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Pourquoi Obama sera réélu en novembre

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Je prédis que Barack Obama sera réélu Président cette année.

Dans le cas contraire, s’il se retrouvait sur la touche, Obama rejoindrait alors Gerald Ford et Jimmy Carter sur la liste des présidents en exercice qui, depuis la Seconde Guerre mondiale, ont été battus alors qu’ils sollicitaient leur réélection. Mais cette hypothèse est à mon sens peu probable.

Cette prédiction que je fais peut être clairement argumentée.

Certes certaines raisons justifieraient davantage de prudence. Des politologues ont découvert que, lorsque le taux de chômage aux États-Unis dépasse 7 %, les chances de réélection du président sortant sont ténues. Or, depuis 2007, ce taux dépasse 8 % et l’économie est embourbée dans la récession la plus longue et la plus sévère qu’ait connue le pays depuis plus d’un demi-siècle. La vie politique européenne elle-même tendrait à confirmer ce jugement que lorsque l’économie va mal, les électeurs en tiennent le gouvernement en place pour responsable. Dans tous les pays européens où des élections ont été récemment organisées – en Grèce, en Irlande, au Royaume-Uni, au Portugal ou en Espagne –, les électeurs ont écarté les gouvernements en place et la France rejoindra probablement cette liste lors de l’élection présidentielle de mai prochain.

S’agissant des États-Unis, un récent sondage serait de mauvais augure. La question posée était : « Dans ce pays, les affaires vont-elles généralement dans la bonne direction ou ont-elles suivi de façon assez continue une mauvaise voie ? ». Effectué à l’automne dernier, le sondage du magazine Time a révélé que 81 % des personnes interrogées choisissaient la réponse pessimiste tandis que 14 % seulement exprimaient l’avis optimiste. La politique d’Obama a suscité un puissant rejet de la part des gens de culture conservatrice, des « natives » blancs et des ultra-riches. En outre, ses perspectives électorales souffrent du fait que les Républicains contrôlent la majorité des assemblées parlementaires des États : 57 assemblées contre 39 pour les Démocrates, les autres assemblées ne disposant d’aucune majorité politique claire. Depuis 2010, les Républicains ont durci les conditions d’éligibilité des grands électeurs dans de nombreux États, et cette disposition a particulièrement affecté le Parti démocrate. Les assemblées dominées par les Républicains ont par ailleurs redessiné les frontières des circonscriptions électorales de façon à favoriser le parti pour les élections de novembre prochain au Congrès.

Compte tenu de ces éléments, pourquoi prédire la victoire d’Obama ? En réalité, pour quatre raisons. D’abord parce que l’on peut objectivement se montrer optimiste sur le front de l’économie. Ensuite, parce que les qualités personnelles et les promesses d’Obama correspondent mieux que celles de Romney aux attentes de l’électorat. Ensuite, parce que cet électorat est finalement en train d’adhérer à une politique de centre-gauche bien éloignée des options du Parti républicain. Enfin, parce que les Républicains sont bien plus divisés que les Démocrates.

Première raison : Obama a de bonnes raisons de se montrer optimiste sur le front de l’économie. Les électeurs ne considèrent pas seulement les résultats actuels de l’économie, mais aussi les tendances qu’elle manifeste. De façon paradoxale, les mauvaises nouvelles des dernières années pourraient être utiles à Obama. L’économie ayant été si sombre, même une faible dose de bonnes nouvelles suffit à compenser les mauvaises. Or, une modeste amélioration de la croissance économique et de l’emploi est récemment survenue : 243 000 emplois ont été créés en janvier 2012, soit plus du double des prévisions de la plupart des économistes. Pour la première fois depuis des années, le nombre des emplois créés dépasse celui de la croissance du nombre des nouveaux demandeurs d’emploi résultant de l’augmentation de la population. Selon la même source, le taux de chômage est tombé de 8,5 % à 8,3 %, son niveau le plus bas depuis trois ans. Ces résultats ne donneront pas par eux-mêmes la victoire à Obama, mais, si la tendance se confirme, le Président pourra échapper à la responsabilité d’avoir exercé son mandat pendant une longue crise. L’amélioration du climat économique ne constitue pas un puissant motif pour sa réélection, mais elle réduit sa vulnérabilité.

