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Les ONG pour quoi faire ?

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Alors que la bataille contre l’OMC vient de connaître un premier succès qui doit servir de point d’appui pour accroître la brèche ouverte, les ONG reviennent sur le devant de la scène – ce fut le cas également lors des Sommets des Nations Unies à Rio, Pékin, Copenhague… Même si cette victoire est le produit du refus combiné et contradictoire de la résistance des pays du Sud, des forces politiques et syndicales progressistes des grands pays industriels du Nord ainsi que de nombreuses ONG du Nord comme du Sud. N’allons pas trop vite à vouloir caractériser ce qui vient de se passer comme l’émergence d’une mondialisation citoyenne. C’est tout de même un concept un peu flou. Cependant, émerge la question de l’impossibilité de continuer dans la voie actuelle et celle du comment faire autrement. A cet égard certaines ONG jouent un rôle de résistance. Mais elles ne peuvent remplacer les forces politiques, en particulier les plus progressistes, qui estiment qu’on ne peut laisser seuls les citoyens dans un face-à-face avec les Multinationales et marchés financiers.

Pour ces partis, les États peuvent et doivent jouer pleinement leur rôle. Le mouvement citoyen (partis, associations, syndicats, « société civile » aux frontières bien floues, etc.) doit faire pression sur les États. C’est pourquoi les partis politiques ont le devoir de ne pas ôter aux gouvernements et aux États leurs responsabilités. Les citoyens de notre pays ne semblent d’ailleurs pas s’y tromper. Analysant un sondage paru dans l’Humanité du 30/11/99, S. Rozès notait que la majorité des Français percevait la mondialisation comme « accroissant les inégalités » mais appréciaient en même temps le FMI ou l’OMC comme des « structures relativement neutres enregistrant des rapports de force dans lesquels les gouvernements peuvent se mouvoir ». « 45% des Français pensent que les gouvernements peuvent changer la façon dont se fait la mondialisation (…), changer le cours des choses ». Il en conclut que « les Français pensent que les gouvernements, comme représentants des citoyens, restent la seule référence ». Quelle réhabilitation de la politique !

Quelle autonomie ?

L’existence des ONG a pris de l’importance surtout parce que se développe l’idée qu’elles forment le fer de lance de la « société civile ». Elles apparaissent même comme de véritables substituts à l’État. Elles entrent comme acteurs privilégiés dans les programmes d’organismes tels que la Banque Mondiale et les Banques régionales de Développement. Se prétendant malgré tout « autonomes », les ONG forment en fait un espace d’acteurs socialement diversifiés en dehors des structures de l’État, mais en étroite relation (positive ou négative) avec lui. Or la « société civile » est le lieu de fonctionnement des rapports sociaux (castes, classes, ethnies, de parenté…), c’est-à-dire des interactions entre groupes sociaux n’ayant pas le même poids économique, social, culturel ou politique ni les mêmes capacités objectives ou subjectives d’organisation, ce qui entraîne des interactions harmonieuses ou conflictuelles. Bref, la « société civile » est aussi le lieu des luttes sociales et les ONG sont le reflet de cette réalité. En dépit des intentions ou du niveau de conscience sociale, elles ne baignent pas dans un univers socialement et donc idéologiquement aseptisé.

Il résulte de la logique économique capitaliste étendue à la planète un accroissement de la pauvreté que certains, croyant en la vertu de la main invisible du marché, estiment provisoire mais qui fait peur. D’où les programmes de lutte contre la pauvreté. A partir de la moitié des années 1980, la micro-dimension est valorisée : il faut décentraliser et privatiser l’assistance sociale. On découvre alors les ONG. Non seulement, elles sont plus « proches des pauvres » et moins bureaucratiques ou « corrompues » que les organes gouvernementaux mais, puisque le leitmotiv est de diminuer les fonctions de l’État, elles forment le réceptacle adéquat du secteur privé. Le néo-libéralisme débouche sur le néo-assistancialisme. L’affaiblissement des mouvements populaires systématiquement réprimés ou marginalisés fait apparaître les ONG comme des substituts plus facilement manipulables, éventuellement aussi par l’octroi des fonds provenant de trois sources principales : l’opinion publique, les gouvernements ou organisations intergouvernementales ou d’autres ONG spécialisées dans la récolte de fonds. L’importance grandissante des fonds gouvernementaux ou intergouvernementaux pose une série de questions sur la nature des ONG. Dans quelle mesure sont-elles encore véritablement non-gouvernementales si, dans le Sud, elles accomplissent des tâches que les États abandonnent ou si, dans le Nord, elles entrent comme élément de la politique de coopération des États ?

