par Michel Rogalski
Une longue parenthèse semble se refermer. L’agenda du désarmement nucléaire, notamment celui des deux plus grandes puissances avait disparu de l’actualité politique depuis une dizaine d’années. Pourtant le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), en vigueur depuis 1970, fait obligation aux cinq puissances « dotées » de l’arme de s’acheminer vers un désarmement. En contrepartie, l’interdiction est faite aux autres États signataires de s’équiper d’un tel type d’armement, mais il leur est reconnu le droit de se faire aider pour maîtriser les formes civiles de l’atome.
Depuis le début de l’année, en fait depuis la présidence de Barack Obama, les déclarations se précipitent qui donnent de l’architecture mondiale de sécurité un autre visage.
Une situation dangereuse longtemps bloquée
Dès l’effondrement de l’Union soviétique, l’obsession américaine sera de sortir des liens imposés par la Guerre froide. Il fallait revoir les accords signés avec l’Union soviétique à l’époque d’un monde bipolaire où la parité militaire était de mise. En réalité derrière cet objectif ouvertement affiché s’en profilait plus discrètement un autre d’une portée encore plus ambitieuse. Il consistait à se dégager des contraintes de l’issue de la Seconde guerre mondiale imposant de gérer le monde avec des Alliés, dans un cadre onusien. L’usage des attentats de septembre 2001 permettra fort opportunément aux États-Unis de se reconstituer comme chef de file contre l’Axe du Mal et de polariser le jeu d’alliances internationales autour de cette idée. Mais un temps seulement, car les péripéties de la guerre contre l’Irak, puis l’enlisement ne permettront pas longtemps la tenue d’une telle posture.
Ainsi, le Traité ABM signé avec l’Union soviétique en 1972, dont l’objectif était de limiter drastiquement les systèmes de défense anti-missiles balistiques de chaque partie, sera dénoncé par les États-Unis en décembre 2001 pour permettre à ces derniers de tenter de mettre sur pied un système de bouclier spatial, aussi irréaliste et infinançable que le projet de « guerre des étoiles » de Ronald Reagan ne l’avait été, mais aussi déstabilisant.
L’Iran, suspecté de vouloir accéder à l’arme nucléaire, servira de prétexte à l’installation en Europe d’un dispositif avancé de système anti-missiles composé d’une station radar en République tchèque et du déploiement de batteries fixes de missiles intercepteurs en Pologne. Ce projet empoisonne depuis plus de deux ans les relations entre les États-Unis et la Russie qui se sent évidemment menacée par ce système contre lequel Poutine avait fermement mis en garde lors de son discours en 2007 lors de la conférence sur la sécurité à Munich. Accompagnant l’élargissement à l’Ouest de l’OTAN, il contribue à freiner toute avancée vers un réel désarmement nucléaire. Ainsi, les négociations START, qui visent à démanteler les armements nucléaires stratégiques et dont la première mouture date de 1991, étaient restées quasiment au point mort durant les deux mandats de Bush. Sauf prolongation, ce Traité est censé expirer le 5 décembre 2009. Quant au Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), il doit être révisé en mai 2010. En réalité ces deux traités sont liés car le TNP invite les puissances nucléaires à réduire leurs arsenaux, dont 95 % sont détenus par les États-Unis et la Russie.
Depuis la présidence de Barack Obama, la vision des choses a changé à Washington. Par petites touches, progressivement, témoignant à l’évidence des obstacles mis en avant par les nostalgiques de l’ère précédente.
Une orientation nouvelle
À la veille du Sommet des Nations Unies, l’annonce officielle de l’abandon du projet du « bouclier antimissile » déployé en Europe constitue un tournant dans les relations russo-américaines. Il s’agit véritablement d’un changement de cap en matière de défense, prétexté par une réévaluation de la « menace iranienne ». Certes, un nouveau projet alternatif, destiné à calmer les inquiétudes tchèque et polonaise, sera mis en œuvre en plusieurs phases et visera à positionner des missiles SM-3 destinés à contrer seulement les fusées de courtes et moyennes portées. En outre des missiles Patriots seraient déployés en Pologne. Mais rien ne serait opérationnel avant 2015 ou 2018. S’ajoute à cela le fait que l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’OTAN ne semble plus d’actualité. On comprend l’inquiétude des pays de l’ex-Europe de l’Est. Ils s’étaient déjà sentis trahis par l’Europe de l’Ouest qui par-dessus leurs têtes dialoguait avec l’Union soviétique durant la guerre froide. Cette fois-ci, ils se sentent lâchés par les Américains et peu remerciés de leur allégeance à Bush lors de la guerre d’Irak. C’est le signe qu’il se passe quelque chose à Washington. On n’y courtise plus la « nouvelle Europe » comme du temps de Bush. La « vieille Europe » qui avait approuvé le bouclier ne dit rien et ne semble pas mécontente d’apparaître désormais comme plus crédible en matière de défense aux yeux de la « nouvelle Europe ».
