par Hakim Ben-Hammouda
Depuis l’éclatement de la crise globale et la réunion du premier sommet du G20 en novembre 2008, on pensait que le G8 était dépassé. Cette instance qui a été mise en place dans les années 1970, après l’invitation du Président français de l’époque Valéry Giscard d’Estaing à ses pairs, est devenue rapidement un cadre d’échange et un lieu informel de gouvernance globale. Or, dès le tournant du siècle, cette instance apparaissait de plus en plus désuète avec l’avènement des pays émergents et leur poids croissant dans l’économie mondiale. D’ailleurs, les membres du G8 n’hésitaient plus à inviter à leurs rencontres annuelles les présidents des pays les pauvres mais aussi les leaders des nouvelles puissances émergentes. Cette invitation sonne comme la reconnaissance de la part des pays plus riches de la complexité croissante du monde global et les incite à ouvrir sa gouvernance et à lui associer les représentants d’autres mondes qui aspirent à un rééquilibrage de la globalisation afin qu’elle puisse bénéficier à la marge du monde. Par ailleurs, il faut prendre en compte la montée de la contestation de part de la société civile internationale de la globalisation et à une gouvernance globale dominé par le G8.
L’arrivée du G20 à la faveur de la crise
Mais, la crise financière globale de l’automne 2008 a montré les limites du G8 et l’incapacité de ses membres à faire face seuls à ce tsunami financier qui a rappelé dans son ampleur la grande crise des années 1930. Dans ce contexte, les pays riches ont décidé d’élargir le cadre de la gouvernance globale en associant les nouvelles puissances émergentes au sein du G20. Le premier sommet du G20 a eu lieu à Washington en 2008 et le second à Londres en 2009. Ces deux sommets ont permis aux grands pays d’apporter une réponse coordonnée qui a permis au monde d’échapper à une nouvelle déflation comme lors de la grande crise des années 1930. Ainsi, le sauvetage des banques, le relâchement des politiques monétaires, le recours aux politiques keynésiennes de relance et la régulation financière ont constitué le cœur d’une réponse coordonnée à la crise globale et qui a permis à l’économie globale d’échapper au précipice.
Le succès de la nouvelle instance de gouvernance et son ouverture pour intégrer les nouvelles puissances globales ont contribué à la marginalisation d’un G8 perçue comme un legs d’un passé désuet et d’une gestion du monde au profit des riches. Certes, le G8 n’a pas disparu en tant que telle et les pays membres ont tenu à poursuivre leurs consultations et surtout leurs sommets annuels. Mais, ces sommets se déroulaient de plus en plus à la veille des grands sommets du G20, comme si ces pays n’avaient plus de temps à consacrer à cette instance vieillotte et obsolète. Ils ont donc cherché à donner un mandat spécifique à cette instance pour justifier sa présence en faisant du G8 le cadre de discussion des questions politiques globales alors que le G20 devait se consacrer aux questions économiques globales et à la coordination des politiques économiques afin de faire face à la crise. Mais, en dépit des tentatives de réanimation, le G8 semblait rentrer progressivement dans l’histoire et à appartenir désormais à l’héritage d’un passé totalement révolu.
Or, avec le sommet de Deauville, le G8 semblait faire son retour. D’abord, pour la première fois, ce sommet va avoir lieu à une date différente du sommet du G20, même si certains membres y étaient opposés, et avec un décalage tel que l’attention des médias peut être centrée sur ce sommet sans souffrir de la concurrence de celui du G20. Par ailleurs, le débat public a été marqué avant ce sommet par des discours que l’on croyait dépassés sur le retour de l’Occident. Certains, n’ont pas hésité à indiquer que finalement même si la place des « vieilles puissances industrielles » n’est plus à son niveau de 1975 où ils représentaient 64,02 % du PIB mondial, ils se maintiennent bien et continuent à produire 42,49 % du PIB mondial. Donc, même si les pays émergents progressent rapidement sur la scène mondiale, les pays du G8 résistent et continuent à défendre leur place dans l’économie mondiale. Par ailleurs, les pays européens et leurs alliés en Amérique du Nord souhaitent la reconduction des règles non écrites héritées de Bretton Woods qui verraient la nomination d’un européen à la tête du FMI pour succéder à Dominique Strauss-Khan et à Robert Zoellick à la tête de la Banque mondiale en juin 2012 reportant à plus tard l’arrivée de ressortissants du monde en développement à la tête des institutions sœurs de Washington.
Le retour en force du G8
Ce retour en force du G8 s’effectue dans un contexte marqué d’abord par l’essoufflement du G20. En effet, les deux premiers sommets de cette instance ont été couronnés de succès et lui ont permis de faire face à l’abîme que représentait la crise globale. Mais depuis le sommet de Pittsburgh en septembre 2009, le G20 est en train de marquer le pas et les divergences entre les pays membres l’emportent peu à peu, jetant un grand doute sur la coordination des politiques économiques. Des politiques de change aux réformes financières, aux priorités des politiques économiques entre la consolidation budgétaire ou la poursuite des politiques non orthodoxes de relance, les sujets de désaccord ne manquent pas entre les pays du G20 ce qui rend la coordination plus incertaine et jette un doute sur la capacité de cette instance à gouverner l’économie globale. Par ailleurs, l’avènement des pays émergents sur la scène mondiale a été un évènement majeur et a suscité d’importantes inquiétudes de la part des pays développés sur le basculement du centre de gravité de l’économie mondiale. Mais, passées les inquiétudes des premiers mois, on se rend de plus en plus compte des difficultés des pays émergents à élaborer et à définir des positions communes au sein de l’économie mondiale. La dernière illustration en date concerne le FMI et leur ralliement probable à la candidature européenne faute de s’être mis d’accord sur un candidat commun. Ainsi, les ennuis du G20 alliés aux difficultés de la solidarité Sud-Sud expliquent ce retour en force du G8.
Cependant, le dernier sommet de Deauville, en dépit de la volonté pour en faire un moment de rédemption des vieilles puissances industrielles, a montré les difficultés du G8 à apporter des réponses à un monde de plus en complexe. Sur les deux questions essentielles au centre des débats, les réponses du G8 ont été plutôt timides. Sur les printemps arabes et en dépit de l’appui apporté à la Tunisie et à l’Egypte dans leurs transitions, le soutien financier n’a pas été à la hauteur des espoirs et surtout des défis de ces transitions. Par ailleurs, pour l’économie mondiale, et si le sommet a enregistré avec satisfaction la reprise, certes encore fragile de la croissance, il n’a pas été en mesure de répondre de manière vigoureuse à la question de la dette souveraine qui hante les pays développés particulièrement en Europe et aux Etats-Unis et qui est à l’origine d’une mobilisation sociale de plus en plus forte, comme l’a montré l’occupation de la place Puerta del Sol à Madrid pour protester contre les politiques d’austérité et la montée du chômage.
Plus que jamais la gravité de la crise appelle à des réponses nouvelles afin de sortir de la dépression et assurer une relance de l’économie globale sur des bases durables et équitables. Cela passe aussi par l’ouverture de la gouvernance globale à la marge du monde, une redynamisation du G20, une prise en compte des préoccupations des pays les plus pauvres et une écoute des aspirations de la société civile internationale.