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Yasser Arafat : la naissance d’une nation

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Le président palestinien Yasser Arafat est avec Fidel Castro et Nelson Mandela l’une des trois grandes figures qui, de leur vivant et de façon décisive, auront marqué l’histoire du monde durant une large part du XXème siècle et au début du XXIème par leur capacité à incarner l’aspiration de leurs peuples à la dignité. Yasser Arafat c’est d’abord une volonté forgée au rythme des victoires et des défaites de la revendication nationale palestinienne. Très tôt l’homme s’est identifié totalement avec la cause palestinienne qu’il entendra parfois représenter à lui seul.

Né en 1929 d’une mère originaire de Jérusalem et d’un père de Gaza, l’un et l’autre liés à la grande famille des Husseini, Yasser Arafat qui, depuis la mort de sa mère est élevé par son oncle maternel, est contraint de quitter Jérusalem pour le Caire en 1937 lorsque ce dernier est arrêté par les Anglais à la suite de la grande insurrection palestinienne de 1936.

Du jeune étudiant à l’Université du Caire qui s’enflamme aux côtés des Frères Musulmans lors de la création de l’État d’Israël et du massacre de Deir-Yassine et part combattre au sud de Gaza, à l’ingénieur, puis homme d’affaires établi au Koweit, créateur en Octobre 1959 du Fatah, Arafat garde constamment, et quelle que soit sa situation personnelle, la Palestine au c ?ur.

Cette constante apparaît donc dès avant que s’impose, et qu’il impose, dans une longue et dangereuse course d’obstacles, le Fatah et l’OLP (fondée en 1964 et dont il prend la tête en février 1969) comme véritable représentante du peuple palestinien.

Elle va s’affirmer dans les situations les plus contrastées car la route est longue et semée d’embûches, les plus terribles provenant non seulement des ennemis israéliens mais aussi, bien souvent, du « camp » arabe où, à l’exception de quelques pays -l’Algérie en premier lieu- le double voire le triple langage ont toujours été la règle.

En effet, qu’ils se soient réclamés du nationalisme ou de l’Islam, la plupart des gouvernants des pays arabes -malgré leurs opinions publiques- n’ont jamais hésité à faire couler le sang des Palestiniens, à s’ingérer dans leurs débats internes et à instrumentaliser leur drame.

En novembre 1968, alors que la « Guerre des Six jours » s’est achevée depuis seulement cinq mois, l’armée jordanienne attaque deux camps de fedayins dans la banlieue d’Amman. Les 9 et 10 juin 1970, c’est au tour du camp de Wahadat ; bilan : des centaines de morts. Puis « Septembre noir » – une semaine de massacres de combattants palestiniens -3.500 morts et 20.000 prisonniers- qui ne s’achevèrent qu’en juillet 1971. Du 4 janvier au 11 Août 1976, c’est le siège du camp de Tell el Zaatar (40 000 h) au Liban par les Phalanges libanaises armées secrètement par Israël et soutenues par l’armée syrienne.

« Ces combats et massacres de 1975-1976 auront été plus éprouvants encore que ceux de 1970-1971 en Jordanie » relève le journaliste israélien Amnon Kapéliouk qui a très souvent rencontré Yasser Arafat et dont la biographie récente (« Arafat, l’irréductible », Ed. Fayard, 2004) constitue la meilleure clef de compréhension du leader palestinien. Yasser Arafat en tire les leçons lors de l’oraison funèbre aux victimes du camp de Tell el Zaatar, qui sera détruit puis rasé : « le monde arabe se trouve aujourd’hui à l’un des degrés les plus bas de son histoire. Aucun pays ne s’est porté à notre aide. C’est une honte !. Voilà pourquoi le peuple palestinien a besoin d’un État indépendant, afin de pouvoir se défendre ».

Ces propos reflètent une réalité douloureuse dont témoigneront à nouveau, l’été 1982, les murs de Beyrouth lors du siège de la capitale libanaise par l’armée israélienne et des massacres des camps de réfugiés de Sabra et Chatila où, « l’entrée des forces libanaises sera coordonnée jusqu’au moindre détail avec les unités israéliennes sur place ».

Si la responsabilité israélienne dans ce que les Palestiniens nomment la« Nakba » (« catastrophe ») de 1948 sont évidentes tout comme dans l’occupation et la colonisation qui perdurent et s’étendent depuis 1967, on ne peut occulter le double jeu, parfois sanglant, de certains « frères arabes » dont les motivations tiennent à la fois à leur positionnement international (notamment à leurs rapports avec les États-Unis) et la peur des répercussions que risquerait d’engendrer dans leur pays la création d’un État palestinien souverain.

Résistant et chef d’État

Dans un tel contexte, survivre physiquement pendant déjà presque un demi-siècle et politiquement, nécessite un courage physique certain et une capacité hors du commun à s’adapter rapidement à ce qui change. C’est l’autre trait marquant de Yasser Arafat.

C’est lui qui crée le mensuel « Falastinuna » (« Notre Palestine ») en octobre 1959 dans lequel est proclamé que « la voie pour libérer la patrie passe par la création, dans les pays arabes voisins, de groupes de fedayins palestiniens indépendants » qui devront « mener des incursions en Israël et y provoquer des dégâts ». Il déclenchera à partir du 1er janvier 1965 la lutte armée contre l’État d’Israël – « entité sioniste » occupant la majeure partie de la Palestine mandataire alors revendiquée en totalité par le Fatah.