Mais ce coup de théâtre s’inscrit dans un ciel qui s’est déjà beaucoup dégagé depuis le début de l’année. Les discours et rencontres s’étaient multipliés qui témoignaient de rapprochements conceptuels importants susceptibles de favoriser des convergences. Barack Obama a lancé un chantier ambitieux en matière de réduction d’arsenaux et du renforcement du régime de non-prolifération, n’hésitant pas à faire revoir leur copie aux chefs de l’establishment militaire jugés trop timorés. Sur l’Afghanistan, l’OTAN a déjà obtenu la coopération russe qui accorde le transit de soldats et de matériel militaire vers ce pays par voie aérienne et terrestre. Moscou redoute bien évidemment le retour des talibans à Kaboul. Un accord qui permettra aux Américains de substantielles économies de temps et d’argent.
D’importants discours avaient balisé le terrain. Obama a compris très vite le désir de la Russie d’être traitée en grande puissance avec laquelle dialoguer. Seul le domaine militaire s’y prête réellement. Son discours à Moscou, début juillet, lors de sa rencontre au sommet avec Medvedev, succédant au discours du Caire destiné au monde musulman, lui a permis d’affirmer qu’une « grande puissance ne montre pas sa force en dominant ou en diabolisant d’autres pays », et d’exposer sa volonté de s’engager à « stopper la prolifération nucléaire et à contribuer à construire à terme un monde sans armes nucléaires ». Il proposa également de rompre avec « l’idée selon laquelle la possession de telles armes confère du prestige, ou que nous pouvons nous protéger en choisissant quels pays sont en droit ou pas de les détenir est une illusion ».
La reprise des négociations START s’est amorcée et laisse présager des réductions d’arsenaux supérieures à celles initialement envisagées lors du sommet de Moscou par les deux parties.
Le caillou iranien
Ce dossier n’est pas bilatéral et donc échappe en partie à l’intensité de la coopération russo-américaine, d’autant qu’un quatrième acteur, Israël, s’emploie à le dramatiser. Formellement, l’Iran signataire du Traité de non-prolifération ne peut accéder à l’arme nucléaire, mais dispose de la possibilité de se doter d’une industrie nucléaire à des fins civiles. Tel est le droit international. Mais ce droit international ne peut s’exonérer de l’examen du contexte régional. L’Afrique et l’Amérique latine sont des continents où l’arme nucléaire a été bannie. L’Asie et le Moyen-Orient, au contraire, constituent une zone où le nucléaire militaire a déjà proliféré sous des statuts divers.
Deux pays (la Russie et la Chine) se sont vus reconnaître le statut d’Etats dotés de l’arme nucléaire par le TNP. Trois autres pays (l’Inde, le Pakistan et Israël) ayant refusé de s’engager dans le Traité ont eu légalement les mains libres pour accéder à l’arme nucléaire. Un sixième pays (la Corée du Nord) a quitté momentanément le Traité … puis y est retourné en ayant acquis un potentiel militaire nucléaire dont il négocie le démantèlement à des conditions avantageuses. Enfin, deux autres pays, signataires du Traité (la Corée du Sud et le Japon), ont acquis le statut de pays dit « du seuil », c’est-à-dire en capacité sous des délais rapides (moins d’un an) d’accéder à l’arme, sans s’être vu faire le moindre reproche. Il est vraisemblable que l’Iran, puissance régionale indiscutée, aspire à un tel statut. La présence, à son pourtour d’une armada américaine l’y pousse.
La situation y donc instable et dangereuse. Avant tout parce que ce continent cristallise des situations diverses de droits reconnus ou arrachés et de situations singulières qui ne favorisent pas l’émergence d’une règle légitimement acceptée. Une remise à plat s’impose.