L’empathie pour les gens ordinaires

Viennent ensuite les qualités personnelles d’Obama. Le Président a un caractère stable et la capacité d’inspirer l’espoir et d’obtenir le soutien d’une large fraction des Américains. Il commet peu d’erreurs et n’a pas besoin de clarifier les positions qu’il prend. Il donne une impression de tranquillité et de fermeté dans ses intentions qui contraste fortement avec le comportement agité et maladroit de Romney, le probable candidat républicain. Dans leur subconscient, les électeurs évaluent un candidat ou une candidate au plaisir qu’ils éprouvent à la perspective de l’inviter chez eux quand ils écoutent les informations télévisées du soir. À ce critère, Obama l’emporte largement sur Romney. Peut-être en raison de sa grande fortune, ce dernier paraît manquer de chaleur et d’empathie pour les gens ordinaires. Les exemples sont innombrables, ainsi quand il a proposé de prendre un pari de 10 000 dollars lors d’un débat sur les perspectives présidentielles des Républicains, quand il s’est vanté d’éprouver du plaisir à voir des gens se faire licencier ou quand il a indiqué qu’il ne se souciait pas des pauvres parce qu’ils étaient protégés par le « filet de sécurité » des programmes sociaux. Tout ceci alors que la pauvreté atteint des niveaux record.

Les déclarations fiscales de Romney montrent aussi combien il diffère de la majorité des Américains. Il bénéficie chaque année de millions de dollars grâce au bas niveau des impôts sur les dividendes et sur les plus-values en capital ainsi qu’aux échappatoires fiscaux qui lui permettent de mettre revenus et fortune à l’abri dans des paradis fiscaux. Des rivaux républicains de Romney se sont plaints de ce que Bain Capital, un fonds de Private Equity que Rommey a dirigé, illustre le caractère prédateur du capitalisme en achetant à bas prix des entreprises pour les dépouiller de leurs fonds et licencier leur personnel. (Notez que, parmi eux, beaucoup sont néanmoins impressionnés par l’expérience en affaires de Romney.)

Finalement, les positions politiques toujours changeantes de Romney, par exemple sur l’avortement, sur le contrôle des armes à feu, ou sur la sécurité sociale, donnent à penser qu’il ne les adopte que pour en tirer un avantage politique. Ainsi, lorsqu’il était gouverneur du Massachusetts, il a soutenu un projet de loi instituant une assurance santé universelle. Obama se complait à souligner que ce projet a servi de modèle pour sa propre réforme du système de santé, vilipendé par les Républicains (y compris Romney !).

L’inclinaison à gauche

La troisième raison de prédire la réélection d’Obama tient dans le positionnement du Parti démocrate. Les chances de réélection d‘Obama sont renforcées de façon significative par le fait que les conceptions économiques du Parti démocrate convergent avec celles que nourrissent beaucoup d‘Américains. Actuellement, la tendance moyenne de l’électorat se situe quelque part à gauche du centre. Considérons un sondage d’opinion commandé à l’automne dernier par leWall Street Journal et NBC  : les Américains y étaient interrogés sur leur opinion à propos de deux assertions :

  1. « La structure économique actuelle du pays est déséquilibrée et favorise une très petite fraction de riches par rapport au reste du pays. »
  2. « La dette publique doit être réduite de façon significative par la réduction des dépenses et du format de l’administration. » S’y ajoutait que réglementation des affaires devra être amoindrie et les impôts ne devront pas augmenter.

Le résultat a été que 60 % des personnes interrogées soutiennent fortement la première proposition, soit près du double des 33 % qui soutiennent la seconde.

