Entretien avec Alain Obadia dans La Revue du projet, n° 36, avril 2014
Le PCF s’apprête à tenir sa convention nationale sur l’industrie après celle qu’il avait consacré à l’automne à son projet européen.
Alain Obadia, responsable national « Production, industrie et service » et président de la Fondation Gabriel-Péri, nous explique la réflexion des communistes à propos du déclin industriel de la France et de la perspective de transformation du modèle productif dont ils sont porteurs.
Les plans de licenciements dans l’industrie s’enchaînent, les pouvoirs publics ne peuvent-ils donc rien ?
2013 a été une année noire pour les suppressions d’emplois et les fermetures de sites. Plus de 1 000 plans « sociaux » ! L’industrie a payé un lourd tribut : plus de 40 000 suppressions de postes directes sans compter les emplois « induits » ainsi que les dégâts provoqués sur le tissu local. Et comment ne pas souligner la faiblesse des investissements sur notre sol qui constitue une part essentielle de la désindustrialisation !
Au-delà des effets de manches d’Arnaud Montebourg, force est de constater que le gouvernement reste d’une passivité consternante. Le pouvoir s’est explicitement aligné sur le crédo patronal autour du triptyque baisse des « charges » / compétitivité/ création d’emplois. La probabilité est nulle que cette approche qui a conduit à l’échec depuis des années se transforme soudain en solution efficace.
En réalité, les pouvoirs publics pourraient, s’ils en avaient la volonté politique, se donner les moyens d’intervenir. Interdire les licenciements dans les entreprises qui réalisent des profits (licenciements boursiers), à tout le moins obliger les groupes souhaitant fermer un site dans ces conditions à trouver un repreneur (et pas seulement à le chercher !), établir un droit de véto suspensif des élus du personnel en cas de fermeture ou de délocalisation et l’obligation d’examiner les propositions des salariés, instaurer le droit de reprise de l’activité par les salariés en coopérative s’ils le souhaitent ; voilà quelques instruments dont la concrétisation serait possible à court terme et qui permettraient de peser positivement sur la situation.
Pourquoi défendre l’outil industriel d’aujourd’hui ? N’y a-t-il pas une forme d’attachement nostalgique du PCF dans sa défense d’industries vouées à la disparition ?
La démonstration est malheureusement faite qu’un pays qui accepte de voir sombrer son industrie s’enfonce dans une spirale de déclin et de régression sociale catastrophiques. Le mythe de la « société postindustrielle » développé durant quatre décennies par la pensée dominante apparaît pour ce qu’il était vraiment : un support idéologique aux stratégies de financiarisation et de délocalisation pour maximiser le taux de profit. Quand une nation n’est plus capable de satisfaire dans des proportions significatives ses propres besoins, et que dans le même temps elle est de moins en moins apte à vendre à l’extérieur des produits recherchés pour leur qualité et leur spécificité, elle s’appauvrit et les destructions d’emploi deviennent structurelles. Nous avons donc besoin d’une base industrielle forte pour redonner vie et dynamisme à l’ensemble de l’activité du pays.
Il est par ailleurs inexact de présenter l’industrie comme vétuste et polluante et d’assimiler sa défense à un combat d’arrière-garde. L’industrie d’aujourd’hui met le plus souvent en œuvre des technologies très avancées. Les modèles industriels contemporains intègrent dans les processus de production la préoccupation environnementale. Quand tel n’est pas le cas, ce n’est pas principalement une question technique mais une manifestation de la stratégie du capital d’abaisser à tout prix les coûts pour cause de rentabilité. Il en va de même s’agissant du refus d’investir pour déplacer les créations de capacités nouvelles vers des pays à bas coûts. Par ailleurs, nous ne sommes pas démunis concernant les activités et les emplois qu’il est indispensable de reconvertir. C’est notamment pour répondre à ce problème que nous avons avancé nos propositions de sécurité d’emploi ou de formation.
La préservation de l’industrie et son développement sont-ils possibles sans rompre avec les dogmes libre-échangistes de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ?
À franchement parler, je pense que non. En effet, les règles de l’OMC ont été conçues et appliquées pour favoriser le développement du capitalisme libéral financiarisé et mondialisé qui domine la planète depuis plusieurs décennies. L’effet est structurellement destructeur pour l’industrie de pays comme le nôtre ayant un haut niveau d’acquis sociaux, fruits des luttes du mouvement ouvrier. Ne pensons pas pour autant que le libre-échange généralisé constitue la panacée pour le développement des pays émergents. Il ordonnance un développement distordu essentiellement tourné vers le marché international et non vers la satisfaction des besoins des populations. Plus de 1 000 morts à Dacca en 2013 dans l’effondrement d’un immeuble-usine ! Cela illustre le caractère insupportable du coût humain de ce mode d’organisation du commerce mondial. Une bataille de haut niveau doit donc être menée pour montrer la malfaisance des règles de l’OMC. Elle doit être fondée sur la promotion d’un modèle de développement plus endogène – c’est-à-dire tourné prioritairement vers la satisfaction des besoins de chaque peuple, tout en laissant une place significative aux échanges internationaux – et d’un modèle plus solidaire favorisant les coopérations. Dans cette bataille nous pouvons nous appuyer sur l’une des revendications majeures du mouvement syndical mondial : l’obligation de respecter des clauses sociales et environnementales pour réguler les échanges internationaux. Cela permettrait de donner corps à un processus de relocalisation solidaire.
