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Petites et grandes nouvelles du pétrole et du gaz naturel dans le monde en 2011

par

Par Pierre-René Bauquis, Professeur d’Économie Énergétique, ancien Directeur Stratégie et Planification du Groupe Total

Introduction

Année de crise financière et économique, 2011 a été marquée par de fortes disparités dans la croissance des économies.

Cependant, en ce qui concerne les énergies fossiles, 2011 a pour l’essentiel confirmé les tendances des années précédentes.

On constate tout d’abord que les énergies fossiles ont continué à représenter de l’ordre de 80% des productions mondiales d’énergies primaires commerciales qui se sont montées à environs douze Gtep en 2011 :

  • le pétrole quasi-stable à 4,0 Gtep
  • le charbon en croissance à 3,5 Gtep
  • le gaz en croissance à 3,0 Gtep

On constate d’ailleurs que les prix du brut qui avaient quadruplé entre 2003 et 2009, se sont maintenus et ont même augmenté dépassant les 100$/bbl en moyenne sur l’année. Pour l’industrie pétrolière et gazière, ces prix ont permis de financer un niveau record d’environ 550G$ d’investissements dans les secteurs de l’exploitation et la production, sans grandes difficultés, alors que nombre d’Etats rencontraient quant à eux des difficultés croissantes au cours de l’année 2011 pour emprunter sur les marchés. Pour les lecteurs peu familiers avec les « megachiffres » ce montant représente le cout de plus de cent porte-avions nucléaires !

Les seules ruptures majeures de l’année 2011 concernent l’avenir à moyen terme du gaz naturel qui voit son marché futur s’élargir en conséquence de l’accident majeur de Fukushima et son potentiel de production se renforcer par l’émergence accélérée des gaz non-conventionnels.

Ces grands traits du paysage mondial des hydrocarbures en 2011 sont généralement connus : si on veut tenter d’aller plus avant dans le détail pour saisir comment a évolué notre vision du panorama de l’avenir du pétrole et du gaz, il nous faut quitter notre hélicoptère et aller sur le terrain…

Quoi de neuf en 2011 sur le pétrole ?

En matière d’exploration pétrolière, 2011 a confirmé et poursuivi les bons résultats des trois années précédentes, les découvertes s’étant concentrées pour environ 50% dans des offshores très profonds, en particulier au Brésil, en Afrique Occidentale et dans le Golfe du Mexique. L’offshore de la Guyane a lui aussi, connu une découverte potentiellement intéressante. Cependant, ces nouvelles réserves connaîtront de longs cycles de développement de l’ordre de 10 à 15 ans contre les 5 à 7 ans traditionnels et leur potentiel cumulé de production à l’horizon 2025 permettra de compenser le déclin des champs matures traditionnels sans apporter de potentiel significatif d’accroissement de la production mondiale.

Il en résulte à nos yeux que le niveau du « Peak oil » à environ 100Mb/d n’en est pas sensiblement modifié et sa date, autour de 2020, n’en est pas modifiée non plus. Cependant, ce maximum prendra de plus en plus l’allure d’un plateau, donc d’un déclin très ralenti. La montée en régime des productions de bruts ultralourds se poursuit dans l’Athabasca, tandis qu’elle est très ralentie dans le bassin de l’Orénoque, mais là aussi il s’agit de cycles de développement longs et de taux de depletion (soutirage) faibles.

Enfin, les « nouveaux/nouveaux » pétroles que sont « les pétroles de roches mères » (appellation évitant les confusions entre shale oil et oil shale) ne constituent à l’heure actuelle que des réserves marginales à l’échelle mondiale. Il faudra attendre deux ou trois ans pour mieux juger de leur potentiel.

Face à cet essoufflement de l’offre pétrolière mondiale, la demande se réduit dans les pays de l’OCDE, en partie du fait de la crise économique et de la hausse des prix pétroliers, mais aussi par l’émergence de véritables sources de réductions avec les véhicules hybrides (on passera le cap des 1 millions de véhicules en 2012) et des premiers hybrides rechargeables. Ces derniers apparaissent comme les rameaux d’olivier apportés par la colombe Toyota sur une Arche qui prend sérieusement l’eau !