Le malaise de la dépendance des ONG

Une étude de la Commission coopération développement portant sur les 105 plus importantes ONG françaises, indique que la part de leurs ressources privées est passée de 61% en 1995 à 56% en 1997. Les financements publics proviennent pour les trois-quarts d’institutions internationales, au premier rang desquelles la Commission de Bruxelles (77% des ressources publiques des ONG en 1997). Certaines dépendent jusqu’à 90% de la manne bruxelloise. Les déboires de l’association « Équilibre », qui a du fermer pour avoir engagé des dépenses à Sarajevo sur des promesses de Bruxelles, en sont l’illustration. L’Office Humanitaire de la Commission (ECHO) est devenu le premier bailleur de fonds dans ce domaine. Mis en cause lors des récentes affaires qui ont secoué la Commission, il doit faire face à des réticences d’États qui ne voient pas d’un bon oeil que la France, qui contribue à raison de 18% au budget d’ECHO, voit ses ONG bénéficier de 35% de ses financements. En France, une réflexion est en cours sur le rôle (l’utilisation ?) des ONG. La lecture de l’étude d’Éric Dénécé et Gilles Sohm (Paris, janvier 1997) Les organisations non-gouvernementales, nouveaux outils de conquête des marchés émergents est instructive :

« La guerre pour les parts de marchés mondiaux que se livrent, dans tous les secteurs, les acteurs économiques est devenue une réalité quotidienne. Comparées aux moyens mis en oeuvre par les économies étrangères résolument offensives, les capacités d’action des entreprises françaises sont nettement insuffisantes en raison d’une méconnaissance des potentialités offensives de l’intelligence économique. Il faut procéder à une nouvelle lecture de l’environnement concurrentiel : les approches les plus originales sont fondées sur une dissimulation des réseaux d’influence et sur une utilisation offensive de l’information. L’action humanitaire est un instrument dont tirent partie nos principaux concurrents. Les subventions attribuées aux économies émergentes dissimulent souvent les stratégies d’acteurs politiques et économiques. L’offre de subvention se double d’une offre de services. Les ONG anglo-saxonnes sont des structures para-étatiques loin de la démarche humaniste des ONG françaises. »

Les ONG s’interrogent

Aujourd’hui, les « French Doctors » s’interrogent sur leur instrumentalisation. Comment rester neutre dans un conflit tout en puisant dans les caisses des États (notamment dans les fonds de l’OTAN pendant la guerre des Balkans) et en bénéficiant du soutien logistique de leurs armées ? Réagissant à l’attribution du Prix Nobel de la Paix à MSF, son président, le Dr Biberson manifestait une inquiétude : « On a vu monter en puissance l’humanitaire d’État qui a pratiquement pris la place de ce qui était autrefois l’aide au développement. Nous avons donc tenté de nous démarquer de cet humanitaire d’État qui a… des intérêts différents des nôtres ». Sur l’ingérence humanitaire, il déclarait : « Je trouve que c’est une notion extrêmement toxique. Regardez la Tchétchénie aujourd’hui. C’est se moquer des gens que de saluer le droit ou le devoir d’ingérence à l’occasion de ce prix Nobel. C’est une énorme supercherie (…) Kofi Annan… pense (…) qu’il faut s’acheminer vers un droit d’intervention. C’est un peu simpliste. Si droit il y avait, il faudrait qu’il y ait des contre-pouvoirs, que ce droit soit accompagné de devoirs. Je ne vois pas comment ce droit pourrait être dicté par une poignée de pays occidentaux qui disposent d’un veto au Conseil de sécurité. Ce serait le droit du plus fort, l’arbitraire. On n’interviendrait pas là où sont en jeu des intérêts politiques supérieurs. »