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Salle 3 - La résistance

Les débats autour de la protection sociale au sein du CNR

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Par Léo Rosell. La Sécurité sociale est l’une des mesures les plus emblématiques du programme du Conseil national de la Résistance (CNR). Ce programme, élaboré dans la clandestinité, dévoile ce qui fait alors consensus parmi les forces politiques et mouvements représentés dans le CNR. À défaut d’un parti unique de la Résistance, comme l’auraient souhaité les résistants Pierre Brossolette et Jean Moulin, communistes, socialistes, gaullistes, chrétiens-démocrates et autres royalistes s’accordent donc sur un programme minimal, rejetant les sujets de discorde, et adopté à l’unanimité le 15 mars 1944.

Derrière son apparence consensuelle, le programme du CNR est en réalité le fruit d’un long processus, et le révélateur des rapports de force au sein de la Résistance. L’historienne Claire Andrieu, dans un ouvrage intitulé Le programme commun de la Résistance : des idées dans la guerre (1984), en retrace les différentes étapes.

En janvier 1943, les socialistes proposent un premier texte, qui comporte une réforme de la législation sociale d’avant-guerre. Quelques mois plus tard, en septembre, c’est au tour de la CGT de présenter un « Programme d’action d’après-guerre». Porté par Louis Saillant, ce programme contient, de façon plus précise, une « amélioration de la loi sur les assurances sociales ». Enfin, en novembre, le communiste Pierre Villon, représentant du Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France (mouvement de Résistance créé à l’initiative du parti communiste en 1941, pour rassembler le plus largement possible les forces patriotiques), propose un texte amené à servir de base pour le programme final. Fidèle à la position historique des communistes sur le sujet, le texte de Villon demeure hostile au principe de la cotisation ouvrière, et prévoit un financement par l’État. Après une série de modifications par les différentes composantes du CNR, le programme est finalement adopté à l’unanimité par les membres du bureau, le 15 mars 1944.

Cette impression d’unité nationale est renforcée par le fait que les membres du CNR s’expriment d’une seule voix. Dans le préambule, ils déclarent avoir « décidé de s’unir sur le programme suivant, qui comporte à la fois un plan d’action immédiate contre l’oppresseur et les mesures destinées à instaurer, dès la libération du territoire, un ordre social plus juste. »

À côté de mesures concernant « l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale », le programme prévoit « le droit au travail et le droit au repos », « la garantie d’un niveau de salaire […] qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité d’une vie pleinement humaine », le rétablissement des libertés syndicales, une « extension des droits politiques, sociaux, économiques des populations indigènes et coloniales et, sur le plan de la protection sociale, « un plan complet de sécurité sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État », assorti d’une « retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ».

Cette présentation, brève et peu détaillée, ne doit donc pas masquer les débats qui ont animé sa rédaction. On remarque que certaines questions n’ont pas encore été tranchées, en raison de positions divergentes au sein du CNR. C’est notamment le cas de la nature du financement, par la fiscalité ou par la cotisation. C’est aussi celui de la gestion des caisses, par les intéressés eux-mêmes, par l’État ou par d’autres acteurs (Mutualité, patronat, etc.). « La formule retenue apparaît donc comme une solution de compromis », écrit Bruno Valat dans son Histoire de la sécurité sociale (2001).

Finalement, l’initiative prise par les forces de gauche dans la rédaction du programme du CNR, et plus largement leur poids dans la Résistance, expliquent l’orientation très progressiste du contenu du programme auquel consentent, bon gré mal gré, certaines forces plus modérées, voire conservatrices.