Vingt-trois ans plus tard, en novembre 1988, il fera entériner par le Conseil National palestinien réuni à Alger la reconnaissance de la résolution 181 de l’ONU qui recommande « le partage de la Palestine en deux États, l’un arabe, l’autre juif » en précisant « qu’elle assure les conditions de légitimité internationale qui garantissent également le droit du peuple arabe palestinien à la souveraineté et à l’indépendance », puis dans la foulée, les résolutions 242 et 338, seules bases juridiques internationales d’une paix israélo-palestinienne. Le résistant – chef de guerre se mue en homme d’État. Sous « Abou Ammar », perce le « Président Arafat », le Raïs accoucheur de la Palestine. Le 2 mai 1989, Yasser Arafat est reçu à Paris. Il qualifie à la télévision de « caduque » la charte de l’OLP qui refusait de reconnaître l’État d’Israël.

Du C.N.P d’Alger aux accords d’Oslo – qui seront loin de faire l’unanimité parmi les Palestiniens tant les concessions et les « vides » sont nombreux – cinq années passeront marquées par la guerre du Golfe, la fin de l’Union Soviétique -importante alliée du mouvement national palestinien- et la première Intifada. A aucun moment, Yasser Arafat ne reviendra sur les choix d’Alger. En septembre 1993, il les confirme spectaculairement au monde en signant à la Maison Blanche la Déclaration de principes portant autonomie des Territoires palestiniens occupés après qu’ait eu lieu la reconnaissance mutuelle des deux parties.

Sans doute, à ce moment, contrairement à d’autres forces qui soutiennent le processus, notamment les communistes du P.P.P, Yasser Arafat -et avec lui nombre de responsables du Fatah- surévaluent-ils la possibilité de créer une dynamique de paix permettant de dépasser pacifiquement les points de désaccords et d’aborder ensuite plus favorablement des questions aussi essentielles que la question des réfugiés, celle de Jérusalem et le devenir des colonies. Mais existe-t-il alors un autre choix ? Après cinq années d’une intifada portée à bout de bras par toute la société et qui à fait connaître partout dans le monde leur revendication nationale, les Palestiniens sont dos au mur, épuisés par les arrestations, les morts, les couvre-feux et les bouclages incessants des forces d’occupation israéliennes. L’URSS n’existe plus. L’Irak vient d’être écrasé et G. Bush annonce « un nouvel ordre mondial »…

Yasser Arafat ne se cache pas le poids de ces réalités. Il les prend en compte et s’appuie sur elles pour avancer vers son objectif constant : l’État Palestinien.

L’État palestinien, condition de la paix

Après un exil qui l’a conduit du Liban en Tunisie, Yasser Arafat retrouve la terre palestinienne en 1994. Élu démocratiquement Président de l’Autorité Nationale Palestinienne à l’issue d’élections effectuées en 1996 sous contrôle international, Yasser Arafat voit le territoire palestinien grignoté chaque jour un peu plus par les colonies israéliennes, les routes de contournement, un mur de « sécurité » haut de 8 mètres qui sur des centaines de kilomètres isole encore un peu plus les villes et villages palestiniens les uns des autres et étouffe toute vie économique et sociale.

Enfermé depuis plus de deux ans à Ramallah dans la Mouqata en ruines, humilié, menacé de mort par le premier ministre israélien Sharon, le président palestinien a poursuivi avec la même détermination réaliste son combat pour donner une patrie aux Palestiniens. En mai 1989, il déclarait à un journaliste de « Europe1 » : « Après avoir essayé la guerre durant quarante et un ans, ma s ?ur, mon frère et moi, nous sommes convaincus que nous devons à présent essayer la paix. Contrairement à Shamir qui refuse de négocier avec nous, je suis prêt à entamer des pourparlers avec tout un chacun, même avec nos pires ennemis. Avec des amis, on essaie de renforcer les liens, mais la paix on la fait avec ses ennemis. Je suis prêt à en débattre même avec Sharon, bien qu’il ait voulu m’assassiner… ».

En avril dernier, dans l’Humanité, il explique : « Nous avons des liens très forts avec les Israéliens qui veulent la paix. Nous renforcerons ces liens. Quant à la peur, je sais qu’elle existe des deux côtés. Les Israéliens ont peur des attentats, que je condamne comme je condamne les attaques israéliennes contre nos civils. C’est normal. Le peuple palestinien aussi a peur. Il a peur des bombardements et des assassinats. Mais on peut vaincre cette peur. Et il n’y a qu’un seul moyen : faire la paix ». Cette paix, Mahmoud Abbas (Abou Mazen) en a résumé les conditions : « un État indépendant à l’intérieur des frontières du 4 juin 1967 ayant Jérusalem pour capitale, avec une solution juste au problème des réfugiés (4,5 millions de personnes. N.d.A.) conformément à la résolution 194 de l’Assemblée Générale de l’ONU, ainsi que le démantèlement des colonies israéliennes en accord avec la résolution 465 du Conseil de sécurité » (« Le Monde » – 15 septembre 1999).

Au delà d’une gestion du quotidien critiquable et souvent critiquée par les Palestiniens eux-mêmes, cette détermination quasi gaullienne à construire contre vents et marées l’État palestinien conjuguée à une vie exceptionnelle donnent à Yasser Arafat un prestige et une autorité morale dont partisans -mais aussi, paradoxalement, ennemis d’Israël ou d’ailleurs- auront à prendre toute la dimension après sa disparition.