par Rick Wolff
Les résultats des élections de la semaine dernière soulignent les contradictions et les limites de la victoire des démocrates. Comme indiqué dans le New York Times (du 9 novembre 2006, page P7), les quatre cinquièmes des électeurs américains blancs ont voté républicain, alors que les noirs, les hispaniques et les asiatiques choisissaient les démocrates (avec respectivement 89% contre 11%, 70% contre 30%, et 62% contre 38%). En considérant le niveau de revenus des électeurs il est démontré que plus le niveau de vie est bas, plus la marge des démocrates est grande. Les familles gagnant en dessous de $15.000 ont préféré les démocrates aux républicains (69% contre 31%). Plus le niveau de vie est élevé, plus la préférence pour les démocrates baisse : des familles avec des revenus supérieurs à $100.000 – 23 pour cent des électeurs – ont préféré les républicains aux démocrates (52% contre 48%). Les démocrates doivent leurs victoires en grande partie aux plus pauvres et aux moins blancs.
Cependant, en considérant les chiffres contradictoires des familles aux revenus annuels très élevés (150.000 à 200.000$). Ceux vivant à l’Est ont préféré les démocrates (63% contre 37%), c’est un glissement important par rapport à 2004 puisqu’ils avaient voté républicain à 50% contre 48%. Pour les familles habitant sur la côte orientale et gagnant plus de 200.000 $, les résultats de 2006 indiquent une préférence pour les démocrates avec 50% contre 48% comparés à 2004 où ces mêmes familles avaient voté républicain à 56% contre 40%. Les résultats du scrutin dans le Sud, l’Ouest, et le Midwest, montrent, plus modestement, des glissements similaires. Beaucoup d’Américains parmi les plus riches ont changé de parti au cours des deux dernières années.
Les Américains les plus riches fournissent la plupart des fonds pour les campagnes électorales du congrès, les démocrates ont obtenu plus de voix, en partie, parce qu’ils ont obtenu plus d’argent de la part des ménages les plus riches : des sommes utilisées pour contrebalancer les nombreux spots et reportages télévisés essentiellement favorables aux républicains.
Les résultats du scrutin posent une question évidente : pourquoi autant de ces familles riches ont-elles choisi de financer les démocrates et de voter pour eux ? Daniel Gross de la revue SLATE signale : « ces riches en colère, jeunes cadres dynamiques habitant généralement sur la côte, ayant fait des bénéfices inespérés grâce à la Bush tax, ont décidé de voter pour ceux qui, prélèveront plus d’impôts sur leurs plus-values et l’ensemble de leurs revenus, leur patrimoine »http://www.slate.com/id/2153272/ Gross pense que leur haine pour Bush les a conduit à faire passer leurs propres intérêts économiques au second plan. Si tel était le cas, la question serait pourquoi ? Voici une réponse possible.
Ce n’est pas tant ce que Bush a accompli qui est un problème pour ses partisans les plus riches. C’est plutôt la manière, la précipitation, et le coût de ses actions qui ont provoqué leurs critiques toujours plus fortes, leur dégoût, jusqu’à la dérision. En Irak, il a osé aller plus loin en faisant passer d’un coup la politique étrangère des USA, d’une diplomatie multilatérale à un militarisme unilatéral agressif. De même, il est allé plus loin et plus vite en accroissant les inégalités entre riches et pauvres, en cassant ce qui restait de l’état providence. Ces objectifs étaient populaires auprès de la plupart des riches Américains de 2000 à 2004. D’ailleurs, le 11 septembre a permis à Bush d’obtenir le soutien politique et les fonds nécessaires afin de poursuivre ces objectifs plus loin et plus vite. Mais ce que l’on retiendra du 11 septembre dans l’histoire, c’est que la poursuite de la politique de Bush a produit un effet boomerang, pourtant prévisible.
La guerre et l’occupation ont provoqué une violente résistance en Irak que les USA ne peuvent contenir. Plus important encore, presque partout dans le monde l’opposition politique, diplomatique, et idéologique aux USA s’est accrue. Plus la guerre se prolonge, plus les coûts augmentent, et les critiques aussi. Pour faire face à ces critiques, pour juguler une opposition intérieure potentiellement inquiétante pour lui, Bush a déployé des mesures de restriction des libertés civiles et étendu le pouvoir fédéral dans le but de mener une guerre sans fin contre le terrorisme. La transformation de la politique étrangère des USA en politique militaire unilatérale a coûté beaucoup plus cher (sur le plan politique, culturel et même financier, aussi bien à l’étranger qu’aux USA mêmes) que ce que les Américains (aussi bien les riches que les pauvres) étaient prêts à payer. Ils étaient d’accord pour faire avancer les intérêts de la politique étrangère des USA, mais sans précipitation, de façon multilatérale et diplomatique, rien à voir avec l’approche de Bush-Cheney et Rumsfeld.
La même chose est arrivée à la politique économique de Bush (modifications fiscales, allègement de la réglementation pour les entreprises, main d’ ?uvre immigrée à bas salaire, subventions aux industries pourtant déjà favorisées, encouragement à la délocalisation de certains services et productions, et ainsi de suite). Cumulées, ces mesures ont accéléré la baisse des revenus des familles moyennes et modestes. De plus en plus soumises à un travail plus long et plus dur, à des dettes plus élevées, ces familles ont commencé à se plaindre, à critiquer, à s’opposer à la politique de Bush. Les Américains les plus riches ont bénéficié de cette politique économique bien plus que le reste de la population, l’accroissement des richesses et des disparités des revenus le prouvent. Cependant, des luttes, des mouvements de protestation de masse, ont conduit beaucoup d’Américains parmi les plus riches à préférer agir pour adoucir et freiner le programme économique de Bush plutôt que risquer de voir ce programme entièrement rejeté.
Les élections de 2006 peuvent permettre ainsi la poursuite de la politique étrangère et la politique d’économie intérieure de Bush mais moins rapidement, moins brusquement et de manière moins offensive. Ces élections ont affaibli la position de Bush et éliminé certains de ses soutiens les plus agressifs (comme Rumsfeld par exemple). Les démocrates viennent d’être mandatés, par les américains les plus riches, pour adoucir la politique de Bush, et ainsi, éviter peut-être son rejet total. C’est le sens du vote et du soutien financier des ces américains au parti démocrate. Bush, son cabinet, et ses néo-conservateurs gourous n’avaient plus leur confiance pour mener à bien l’infléchissement qu’ils attendaient. (même la commission de James A. Baker III et Lee Hamilton. Chargéde redéfinir la politique en Irak était trop lente, et arrivait trop tard). Beaucoup de riches Américains ont conclu alors que le financement et le vote pour le parti démocrate étaient devenus nécessaires.
Bush et « ses » républicains sont allés trop loin en reconstituant un capitalisme américain digne de 1929, positionnant à nouveau les USA comme une puissance militaire et économique unilatérale mondiale. Cependant, dans cette course aux bénéfices alléchants, ils ont fini par franchir des limites jugées dangereuses, y compris par beaucoup de riches américains. Aussi, ces derniers, se sont tournés vers les démocrates afin d’apaiser ceux qui, si nombreux, ont été offensés, effrayés, ou spoliés par le programme de Bush tout en s’assurant la poursuite de ce même programme. Ce va-et-vient classique entre les deux partis devrait, à nouveau, bien se passer. Les républicains peuvent toujours se consoler, ils savent en effet, qu’une fois que les démocrates auront fait leur travail, les Américains les plus riches reviendront, probablement, les soutenir à nouveau.