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L’étranger dans la campagne

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Rarement campagne électorale n’aura autant fait l’impasse sur les enjeux internationaux et sur leurs articulations au national. Pourtant, s’il est chose certaine c’est que le mondial, loin d’être un facteur extérieur secondaire ne faisant qu’apporter des corrections négligeables aux problèmes locaux, s’impose comme une réalité omniprésente façonnant la vie des États et des individus. C’est ce qu’a traduit inconsciemment l’apparition dans le débat public d’appels à la nécessité d’une protection, d’une maîtrise de souveraineté, d’un primat du politique sur l’économie. Comme s’il devenait urgent de se dégager d’une gangue qui entravait notre liberté d’action, voire la rendait déjà largement illusoire. Pour autant l’analyse de ces processus ou de la place et du rôle de la France dans le monde a t-elle reçu un intérêt à la hauteur de ses enjeux ? La bataille du chiffrage visant à décrédibiliser le programme de l’adversaire a ramené l’essentiel des échanges à des débats comptables ennuyeux dont bien peu arrivaient à s’extraire. Que la politique étrangère de la France ne soit pas débattue doit inquiéter. Cela voudrait-il signifier consensus de la part des principaux candidats ? S’il n’y a pas conflit sur le fond, alors il devient inutile d’en discuter.

La dérive du quinquennat

Pourtant la diplomatie sarkozyste a été stupéfiante d’inflexions, de retournements, de gages inutilement donnés et d’impréparations velléitaires riches de conséquences, au point que l’on a pu s’interroger s’il existait une vision d’ensemble cohérente du rôle de la France dans le monde. En rupture avec les tendances lourdes, consensuelles sur l’essentiel – au point qu’on avait pu parler d’une approche gaullo-mitterrandienne -, l’image de la France dans le monde a été totalement reformatée en cinq années. De l’abandon de toute idée d’indépendance, acquise à l’ombre des blocs de la guerre froide, à la disparition d’une politique arabe permettant de peser sur le conflit israélo-palestinien, en passant par son retour peu glorieux dans le giron de l’Otan ou aux engagements néo-coloniaux en Afghanistan, en Côte d’Ivoire et en Libye, tout fut mis en œuvre pour dilapider le potentiel diplomatique engrangé depuis une quarantaine d’années et spectaculairement réaffirmé avec panache dans le refus de suivre les États-Unis dans leur aventure irakienne.

Car la France ne manque pas d’atouts et a su longtemps s’appuyer sur son statut de membre permanent du Conseil de sécurité, sa puissance militaire nucléaire, la francophonie, son poids dans le PIB mondial, sa maîtrise de la haute technologie, son réseau d’ambassades et de diplomates qualifiés, bref tout ce qui concourt au rayonnement d’un pays. Notre pays a toujours su en jouer en donnant à sa politique étrangère, grâce à son non-alignement, plus de poids qu’elle n’en avait réellement. Pourtant les appels et mises en garde n’avaient pas manqué sur les déconvenues de notre politique extérieure. A commencer par celles d’un groupe de diplomates se dissimulant sous le pseudonyme de Marly et dénonçant notre politique européenne, africaine et méditerranéenne illisible ainsi que la manière dont Washington nous ignorait et la Chine nous avait domptés. Voici à peine deux années, deux poids lourds, Alain Juppé et Hubert Védrine avaient ensemble lancé un cri d’alarme en évoquant un instrument diplomatique « sur le point d’être cassé », sans parler d’un ambassadeur au Sénégal, Jean-Christophe Ruffin, démissionnant et parlant d’un « ministère sinistré, complètement marginalisé ». Tout cela témoigne d’un mépris de l’outil de l’expertise diplomatique que l’on s’est ingénié à court-circuiter.

Amateurisme, style impétueux, promesses sans lendemain, activisme désordonné, diktat de l’instant sans vision, tel semble être sur la forme le bilan des cinq dernières années de la diplomatie du sortant. À de rares exceptions, les prétendants ne semblent pas s’en émouvoir et ne proposent rien de significativement différent, donc pour l’essentiel restent muets et s’apprêtent à rester dans le sillon tracé.

