Par Michel Rogalski, directeur de la revue Recherches internationales
Les chroniques de recherches internationales, mars 2017.
Élu le 8 novembre 2016, Donald Trump a pris ses fonctions, en tant que 45ème Président des États-Unis, le 20 janvier 2017. Élection surprise, dont les thèmes de campagne ne furent pas sans rappeler ceux du Brexit britannique dont le résultat surprit également quelques mois plus tôt. Tout a été dit sur le caractère pittoresque et fantasque du personnage, au point qu’il n’est pas nécessaire de s’y attarder, sauf à retenir, ce que la suite confirmera, l’absence de vision claire, l’imprécision, l’impréparation, l’incohérence et l’imprévisibilité des positions. Bref, la hantise des chancelleries et des chargés du protocole qui adorent le bon déroulement des choses bien préparées.
Cette élection et la campagne qui l’a précédée confirment un grand chamboulement dans le système de valeurs sur lequel le monde occidental s’était constitué. Donald Trump a réussi à imposer quatre thèmes majeurs qui ont constitué le moteur de sa victoire. En réalité un constat et trois causes. Il a surfé sur le thème du déclin des États-Unis dans le monde et sur la nécessité de retrouver la grandeur passée. Le mot d’ordre « America First ! » fit merveille et rencontra l’adhésion de tous les déclassés et délaissés d’une opulence qui ne profitait qu’à certains. Il suffisait de pointer les responsables de ce déclin pour alimenter les thèmes de campagne. Tout d’abord la mondialisation qui avait dévasté le pays, sinistré des bassins d’emplois et avait surtout enrichi les autres sur le dos des États-Unis. Les accords commerciaux devaient être dénoncés et renégociés au cas par cas, dans l’intérêt du pays. Le libre-échange devait être abandonné et le recours au protectionnisme envisagé. L’idéologie mondialiste à l’œuvre depuis Reagan et Thatcher devait être tenue pour suspecte. Les responsables de cette situation, les élites, devaient être dénoncés. Démagogie classique qui fit merveille chez des couches importantes de population qui se sentent depuis longtemps délaissées. Les guerres extérieures, sans fin, sans but clair et incapables d’apporter la moindre fierté patriotique au pays furent critiquées. Enfin, le pays en déclin, enlisé dans des guerres lointaines incompréhensibles était dans le même temps envahi par des migrants, notamment hispaniques. C’est de l’ennemi intérieur qu’il fallait s’occuper et en chasser à coups de menton pas moins de onze millions.
Ce cocktail d’arguments terriblement efficace emporta la victoire. Le monde occidental, confronté aux mêmes problématiques, prit conscience que ces thèmes faisaient également des ravages politiques, notamment dans une Europe en crise économique, à zone euro atone, confrontée à des politiques austéritaire et donc en perte de légitimité et plongée dans une interrogation existentielle après le vote britannique en faveur du Brexit et la montée de courants eurosceptiques. Bref, ce qui s’était passé au Royaume-Uni et aux États-Unis ne relevait peut-être pas de l’exception singulière et pouvait avoir vocation à s’étendre. D’où la vive inquiétude qui s’empara des chancelleries, jusqu’à Pékin et Moscou, d’autant que le candidat s’était permis de nombreuses saillies et rodomontades sur les affaires internationales au cours de sa campagne.