Quant à l’impact de Fukushima sur la production pétrolière à terme, celui-ci devrait être négligeable, de même que le désastre de Macondo dans le Golfe du Mexique. Ces deux accidents majeurs possèdent un second point en commun (outre leur absence d’impact sur la demande ou l’offre de pétrole) : ils devraient coûter chacun de l’ordre de 50G$ à leurs responsables présumés que sont TEPCO (Tokyo Electric Power Company) pour Fukushima et BP pour Macondo.

Quoi de neuf en 2011 pour le gaz ?

En ce qui concerne le gaz, les évolutions porteuses de sens pour l’avenir ont été sensiblement plus nombreuses en 2011 que pour le pétrole. La première est la confirmation de l’émergence d’une troisième famille de gaz non conventionnels, les « shale gas » ou gaz de roche-mère, produits pour 95% aux Etats-Unis.

En 2011, les gaz non-conventionnels ont représenté aux USA 300Gm3 soient 50% de la production américaine (600 Gm3) ou 10% de la production mondiale. Ces 300Gm3 sont répartis comme suit : 150 Gm3 de « tight gas », 50 Gm3 de CBM ou « Coal Bed Methane » et quelques 100 Gm3 de « shale gas ». De nombreux pays pourraient présenter d’importantes ressources de shale gas : la Chine, la Russie, l’Argentine, la Pologne… et même la France mais je n’en dirai rien. Il ne serait pas charitable de tirer sur une ambulance voulant secourir les nostalgiques du Larzac en temps d’élections ! L’émergence des shale gas a une conséquence mondiale : on ne sait plus estimer le niveau ni la date d’un peak gas et il faudra plusieurs années pour y voir clair.

Les autres gaz non conventionnels ont progressé eux-aussi en 2011 et il faut citer le premier projet de GNL (15 à 20G$) reposant sur un approvisionnement en CBM, en Australie.

L’année 2011 a également été une bonne année pour l’exploration gazière, en particulier en Australie, au Brésil, au Venezuela, au Mozambique et en Israël, pratiquement toutes ces découvertes se situant offshore. On devrait assister, comme pour le pétrole, à un allongement des cycles de mise en production de ces nouvelles ressources gazières. Le cas de Shtokman en est une illustration : les premiers forages remontent à près de 25 ans et le projet n’est pas encore formellement lancé.

Une autre évolution importante en 2010/2011 concerne les prix du gaz naturel : on nous répétait depuis dix ans, quinze ans, que les différences de prix du gaz selon les grandes régions allaient se réduire grâce au développement du GNL… et nous avons assisté à l’inverse !

Deux raisons majeures expliquent ce phénomène :

  • aux USA, c’est la croissance des productions de gaz non-conventionnels qui a fait passer ce marché de « gros importateurs potentiels » (vision 2005) à « exportateurs potentiels » avec la signature fin 2011 par le groupe Cheniere d’un contrat d’export de 3,5MT/an à British Gas à partir du terminal de Sabine Pass.
  • en Europe, c’est le développement des prix SPOT de référence au niveau d’un réseau de HUBs. Cette évolution constitue en fait une révolution tant pour les importateurs européens que pour les exportateurs de gaz vers l’Europe : Russie, Norvège, Algérie, Moyen-Orient, Afrique.

Le résultat de ces évolutions est une disparité des prix jamais vue auparavant, avec en gros trois zones de prix : 4$/MMBtu aux USA, 8 en Europe et 16 au Japon a la date de mars 2012.

Malgré ces turbulences qui malmènent les contrats de long terme indexés sur les produits pétroliers Gazprom a complété en 2011 une pièce majeure de son dispositif d’exportation de gaz vers l’Europe avec la mise en service du gazoduc Nordstream.

Nous avons signalé enfin dans notre introduction l’impact à moyen terme de Fukushima sur la demande mondiale de gaz, que l’on peut estimer être de l’ordre de 100Gm3/an de demande supplémentaire à l’horizon 2025/2030.

J’arrêterai là le résumé de ce que nous a apporté comme nouvelles l’année 2011 en ce qui concerne les industries du pétrole et du gaz. Je n’ai volontairement rien dit sur les futures contraintes sur les émissions de CO2. Je n’ai rien dit non plus sur le nucléaire qui n’était pas l’objet de cet article, mais les lecteurs auront compris d’eux-mêmes que face aux problèmes de disponibilité (pour le pétrole) et face aux aléas politiques de la sécurité des approvisionnements (pour le gaz), le nucléaire constitue la carte majeure pour un pays comme la France. Tout ce qui pourrait affaiblir l’avenir de ce secteur est donc à proscrire.