Une ambition de démocratie sociale
1947 : travailleuses et travailleurs, aux urnes !
La Sécurité sociale se construit dans un climat particulièrement conflictuel. Le patronat, la CFTC, la droite chrétienne ou encore la Mutualité s’y opposent vigoureusement. Les cadres, professions libérales et agriculteurs refusent d’être assujettis au même régime que les salariés, tandis que les médecins libéraux craignent d’être « fonctionnarisés ». Face à ces oppositions multiples, Croizat est contraint de négocier. Il démontre alors un certain pragmatisme : afin de sauver l’essentiel du projet, il donne partiellement satisfaction à la Mutualité, mais aussi aux cadres et aux agriculteurs.
La politisation autour de la Sécurité sociale est encore accentuée par les élections sociales, lors desquelles les assurés sociaux doivent élire leurs représentants dans les caisses. Organisées le 24 avril 1947, elles donnent lieu à une véritable campagne politique. Dès janvier, Henri Raynaud dresse un bilan positif des premiers mois de gestion des caisses par la CGT. Il en profite pour s’en prendre à la CFTC, l’accusant de réunir des « éléments réactionnaires [qui veulent] retirer à la loi actuelle ce qui lui confère le caractère de grande victoire sociale de la classe ouvrière ». Au contraire, il préconise une grande « campagne de popularisation et de défense de la Sécurité Sociale ».
La mobilisation est massive, avec près de 75 % de participation. La liste de la CGT, menée par Raynaud, recueille finalement 59,3 % des suffrages, celle de la CFTC 26,4 % et celle de la Mutualité 10 %. Malgré ce succès électoral de la CGT, la centrale exprime une certaine déception : elle espérait bien mieux, compte tenu du rôle primordial qu’elle avait joué dans la mise en place de ces caisses.
Meeting d’Ambroise Croizat à Saint-Denis, 16 mai 1947
© DR | IHS CGT Métallurgie
Sur fond de tensions politiques et sociales croissantes, les ministres communistes sont finalement exclus, le 4 mai 1947, du gouvernement Ramadier (socialiste). C’est le début de la guerre froide. Dans Le Guide du métallurgiste, mensuel de la Fédération des Métaux, Ambroise Croizat explique à sa base les raisons de son départ :
« Il devenait impossible, dans de telles conditions, à un militant ouvrier, qui n’a pas oublié son origine, de continuer à être ministre du Travail. »