Un sondage réalisé par ABC News et le Washington Post au début de février 2012 fournit une nouvelle preuve de cette évolution vers la gauche de l’électorat : interrogés sur le fait de savoir qui de la classe moyenne, des riches ou de ni l’un ni l’autre, était avantagé par l’actuel système fiscal américain, 68 % des sondés ont répondu que c’étaient les riches. De plus, 72 % des réponses étaient favorables à une augmentation des impôts des Américains dont le revenu annuel excède 1 million de dollars. Ici encore, le Parti démocrate est bien plus en harmonie avec les tendances de l’électorat. Un rapport du Pew Research Center Survey indique que deux tiers des Américains pensent qu’il y a de « très forts » ou de « forts » conflits entre les riches et les pauvres ; cette proportion a augmenté de 19 % depuis 2009. Ce sondage permet par ailleurs de constater que l’opposition entre riches et pauvres dépasse en importance les divisions raciales, ethniques et générationnelles.

La leçon que l’on peut tirer de ces sondages est que la position idéologique du Parti démocrate est bien plus conforme à celle de l’électorat américain que celle du Parti républicain. Cette constatation est assez récente. Les élections législatives de 2010 ont été dominées par un programme social conservateur aussi bien que par les priorités du Tea Party qui étaient de couper dans les dépenses fédérales afin de réduire le déficit et la dette de l’État. Le Parti républicain était l’instrument désigné pour réaliser ces objectifs et les élections lui permirent d’acquérir le contrôle de la Chambre des Représentants. En 2012, le chômage, la pauvreté et les inégalités sont la préoccupation dominante et ce sont les domaines que, au cours de l’histoire, le Parti démocrate a privilégiés.

L’impact de Occupy Wall Street

Si on compare les « Discours sur l’état de l’Union » prononcés par le Président Obama au début de 2011 et de 2012, on constate que le premier a été nettement plus « centriste » que le second. Au point que le 24 janvier 2012, le New York Times a pu titrer : « Dans son adresse, Obama fait place à l’équité économique ». Le message du Président à l’endroit de la finance et des affaires est désormais : « Plus de passe-droits, plus de mendicité, plus de privilèges ».

Comment expliquer cette transformation rapide du programme politique ? Les conditions économiques n’ont pas été profondément modifiées : il y a autant de chômage, de pauvreté et d’inégalités en 2012 qu’en 2010. Mais le mouvement OWS – Occupy Wall Street – a éveillé l’attention de la presse et du public à ces problèmes et constitué un important facteur de cristallisation. Comme l’a observé Daniel Cantor, un leader du Parti des familles laborieuses (Working Families Party), OWS a réorienté l’attention du public « de l’austérité à l’inégalité ». (Notons que le Tea Party s’est aussi opposé aux dotations massives de subventions par les Présidents Bush et Obama ; dans ce domaine, OWS et le Tea Party se situent sur le même terrain.)

On trouve une indication sur l’influence d’OWS dans le fait qu’au cours des mois qui ont précédé l’essor de ce mouvement, environ 400 articles contenant les mots « inégalité » et « cupidité » étaient publiés chaque mois par la presse américaine. À partir d’octobre 2012, ce nombre a triplé.

Les sondages fournissent une preuve solide du large soutien dont OWS a bénéficié. Dans un sondage d’octobre 2011, le nombre des réponses favorables à OWS a été double de celles qui lui étaient opposées. OWS a atteint des préoccupations répandues, mais jusqu’alors négligées par la presse et par la majorité des dirigeants politiques. Son organisation lui a permis d’atteindre une large audience. OWS est à la fois un phénomène national, suscitant une couverture intense grâce à l’information en provenance des différents centres nerveux du mouvement à New York, Chicago et Los Angeles, et un mouvement décentralisé avec une présence dans 1 400 villes, petites et moyennes, à travers tout le pays.

