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Barack Obama vient d’effectuer un voyage en Asie orientale qui, du 13 au 19 novembre, l’a conduit successivement au Japon, à Singapour, en Chine et en Corée du sud. Non sans raisons apparentes, les médias se sont focalisés sur les étapes de Shanghai et de Beijing : les États-Unis sont les débiteurs de la Chine, qui dépend d’eux pour ses exportations et, comme l’a dit l’hôte de la Maison blanche devant des étudiants chinois, les grands défis de notre temps ne peuvent être relevés sans l’engagement des deux pays, ce qui explique pourquoi Henry Kissinger, comme Zbigniew Brzezinski, ont recommandé la constitution d’un G2. Il a été convenu de poursuivre le dialogue stratégique sur les questions économiques et financières, de s’informer réciproquement des affaires militaires, de poursuivre la coopération scientifique et technique, notamment en matière de transports, et de participer de façon constructive au sommet de Copenhague. À minima faudrait-il dire, les États-Unis se situant en deçà des objectifs de Kyôto et étant parvenus à faire endosser une partie des responsabilités aux pays émergents, dont la Chine, qui prend d’ailleurs conscience de l’ampleur et de l’urgence du problème. Les questions qui fâchent – le Tibet, les droits de l’homme, la parité du yuan – ont été laissées de côté, ce qui a été reproché par l’opposition républicaine, oublieuse que ce n’est pas si simple et qu’il y a d’autres sujets de désaccord, le privilège exorbitant du dollar, l’origine de la crise financière, les obstacles dressés devant certaines exportations chinoises ou les conséquences des aventures militaires poursuivies depuis plus de huit ans dans le « Grand Moyen-Orient ».

Les autres étapes n’étaient pas de pur protocole. Avec Tôkyô, les choses ne sont plus aussi aisées qu’il y a peu. Le nouveau gouvernement souhaite réviser l’accord léonin concernant le redéploiement de certaines des bases américaines étalées à Okinawa et revoir le montant des sommes faramineuses qu’il doit consentir à verser pour cela. Pire, l’archipel semble enfin découvrir qu’il est asiatique et, sans remettre en cause l’alliance avec les États-Unis, vouloir se libérer d’un protectorat qui l’empêche de jouer un rôle à sa mesure dans cette partie du monde. C’était plus facile à Séoul, dans la mesure où les autorités de Corée du sud ont remis en cause la politique (sunshine policy) suivie à l’endroit de la République Populaire démocratique de Corée et entendent conclure un accord bilatéral de libre-échange. Mais celui-ci soulève une vive opposition dans les deux pays et il faudra bien que Washington accepte de négocier directement avec la RPDC.

Quelle architecture pour l’Asie ?

Si au cours de ces trois étapes, Barack Obama a rencontré les dirigeants des pays de l’Asie du nord-est, le rendez-vous der Singapour était plus large encore, puisqu’on devait y célébrer le 20ème anniversaire du forum de coopération de l’Asie et du Pacifique (APEC) auquel participait la quasi totalité des pays d’Asie orientale. Un succinct rappel des choses s’impose ici. Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, les États-Unis se sont efforcés de contrôler et de transformer le pourtour de l’Asie, ce que les géopoliticiens anglo-saxons appellent le rimland  : guerres contre-révolutionnaires, réseau de bases, d’alliances et de pactes militaires, mais également intégration économique grâce à la libéralisation des flux de marchandises et de capitaux dont l’APEC était le symbole, en même temps qu’il devait en devenir un instrument privilégié . Et il est vrai que les échanges entre les rives du Pacifique se sont considérablement accrus, que l’extraversion des économies asiatiques s’est accentuée et que les relations internes à l’Asie orientale sont en partie structurées par les chaînes de production établies par les firmes américaines, japonaises ou sud-coréennes.

Mais des choses inattendues se sont produites au cours des deux dernières décennies. D’une part, l’ASEAN, qui regroupe les dix États de l’Asie du sud-est et une population égale à celle de l’Europe des 27, a renforcé sa cohésion interne et est devenue le moyeu des relations internationales en Asie orientale, en créant le cadre ASEAN+3, qui l’associe aux trois pays de l’Asie du nord-est. D’autre part, l’émergence si rapide et massive de l’économie chinoise fait bouger les lignes et déplace le centre de gravité.