Quels seraient les leviers de la politique industrielle alternative que vous proposez ?
Nos propositions s’inscrivent dans une conception du développement remettant en cause la domination des objectifs de rentabilité sur l’activité humaine. Elles comportent plusieurs dimensions inséparables et qu’il faut faire avancer en synergie.
À l’opposé de la vision à court terme de la financiarisation, il faut redonner toute sa place à la réflexion sur le long terme. C’est pourquoi il est indispensable de développer une nouvelle planification démocratique. Cette approche permettra de soutenir et de promouvoir les filières industrielles ainsi que les technologies les plus déterminantes pour la réponse aux besoins ou qui conditionnent notre avenir. Des pôles publics doivent être constitués dans les filières stratégiques pour orienter les politiques d’investissements et de développement. Ils peuvent impliquer des nationalisations ou s’appuyer, selon les secteurs, sur des modalités plus diversifiées d’appropriation sociale. Le pôle financier public pour lequel nous agissons est de nature à jouer un rôle décisif. Son adossement à des fonds régionaux fonctionnant sur la base d’un système de crédit sélectif permettrait de soutenir des priorités enclenchant un cercle vertueux de développement pour le progrès humain. Par les besoins d’équipements nécessaires pour assurer leurs missions, les services publics adressent une demande stimulante au nouveau système productif intégré que constituent l’industrie et les services. Leur promotion et leur démocratisation sont donc indispensables. De la même manière, la question des pouvoirs nouveaux des salariés sur laquelle nous avons insisté plus haut est un élément majeur pour définir des stratégies d’entreprises permettant d’ouvrir les transformations nécessaires. Couplée à une véritable responsabilité territoriale des firmes – au moyen notamment du contrôle de l’utilisation des fonds publics qui leur sont attribués – elle peut être un des moteurs d’une nouvelle conception du développement humain.
Développement industriel et protection de l’environnement sont-ils compatibles ?
Le respect des écosystèmes, comme la vitalité durable des territoires dans lesquels les sites industriels sont implantés sont des objectifs qu’une activité productive digne des enjeux de notre époque doit considérer comme essentiels. Dans la perspective d’une transformation des modèles productifs au rebours des logiques productivistes et consuméristes, un renouvellement structurel est nécessaire à toutes les étapes de la production :
– conception des produits en rupture avec la logique de l’obsolescence programmée ; ce qui conduit à insister sur les impératifs de qualité, de durabilité et de modularité ;
– intégration de la préoccupation de sécurité pour les consommateurs, les salariés et l’environnement dès la conception ;
– extraction et gestion économes des matières premières, des matériaux et des ressources naturelles. Souci de leur substituabilité pour éviter les ruptures écologiques (exemple de la chimie végétale) ;
– lutte contre les pollutions de toutes sortes, préservation des sols ;
– économies d’énergie et efficacité énergétique ;
– gestion et recyclage des matériaux, des composants et des déchets ;
– création de filières de réparation et de maintenance ;
Comme on le voit, le cahier des charges de la nouvelle conception industrielle est exigeant. Mais il est désormais impératif. Dans une logique « circulaire » des processus productifs il faut développer les mises en réseaux pour organiser la complémentarité des besoins et les coopérations mutuellement profitables car les déchets des uns peuvent et doivent devenir les matières premières des autres. Un nouveau paradigme industriel est en train de naître. Il faut en développer toutes les potentialités.
Quelles filières industrielles d’avenir identifiez-vous ? Quelle place le développement du secteur industriel occupe-t-il dans le projet communiste ?
Nous devons tout d’abord partir des nœuds technologiques qui apparaissent déterminants pour l’avenir. Sans prétention exhaustive, nous pouvons mentionner les nanotechnologies qui irriguent par exemple aujourd’hui l’ensemble de l’électronique mais qui s’appliquent bien au-delà, les biotechnologies, les nouveaux matériaux, la chimie végétale ou le biomimétisme (imitation de processus présents dans la nature pour les appliquer à des procédés industriels). Nous ne sommes qu’au début de la mise en œuvre des potentialités que portent les technologies de l’information et de la communication. Développement de la robotique, puces communicantes intégrées dans les vêtements, les lunettes, les montres, explosion de la domotique, aide aux personnes âgées fragiles ou dépendantes, automobiles en pilotage automatique, l’actualité quotidienne illustre en permanence cette réalité montante qui change déjà et changera plus encore demain notre existence. De ce fait, la question de la maîtrise sociale du progrès technologique est et deviendra de plus en plus prégnante. Au-delà, bien des filières sont concernées par la révolution technologique en cours : les industries de la santé mais aussi la médecine, l’automobile, l’énergie, le BTP, l’aérospatiale, la chimie, le textile, l’agro-alimentaire. Cela illustre le rôle crucial de la recherche comme la nécessité impérieuse d’un effort massif de formation.
Comme on le voit, parler de l’industrie c’est parler de la création des richesses indispensables pour répondre aux besoins de chacun et de tous, c’est parler du travail et de l’emploi. Agir pour transformer le modèle productif c’est agir en même temps pour transformer la conception du développement au service d’un progrès humain durable et solidaire. C’est pourquoi nous voulons valoriser la place de cette question dans le projet communiste.
Entretien relayé par Médiapart le 8 avril 2014 (voir ici)