La dynamique du parti

Le quatrième et dernier facteur qui favorise les ambitions du Parti démocrate a trait à la dynamique interne des deux grands partis. Tous deux sont divisés entre une fraction dominante, centriste, souvent appelée « l’Establishment » et une aile extrémiste, l’aile gauche chez les Démocrate, l’aile droite chez les Républicains. Mais, la symétrie s’arrête là, car l’équilibre des forces est très différent dans les deux partis, comme l’est aussi l’importance des conflits internes ceci parce que l’aile gauche du Parti démocrate est assez faible, tandis que l’aile droite du Parti républicain est forte ; il en résulte que le Parti démocrate est plus étroitement en phase avec la majorité de l’électorat américain.

Dans le Parti démocrate, l’Establishment (auquel appartient Obama et la plus grande partie des dirigeants) est très largement dominant. Ainsi, l’aile gauche, par exemple les Progressive Democrats of America, un Comité d’action politique (PAC) qui opère à l’intérieur comme à l’extérieur du Parti, est peu important. Au Congrès, quelques représentants de gauche ont une forte notoriété, comme Dennis Kucinich, Barbara Lee, Bernie Sanders ou Barney Frank (qui quittera cette année la Chambre des Représentants). Les deux fractions entretenant des positions très différentes sur les libertés publiques et la politique économique, l’Establishment contrôle généralement les décisions concernant l’action du Parti. Tandis que des groupes bien plus orientés à gauche se montrent souvent critiques à l’endroit d’Obama et des positions de la gauche modérée du Parti, leurs critiques sont, en général, assourdies.

Le Parti républicain est, au contraire, profondément divisé et comporte des fractions profondément engagées dans une bataille intense dont l’enjeu est l’âme du Parti. Même si l’Establishment dispose de la décision ultime, il est actuellement défié par une coalition des membres de son aile droite comportant le Tea party, des chrétiens de droite, des néolibéraux dogmatiques et des conservateurs économiques ultra-riches. Les débats présidentiels républicains et les primaires ont été le champ clos de cette guerre civile qui a été décrite par Daniel Henninger, partisan des Républicains et directeur adjoint du Wall Street Journal, en page éditoriale comme une « destruction mutuelle assurée ». La question importante question sera de savoir si, une fois que le Parti républicain aura désigné son candidat, ses électeurs oublieront que ce n’étaient pas les Démocrates, mais le candidat de leur parti à la présidence qui qualifiait les autres de menteurs, lobbyistes, fraudeurs fiscaux et hypocrites.

Romney appartient, par excellence, à l’Establishment, ce qui est un motif pour les tentatives désespérées – et jusqu’à présent infructueuses – de la droite dure pour trouver une alternative crédible à sa candidature. Dans sa tentative avortée pour obtenir l’investiture républicaine lors de la présidentielle de 2008, Romney avait fait appel à l’extrême droite. Cette année, il a à la fois insisté sur ses solides créances conservatrices et souligné ses succès dans sa carrière d’homme d’affaires. S’il devient le candidat républicain, il devra affronter un dilemme incontournable : s’il tente de prendre ses distances à l’endroit de l’aile droite du Parti les positions ultraconservatrices qu’il a adoptées dans le débat national reviendront le hanter ; en revanche, s’il maintient ces positions, il déplaira à l’électorat centriste. En un mot, il risque d’être considéré par les deux ailes du Parti comme une girouette.

Naturellement, la victoire d’Obama repose sur l’hypothèse qu’il n’y aura pas de mauvaise surprise avant l’élection de novembre, telles qu’une attaque de l’Iran, l’implosion de la zone Euro ou une augmentation durable du prix du pétrole. Comme l’a sagement noté un historien, il est beaucoup plus facile d’expliquer le passé que de prédire l’avenir. Mais, sauf désastre majeur, il faut s’attendre à ce qu’en novembre, Obama échappe au destin de Gerald Ford et de Jimmy Carter et à ce qu’il jouisse de quatre nouvelles années de résidence à la plus fameuse adresse du monde : 1600 Pennsylvania Avenue. Si, en novembre, les électeurs s’en tiennent à ce qu’ils disent dans les sondages, il faut parier sur Obama.