Un tournant décisif a été la crise financière de 1997-1998, qui a durement affecté la Thaïlande, l’Indonésie, la Malaisie et la Corée du sud : les causes doivent en être recherchées dans les recommandations, puis les remèdes imposés par le FMI, ainsi que dans les décisions prises à l’époque par les autorités monétaires des États-Unis. L’APEC ne pouvait être d’aucun secours, qui baignait dans le « consensus de Washington », et le Japon, qui aurait pu faire preuve d’audace, s’est complu dans les déclarations velléitaires. Les leçons de cette crise violente n’ont pas été oubliées. Les États asiatiques qui le pouvaient ont constitué de colossales réserves de change, veillé à maintenir des parités compétitives, soutenu leurs champions nationaux et dopé leurs fonds souverains. Plus récemment, face à la crise systémique née aux États-Unis, ils ont cherché à soutenir la demande intérieure par les investissements publics et coordonnent leurs politiques monétaires et financières (accords swap, constitution d’un fonds régional de 100 milliards de dollars, etc.), multiplié les accords bilatéraux, multilatéraux ou régionaux dits de libre échange, à un point tel que l’on parle désormais d’un « bol de nouilles » peu conforme au cycle de négociations de Doha.

Ne pas rester en dehors

Aucune des économies de l’Asie orientale ne peut se passer des débouchés occidentaux et ne cherche à le faire. Toutefois, l’effort d’autonomisation par le rapprochement des politiques et l’amorce d’une régulation intra-régionale est indéniable, quand bien même le chemin à parcourir reste long et les contradictions nombreuses. Or, cette autonomisation pose problème aux États-Unis, qui sont exclus de l’ASEAN+3 et qui se trouvent progressivement marginalisés dans un processus de prise de décisions dont d’ailleurs ils comprennent mal les procédures. Il importe de réagir et de refaire le terrain perdu sous les deux mandats du 43ème président, lorsque la « longue guerre contre le terrorisme » était l’alpha et l’oméga des relations internationales et que les sommets de l’ASEAN étaient snobés par la Maison blanche. C’est là le sujet qu’aborde et ce sont là les recommandations qu’énonce leCouncil for Foreign Relations, le plus ancien, le plus réputé et le plus influent des think tanks américains, dans un rapport de novembre dernier au titre révélateur : « Les États-Unis dans la nouvelle Asie » (« The US in the New Asia »). Objectifs : accepter l’existence d’associations exclusivement asiatiques quand c’est impossible de faire autrement, mais parvenir à les chapeauter, comme cela se fait si aisément avec l’Union européenne, et se faire accepter dans les plus essentielles, de façon à réorienter l’ensemble vers la doxa de Doha. C’est la raison pour laquelle Washington vient, par exemple, de signer l’ « accord de paix et d’amitié » que propose l’ASEAN à qui veut bien s’intéresser à elle et Obama peut se targuer d’être le premier président des États-Unis à avoir réuni autour de lui ses dix membres à l’occasion de l’escale de Singapour.

Cela doit être complété par une forte et active présence militaire grâce à laquelle les États-Unis sont censés jouer le rôle de la puissance maritime exploitant les contradictions internes du continent voisin et les régulant à son profit, selon le modèle des relations établies avec l’Europe continentale par le Royaume-Uni, entre la fin du XVIIIème siècle et la deuxième guerre mondiale. Le voyage d’Obama s’inscrit clairement dans cette perspective : « les États-Unis sont de retour » en Asie, avait déjà proclamé Hillary Clinton lors de sa première tournée officielle dans une région où ils disposaient jusqu’à présent de solides points d’appui – comme par hasard, le Japon, la Corée du sud et Singapour -, tout en approfondissant leurs relations avec la Chine, qui se trouve être le centre géographique et historique de cette partie du monde. De plus, et on ne l’a pas assez remarqué, le voyage présidentiel a commencé sur une base aérienne en Alaska, pour se terminer sur une autre base aérienne, à Osan, en Corée du sud.

La rhétorique que déploie Barack Obama appelle l’attention, notamment par le recours rémanent au storytelling personnel. Lors de sa récente tournée, il a insisté sur le fait qu’ayant vu le jour à Hawaï, il se trouve être le premier président natif du Pacifique à la tête de ce pays du Pacifique que sont les États-Unis. Ce refrain confirme l’analyse jusqu’à ses mensonges, puisque Richard Nixon, le Californien, venait déjà de ces rivages. L’ennui majeur est que l’Asie orientale, si elle est bien baignée par l’océan Pacifique, n’en demeure pas moins asiatique et qu’il est difficile aux États-Unis de prétendre l’être également.