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L’onde de choc de l’intervention militaire à Prague touche durement les communistes français qui cherchaient à trouver une voie médiane à l’échelle mondiale et qui voient interrogée leur perspective stratégique.

Pour le PCF dont l’histoire a été imbriquée avec celle du mouvement communiste international la crise tchécoslovaque en 1968  a été une épreuve majeure qui a marqué durablement son histoire.  Le récent  ouvrage de Roger Martelli, minutieux et très  documenté aborde  cette question et permet de revisiter l’année  1968 comme l’épisode révélateur de la situation du PCF aussi bien en France que sur la scène internationale (1). En fait les événements de l’année 1968 qui ont secoué toutes les forces politiques françaises ont particulièrement marqué le PCF, doublement interpellé par la situation politique nationale et la crise internationale du mouvement communiste. Sous la conduite prudente de son secrétaire général, Waldeck Rochet, le PCF ambitionne alors  de tenir une place médiane dans le mouvement communiste international. Il est un des promoteurs d’une prochaine conférence internationale des partis communistes dans un contexte marqué par l’exacerbation du conflit entre le Parti communiste chinois et le Parti communiste soviétique aux côtés duquel il n’a cessé de se placer. En Europe, marquée par la division en deux camps, plusieurs partis communistes au pouvoir ont pris leurs distances avec l’Union soviétique qui est à la tête de l’organisation militaire du pacte de Varsovie  face à l’Otan sous direction américaine. Outre la Yougoslavie qui, de longue date a  affirmé sa neutralité, la Roumanie et l’Albanie ont adoptés des positions différentes de celles   de l’URSS  dans le domaine diplomatique. Les 5 autres, Pologne, RDA, Bulgarie, Hongrie et Tchécoslovaquie restent soumis  à une influence  étroite  de l’URSS même si celle-ci proclame le respect de leur indépendance. Dès la fin de 1967, en Tchécoslovaquie comme en Pologne, parmi la jeunesse étudiante mais aussi  au sein du  parti communiste s’affirment des critiques contre la persistance des formes staliniennes et pour la démocratisation du fonctionnement de l’Etat et du parti. Le PCF, tout en renouvelant son accord avec  l’universalité du marxisme-léninisme, affirme son attachement au principe de l’indépendance de chaque parti communiste responsable de sa politique nationale.

Quand, en  janvier 1968, le comité central du Parti communiste Tchécoslovaque destitue Novotny de son poste de secrétaire général du PCT remplacé par Dubcek, le PCF se garde d’une prise  de position. Les mois suivants il reste dans l’expectative et refuse de porter une appréciation positive sur les changements engagés critiquant d’ailleurs de certaines initiatives dans la presse communiste, comme Paul Noirot qui a interviewé Dubcek dans « Démocratie Nouvelle » ou des articles Pierre Daix dans les Lettres Françaises. Mais la position de la direction du PCF évolue. Le 19 avril, Waldeck Rochet apporte un soutien prudent aux réformes engagées par le PCT. Il se félicite que dans son programme d’action celui-ci affirme son engagement pour la démocratie socialiste afin de redresser les erreurs du passé et qu’il ne remette pas en cause les engagements  internationaux du pays. En somme, alors que l’URSS et les autres pays du Pacte de Varsovie marquent leur désapprobation en vers les réformes annoncées par le PCT, le PCF s’estime rassuré par le parti et le gouvernement tchécoslovaques sans approuver pour autant le contenu des différentes réformes.  Du fait de la situation politique en France, il doit surseoir à ses projets de relancer une démarche médiatrice au sein du mouvement communiste international. En juillet, Waldeck-Rochet, tente d’ultimes démarches pour empêcher l’irréparable : il se rend à Moscou le 15 puis à Prague le 19 en préconisant  une solution politique.  Devant  Brejnev il convient de certaines dérives en Tchécoslovaquie mais le dirigeant russe ne veut rien entendre quand il lui déclare qu’une intervention militaire serait une catastrophe pour tout le mouvement communiste. A Dubcek, qui lui reproche d’être influencé par les soviétiques, il prône la prudence. Les dirigeants du PCF veulent voir dans les ultimes rencontres entre la direction soviétique et tchécoslovaques à Cierna  le 1er aout puis à Bratislava le 3 avec les autres partis communistes, le résultat positif de leur démarche. Le BP du PCF, le  5 août, salue la déclaration commune des six partis qui « ont souligné que les  succès du socialisme et du communisme exigent l’application des lois générales du marxisme-léninisme en tenant compte des conditions et particularités nationales ».

