Entretien paru dans l’Humanité, le 23 septembre 2008
La Fondation Gabriel-Péri fête ces jours-ci son quatrième anniversaire. Quelle place occupe-t-elle dans le paysage de la recherche et de l’élaboration politique ?
Robert Hue. Quatre ans c’est peu, et cependant nous avons, je crois, réussi une certaine percée dans un paysage qui, soyons lucides, est relativement restreint et en crise. Il n’y a, en France, que cinq fondations à « vocation politique » comme la nôtre, à quoi s’ajoutent quelques instituts et autres fondations qui occupent également le terrain de ce que vous appelez la recherche et l’élaboration politique. C’est peu, et leurs travaux restent souvent confidentiels. C’est précisément à élargir le public susceptible d’être intéressé par nos initiatives que nous avons beaucoup travaillé, avec un certain succès. Nous avons noué des contacts avec de très nombreux chercheurs et étudiants – ce dont je me réjouis particulièrement – mais aussi avec des militants et des responsables associatifs, syndicaux… Nous collaborons avec un certain nombre de laboratoires universitaires, en France et à l’étranger, et notre lettre électronique est adressée chaque mois à 25 000 personnes environ. Ce bilan, très rapidement dressé, nous satisfait, sans nous conduire à « lever le pied ». Il y a encore énormément à entreprendre.
Ne faudrait-il pas repenser les rapports entre la gauche – le Parti communiste en particulier – et le travail de recherche – les chercheurs -, notamment dans le domaine des sciences sociales ?
Robert Hue. Pendant une longue période, le PCF a exercé un attrait fort sur de très nombreux chercheurs et créateurs dans les multiples domaines de la création intellectuelle. Ce n’est plus le cas. Mais pourquoi ont-ils pris, aussi massivement, leurs distances ? Il y a eu, sans aucun doute, les lourdes désillusions à propos des réalités des pays qui se réclamaient du communisme, et le rejet des partis qui s’en déclaraient cependant solidaires. Je ne suis pas sûr, au demeurant, que cette question soit aujourd’hui complètement « soldée », mais c’est une autre histoire. Et puis, surtout, tous ces intellectuels – membres du parti ou « compagnons de route » – n’étaient au fond sollicités que pour conforter une ligne politique réputée infaillible, et à l’élaboration de laquelle ils n’étaient pas associés. En vérité, ils étaient, pour la plupart d’entre eux, véritablement instrumentalisés. Ce que je viens d’évoquer vaut, de manière spécifique et lourde, pour le PCF. Mais vous avez raison : toutes les formations de gauche souffrent d’un grave déficit de confiance auprès des chercheurs, et pas seulement en sciences sociales. Quant à la Fondation Gabriel-Péri, qui n’est pas et n’a aucunement vocation à être un parti politique, les conditions de sa création et son fonctionnement depuis quatre ans attestent d’une volonté nouvelle d’ouverture en direction du monde de la recherche. Ce que nous essayons d’être, c’est un lieu de réflexion, de confrontation parfois et, inséparablement, d’élaboration. C’est ainsi que fonctionnent nos séminaires : sans obligation de résultats immédiats, sans contraintes liées aux exigences de l’actualité politique. Ils sont, j’insiste, largement ouverts à toutes celles et tous ceux, quelles que soient leurs sensibilités politiques, qui ont des idées, qui souhaitent les croiser avec d’autres, qui veulent travailler librement à l’émergence de propositions nouvelles en politique. C’est par ce moyen, j’en suis convaincu, que l’on regagnera la confiance des intellectuels et des chercheurs, tout particulièrement celle des plus jeunes d’entre eux, qui travaillent beaucoup et qui sont amers de constater que leurs efforts retiennent si peu l’attention des responsables des partis politiques de gauche.
Propos recueillis par O. M.