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Le 15 décembre 1941, l’armée allemande fusille 95 civils (dont 69 au Mont-Valérien et 13 à Caen), officiellement en représailles des actions de la Résistance. La plupart de ces hommes n’ont été ni condamnés ni même incriminés pour des actions précises d’autant que nombre d’entre eux ont été arrêtés, internés sans même avoir été jugés. Ce sont des otages (1), même si le nom n’est pas formellement employé, alors qu’il l’était encore lorsque, en octobre, ont été fusillés les internés des camps de Châteaubriant, près de Nantes, et de Souge, près de Bordeaux.

Une affiche placardée sur les murs par le haut commandement militaire allemand explicite la démarche. Il s’agit d’attribuer la résistance armée aux communistes et aux juifs, et de mettre en œuvre une panoplie de mesures répressives afin d’inscrire la terreur dans la longue durée. Face au développement de la Résistance et des actions armées contre le matériel et les soldats allemands, l’objectif est de maintenir la collaboration instaurée dès 1940 avec le régime de Vichy et le maréchal Pétain, son chef. Celui-ci, ainsi que tous les partis de la collaboration manifestent leur appui à l’invasion de l’URSS et à la répression réclamée par les autorités allemandes.

La lutte contre le judéo-bolchevisme, leitmotiv de l’action répressive de Vichy

Mais, après les premières fusillades massives d’otages, le choc dans l’opinion publique est tel que même les autorités de Vichy s’inquiètent, ainsi que le commandement militaire. Ce que les fusillades du 15 décembre expriment, c’est un tournant politique qui débouche sur une mise en scène de l’ennemi idéologique, à qui est attribué désormais l’ensemble des actes de résistance. La lutte contre le judéo-bolchevisme est désormais le leitmotiv de toute l’action répressive. Des mesures pratiques sont prises avec le lancement de nouvelles rafles antisémites organisées conjointement par l’armée nazie, avec l’appui des autorités de Vichy ; elles concernent indistinctement juifs étrangers et français, tous internés au camp de Drancy. Celui-ci va d’ailleurs servir de vivier pour, le 15 décembre, en extraire plusieurs dizaines, qui seront fusillés au Mont-Valérien.

Les deux premières mesures annoncées par le commandement allemand, l’amende collective imposée à la population juive et la programmation de la déportation des juifs et des communistes, participent d’une stratégie répressive qui va se déployer dès l’année suivante. Dans l’immédiat, on mesure à quel point la dimension idéologique et politique est au centre de la répression, ce qu’illustre la formulation grossière selon laquelle le peuple français n’est pas concerné, puisque ceux qui sont réprimés sont à la solde de l’étranger. Une comparaison avec ce qui se passe dans d’autre pays européens comme la Belgique, les Pays-Bas et plus tard souligne la particularité de la France, où la mise à mort des otages et des résistants prend un caractère fortement idéologique parce qu’il s’agit de trouver un terrain commun avec la politique du gouvernement de Vichy, qui se présente comme le défenseur des Français au nom d’une révolution nationale en fait asservie à l’Allemagne et qui, pour sauver la face, accepte les mesures les plus inhumaines au nom de la lutte contre le judéo-bolchevisme. Parmi ces fusillés du 15 décembre 1941, il y a deux journalistes de l’Humanité, Lucien Sampaix et Gabriel Péri, également député, mais ce n’est pas en tant que notables qu’ils sont fusillés mais comme communistes, qui n’ont pas accepté de renier leurs engagements, ni de cesser leur dénonciation du fascisme.

Serge Wolikow, historien, président du Conseil scientifique de la Fondation Gabriel Péri.

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