Mais bien vite, une fois élu, le Président se heurta aux réalités du monde et dut en rabattre. Il comprit vite qu’il ne fallait pas trop fâcher la Chine qui n’était pas démunie d’atouts dans une confrontation. Il a dû vite rassurer Xi Jinping que s’il s’était bien entretenu avec la Présidente de Taïwan, qui avait eu l’habileté de l’appeler, il ne remettrait pas en cause la politique de Washington d’une seule Chine. Malgré son secrétaire à la défense, le général James Mattis, connu pour sa franche hostilité à l’Iran, Donald Trump respectera l’accord de Vienne sur le nucléaire concernant ce pays, et manifestera simplement son extrême vigilance sur son application. Après avoir traité l’Otan d’obsolète, il se contentera de menacer de ne pas faire jouer l’assistance automatique si le pays membre ne participe pas suffisamment à l’effort du « partage du fardeau », soit 2 % du PIB. Cela fait quarante ans que les États-Unis tiennent ce discours. Les velléités d’expulsions d’hispaniques furent bien vite ramenées à un chiffre comparable à ce qui avait été fait par Obama. Quant au Mur de la frontière mexicaine, s’il reste dans les intentions, ont peut imaginer qu’il connaîtra beaucoup de vicissitudes. De même, il n’est plus question de déplacer l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. Quant à l’existence d’un État palestinien aux côtés d’Israël ou d’un seul État réunifié, aucun diplomate n’est en mesure de comprendre les intentions de Washington. La collaboration renforcée annoncée avec Moscou semble pour l’instant se concrétiser uniquement à travers une présence militaire renforcée en Syrie et plus de coordination sur le terrain. Le rapprochement semble se manifester uniquement dans la lutte contre l’islamisme radical, thème sur lequel la Chine pourrait venir s’associer. Sur nombre de points abordés lors de la campagne et qui avaient fortement inquiété, le nuage de poussière s’est dissipé et c’est plutôt une reculade qui apparaît. Par contre d’autres mesures annoncée furent appliquées, notamment la dénonciation du Partenariat Transpacifique (TPP) à la grande joie de la Chine qui a toujours considéré que ce traité l’excluant était tourné contre elle. Ce qui permit à Xi Jinping de faire à front renversé, devant un parterre incrédule, l’éloge du libre-échange à Davos.
Néanmoins, l’ensemble du discours sur l’international traduit des revirements importants et porte des conceptions dangereuses confirmées par des premières mesures. La contribution au budget de l’ONU est sérieusement menacée. La préparation du prochain budget comporte des indications sans équivoques. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’assurer la sécurité américaine au travers d’une augmentation du budget de défense sans précédent, soit près de 10 %, l’amenant à plus de 600 milliards de dollars en 2018, à hauteur d’un peu plus d’un tiers des dépenses mondiales. Certes, on peut relativiser, car comparée au sommet atteint trente ans avant en 1988, cette somme représente aujourd’hui un peu moins de 4 % alors qu’elle dépassait alors 8 % du PIB. Il s’agit sans conteste d’affirmer encore plus une suprématie militaire. Cette orientation n’exclut pas les critiques contre les engagements militaires décidés par ses prédécesseurs et qu’il n’assume pas, les rendant pour partie responsables de l’état détestable dans lequel se trouve le pays. En ce sens, il reste bien sur une ligne isolationniste, à rebours de ce qu’aurait été une diplomatie d’Hillary Clinton. Redonner à l’Amérique sa grandeur ne doit être compris au sens d’aller guerroyer aux quatre coins du monde pour imposer un modèle ou civiliser le monde. Par contre, éventuellement pour aller défendre ses intérêts nationaux. La Chine et la Russie seront ses principaux partenaires. L’Europe reste secondaire pour les États-Unis. Trump ne cherche pas à aider Merkel à se faire réélire et sa visite à Washington a été un fiasco car elle n’a rien obtenu et n’a pu montrer qu’elle pouvait « modérer » Trump.
Cette orientation budgétaire se fait au détriment de la diplomatie, la culture, la santé et surtout l’environnement. L’Agence de protection de l’environnement (EPA) pourrait être amputée de 2,6 milliards de dollars sur les 8,3 milliards actuels, soit environ une baisse de 30 %. Car il est un domaine où les convictions du Président sont affichées. C’est un climato-septique, très dépendant des lobbies pétroliers, qui cherchera à revenir sur l’Accord de Paris (COP21) ou se dispensera de l’appliquer, entraînant dans son sillage d’autres États, ravis de l’aubaine.
Cette présidence qui démarre n’a pas encore pris toutes ses marques et beaucoup de questions restent dans l’incertitude. Le rapport au monde de Donald Trump sera difficile et dangereux d’autant plus qu’il s’est mis à dos tous ses services de renseignement, essentiels dans ce domaine, et qu’ils n’hésiteront peut-être pas à le mettre délibérément en difficulté. Assurément, une rupture se confirme qui concernera tout l’Occident.
On regrettera Obama, mais on se consolera en se disant que ça aurait pu être pire avec Hillary Clinton.