Pourtant, si le style dénote incohérence et agitation, le fond mérite que l’on s’y arrête car il fait sens et doit inquiéter. Pour l’essentiel la voix de la France a effacé sa singularité et abandonné son autonomie en faisant retour dans le giron occidental et atlantique après 43 années d’absence de ses structures militaires intégrées. Cette posture lui a interdit de porter un discours à vocation universaliste et de gagner en influence sur la scène mondiale. Cette banalisation s’est dissimulée un temps derrière l’écran de fumée d’activisme de façade et de propos désordonnés et velléitaires. Mais le style impétueux s’est fracassé devant l’absence de résultats.

L’Union pour la Méditerranée, lancée malgré les mises en garde du Quai d’Orsay, et censée s’appuyer sur deux solides piliers, la Tunisie de Ben Ali et l’Égypte de Moubarak, a sombré en mer avec ces régimes, et la politique arabe n’a pas survécu à l’attitude indécise et floue face au « printemps » arabe, voire à l’inconvenance de propos ministériels proposant notre expertise en matière de maintien de l’ordre. Le silence complice sur les exactions d’Israël au Sud Liban puis dans la bande de Gaza ou notre rôle décisif dans l’expédition punitive en Libye ont fait de cette présidence française la plus pro-israélienne qui n’ait existé depuis l’agression de Suez en 1956, alors même que ce pays se donnait le gouvernement le plus à droite de son histoire. De surcroît cette guerre en Libye a perverti et probablement discrédité pour longtemps le concept de la « responsabilité de protéger » adopté en 2005 par les Nations unies pour venir en aide à des populations persécutées par leur gouvernement ou pour assister celles que leur gouvernement n’était plus en mesure de protéger lui-même. On a assisté à une tactique de renversement de régime, de déstabilisation s’approchant des techniques des conflits de basse intensité. Sans se soucier, bien sûr, se savoir ce qu’il convenait de reconstruire. Comment et avec qui ? A-t-on vraiment cru que la démocratie s’exportait par les armes ?

L’atlantisme affiché, c’est-à-dire un soutien sans faille à l’Otan et aux États-Unis qui y sont aux commandes, nous conduit en réalité dans l’alignement et l’inféodation. Il nous entraîne à imaginer des ennemis au lieu de favoriser l’émergence d’un monde multipolaire et de développer des liens fructueux avec les pays émergents qui représentent l’avenir. Il nous pousse à délaisser et à marginaliser le système des Nations unies comme instance de référence au profit de l’Alliance atlantique et donc à tenir pour négligeable l’avis des trois quarts de la population de la planète.

Rompre avec l’atlantisme

Il s’agit de rompre avec tout cela. D’abord, il faut évidemment sortir de l’Otan qui depuis la fin de la guerre froide n’a plus de raisons d’être sinon de permettre aux États-Unis d’exercer leur emprise sur ses membres et les pousser en situation de servitude volontaire. Il convient également d’exiger la dissolution de l’Otan devenue anachronique et d’en tirer toutes les conséquences en matière de désarmement et de lutte contre la prolifération nucléaire. Le retrait des forces françaises d’Afghanistan ne peut plus être différé. Il doit être fermement proclamé et appliqué.

Il faut saisir cette opportunité de liberté d’action recouvrée pour s’engager hardiment dans une politique de coopération avec les pays émergents et les pays du Sud, là où se trouve l’avenir du monde et hâter la fin d’un monde unipolaire construit sur la puissance militaire. Dans l’espace européen, il convient d’abroger le Traité de Lisbonne et s’apprêter à mener un bras de fer avec les institutions européennes qui n’auront de cesse de s’opposer aux nouvelles orientations choisies par le peuple français. Elles ne sont pas toutes euro-compatibles et la réussite de la victoire des urnes se jouera largement sur ce front, ce qui implique un large développement des solidarités des forces progressistes à l’échelle du continent pour s’opposer à l’axe austéritaire ambiant. Car ce qui sera possible chez nous le sera aussi ailleurs. L’Europe ne doit plus rester une Sainte Alliance occupée à s’opposer aux volontés de changements des peuples. Il nous incombe qu’elle ne les rende pas impossibles ou sans lendemain.

Au vu de la campagne, on peut s’interroger sur la volonté d’un nouveau Président. Fera-t-il de l’ancienne politique une parenthèse ? Se dégagera-t-il de l’ornière ? Ou au contraire chaussera-t-il les pas de son prédécesseur dans un « continuisme » discret ?