de neuf titres en 1980 par exemple, en direction des Espagnols, des Africains, des foyers de travailleurs immigrés, des Antillais, des Italiens, des Portugais, des Maghrébins, des Arméniens ou encore des Turc), par la constitution d’un réseau de responsables fédéraux, par l’organisation d’initiatives publiques, par l’accompagnement des grèves et des mouvements revendicatifs par exemple. Le manque de profondeur chronologique de cet ensemble est une caractéristique de nombre de structures rattachées au comité central : le PCF n’a pas pris un soin particulier de ses archives courantes, à l’exception de quelques séries bien identifiées (voir Boichu Pierre, Les archives du parti communiste français aux Archives départementales de la Seine-Saint-Denis, Département de la Seine-Saint-Denis, 2021). Il en résulte un fonds fragmentaire, où la dispersion des informations nécessite de suivre de multiples pistes, où les archives personnelles sont souvent d’un grand secours.

Si une histoire globale de la MOI reste à écrire, l’exercice, exigeant, ne semble pas impossible. La période récente a vu plusieurs travaux d’importance réalisés sur la question de l’organisation des immigrés au sein du PCF, leurs auteurs ont défriché une partie d’un vaste champ, constituant des corpus dans et hors le fonds du PCF, créant de nouvelles sources orales avec une approche sociobiographique, imaginant de nouvelles méthodes d’investigation. Les archives de la direction nationale du PCF en dépôt aux AD93 offrent un point d’entrée qui pourra être prolongé par l’étude des sources locales de l’organisation politique, dont un guide est publié sur le portail FranceArchives.

Pierre Boichu
Attaché de conservation aux Archives départementales de la Seine-Saint-Denis

Liens :

– Archives départementales de la Seine-Saint-Denis : https://archives.seinesaintdenis.fr/
– Consulter en ligne le « dossier Manouchian » conservé aux AD93.
– Archives de la préfecture de police de Paris : https://www.prefecturedepolice.interieur.gouv.fr/archives
– Portail Pandor : https://pandor.u-bourgogne.fr/
– Portail FranceArchives : https://francearchives.gouv.fr/fr/article/526498098