Le Bureau Politique du PCF,  réuni en  toute hâte le 21 aout,  « exprime sa surprise et sa réprobation à la suite de l’intervention militaire en Tchécoslovaquie ». Devant le Comité central réuni le lendemain, en  session extraordinaire, Waldeck Rochet reconnaît d’emblée que l’affirmation du désaccord avec le PCUS a suscité des déchirements au sein du PCF. « C’est presque le contraire qui serait anormal car il est vrai que notre Parti, depuis 50 ans, a toujours été aux côtés de l’Union soviétique ». Pour autant la condamnation de l’intervention militaire est réaffirmée ce qui d’ailleurs ne suscite pas au sein du CC d’opposition explicite. La direction du parti, les jours suivants, suscite la  réunion des comités fédéraux et appelle leurs membres à se prononcer sur la décision de la direction du parti. Pour obtenir un très large soutien l’équipe dirigeant équilibre le propos, en atténuant les termes de la condamnation, réaffirmée  désormais comme une désapprobation. De plus le PCF appelle les dirigeants tchécoslovaques, arrêtés et emmenés en URSS, à la discussion avec les dirigeants soviétiques pour déboucher sur une solution politique positive dont le Bureau Politique le 25 août réclame qu’elle s’appuie sur une normalisation de la situation impliquant « le retrait des forces d’intervention ». Les jours suivants, le 27 août puis le 2 septembre, il se félicite que les pourparlers aient débouché sur un accord. De fait, cet accord engage le processus  de normalisation qui entraînera l’année suivante l’éviction de Dubcek et la remise en cause de toutes les réformes démocratiques engagées.

Pour l’heure, le PCF doit affronter au sein du Bureau Politique les critiques portées par Jeannette Vermeersch qui dénonce l’antisoviétisme et par Roger Garaudy qui met en cause le système soviétique en tant que tel. Si le BP repousse les critiques de la veuve de Maurice Thorez il dénonce avec vigueur les thèses  défendues par Garaudy accusé de développer une ligne stratégique étrangère à celle du parti. Pour autant le PCF  doit faire face également aux attaques de certains partis frères, en particulier le SED (parti communiste de RDA) et le PCUS qui par différents canaux, articles de presse et brochures, dénoncent la prise de position du PCF contre l’intervention militaire et la justifient auprès des cadres du parti. Des explications orageuses ont lieu avec les dirigeants soviétiques et ceux de RDA au terme desquelles, Waldeck Rochet et Georges Marchais qui les ont menés en concluent qu’il est urgent de reporter la Conférence Internationale à la tenue de laquelle ils s’employaient depuis des mois. Lorsque le 5 décembre le Comité central se  réunit à Champigny l’unité du parti bien qu’ébranlée a été maintenue et l’organisation n’a pas subi la même hémorragie qu’en 1956 même si  le PCF s’est trouvé en difficulté aussi bien en France qu’au plan international sur sa perspective stratégique et sa vision du socialisme. La résolution finale, préparée par Waldeck Rochet, épaulé par Jean Kanapa, bientôt intitulée le Manifeste de Champigny, esquisse face au « socialisme existant » ce que pourrait être « la voie française au socialisme ». Les événements de Tchécoslovaquie ajoutés à ceux de mai-juin en France venaient de montrer l’urgence d’une avancée…

(1)   Communistes en 1968. Le grand malentendu. Editions sociales, 2018.

Serge Wolikow, historien, président du Conseil scientifique de la Fondation Gabriel Péri.

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