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Des rapports Nord-Sud en voie de reconfiguration

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Fin 2007. Le groupe indien Tata se propose de racheter la firme automobile britannique Jaguar. Les fonds souverains chinois, indiens et les banques arabes volent au secours des banques américaines menacées de faillite, victimes de leurs prêts immobiliers à hauts risques.

Été 2007, Niamey. Un conflit surgit entre le Niger, l’un des pays le plus pauvre du monde, et le groupe nucléaire français Areva qui s’approvisionne pour ses besoins en uranium dans ce pays. Désormais, plus rien ne sera comme avant. Le Niger augmente le prix de vente d’un tiers, obtient la fin du « monopole » français et le droit de vendre son uranium à d’autres pays au prix du marché mondial, plus élevé. Le bras de fer tourne à l’avantage du Niger.

Fin 2006, Amérique latine. Les États-Unis convoquent une réunion continentale dans l’espoir de faire adopter l’idée d’une zone de libre-échange de toutes les Amériques. Échec piteux face à l’hostilité d’un continent emmené par l’Argentine et le Vénézuela. Il ne reste plus aux États-Unis qu’à signer en recul quelques accords bilatéraux de libre-échange avec les pays encore soumis comme la Colombie ou le Chili.

On ne compte plus depuis plusieurs années les faits marquants qui traduisent la difficulté du Nord à continuer à imposer au Sud ses conditions comme dans les décennies 80 et 90. Tout s’est précipité depuis l’échec de l’OMC à Seattle en 1999. Les pays se rebiffent. En Amérique latine, les peuples imposent Lula au Brésil, Chávez au Vénézuela, Kirchner en Argentine, Morales en Bolivie, Ortega au Nicaragua et la gauche progresse au Pérou et au Mexique. Les ressources nationales comme les hydrocarbures, l’eau, l’électricité, les télécommunications sont renationalisées. Les compagnies étrangères sont obligées de renégocier leurs contrats. Le monopole de la finance -FMI et Banque mondiale- est contrarié par la création, par six pays d’Amérique latine, de la Banque du Sud. Celui des médias symbolisé par CNN est battu en brèche par Télésur dans ce même continent et par Al Jezira dans le monde arabe. A l’évidence l’initiative est aujourd’hui portée par le Sud. Comment en est-on arrivé là ?

Au lendemain des indépendances

On se souvient comment dans les années soixante, celles qui suivirent les indépendances africaines, le Tiers monde s’engagea dans des politiques de construction nationale et chercha à mettre sur pieds un secteur public pour faire face aux immenses besoins qui surgissaient de partout. Les économies avaient été déformées par l’énorme pillage colonial et avaient dû s’intégrer dans l’économie internationale, c’est à dire servir les besoins erratiques des économies du Nord. Ceci eut un prix ! Et très vite nombre de dirigeants de ces pays comprirent qu’il ne s’agissait pas d’un retard qu’une aide, même généreusement octroyée, pourrait permettre de rattraper, mais bien d’un véritable blocage de développement et qu’il convenait, en plus de mesures structurelles d’ordre interne, de redéfinir leur relations à l’environnement international. A partir d’une volonté politique de développement s’est affirmé le besoin d’en réaliser les conditions permissives au niveau mondial. Ainsi est née l’exigence d’un Nouvel ordre économique international qui sera ratifié -mais jamais appliqué- par les Nations unies en 1974. C’était l’époque où les pays du Tiers monde pouvaient imposer des Codes d’investissement contraignants pour les firmes transnationales. C’est la décennie qui voit la défaite américaine au Vietnam, l’effondrement de l’empire portugais et symboliquement Cuba porté en 1979 à la tête du Mouvement des Non-Alignés.

La crise mexicaine de la dette en 1982 marqua un tournant. L’excès de liquidités financières mondiales poussa les banques du Nord à offrir des prêts au pays du Sud à des taux très avantageux – mais surtout variables. Leur augmentation, conjuguée à une baisse du cours des matières premières sera fatale. Le service de la dette ne pourra plus être honoré. Le FMI imposera vite ses normes d’ajustement structurel pour obliger les pays du Sud à rembourser. Mission accomplie. Cela se traduisit par deux décennies perdues en matière de développement. Les conditionnalités imposées en matière de déficit budgétaire, de gestion monétaire et de libéralisation des échanges réduisirent les marges de man ?uvres politiques du Tiers monde au point d’y déclencher çà et là des « émeutes de la dette ». Exsangues, les pays en développement se voient obligés de s’intégrer encore plus à l’économie mondiale car pour rembourser il faut exporter. Au début ses matières premières, puis son travail à bas prix, puis son travail infantile, puis enfin laisser dégrader son environnement. Et puis il faudra encore pratiquer l’attractivité pour attirer les investissements, c’est à dire concéder des avantages fiscaux aux capitaux étrangers, remettre en cause la protection sociale et le droit du travail, bref faire tout le contraire de la démarche portée par les Codes des investissements des années 60. L’ensemble de cette démarche est connu sous le nom de « Consensus de Washington ».

Des marges de liberté retrouvées

A l’aube du XXI° siècle tout semble avoir basculé. Un nouveau cycle de dynamique économique se met en place, plus favorable aux pays du Sud. Il s’appuie sur le renchérissement des matières premières dont la demande est tirée par l’essor d’autres régions du Sud, comme l’Asie en forte croissance. Alors que les pays du Nord peinent à se situer entre 2 et 3% de croissance, l’Amérique latine et l’Afrique avec 5% se situent au double et l’Asie caracole avec 9-10%. Bien sûr, l’état des finances publiques s’en ressent. Les déficits budgétaires se font plus rares et il n’est plus nécessaires d’aller quémander les prêts ou la venue d’investissements extérieurs pour boucler les fins d’années. Une fois les dettes remboursées -parfois par anticipation- les réserves de devises accumulées dans les banques centrales deviennent des pactoles alimentant les « fonds souverains » qui, ironie du sort, se porteront au secours des banques du Nord ou s’investiront dans leurs plus beaux joyaux économiques.

De nouvelles réflexions prennent naissance dans le cadre de la Cnuced -véritable think tank du Tiers monde- et qui cherchent à substituer d’autres politiques de développement à celle de l’ajustement structurel imposé pour rembourser les dettes. On assiste à un retour du débat sur l’économie du développement que d’aucuns avaient déjà condamnée. Ainsi la 11° Conférence de la Cnuced tenue à São Paulo en2004 recommande aux pays en développement de prendre en compte « la nécessité de concilier au mieux marge de man ?uvre nationale et disciplines et engagements internationaux ». Il est ainsi proposé de remettre en cause l’intégration au marché mondial comme unique stratégie de développement. Bref de gagner des marges de man ?uvre politique.

Ces réflexions s’appuient sur des pratiques nouvelles. On constate un développement plus rapide des flux Sud-Sud que Sud-Nord ou Nord-Sud, qu’il s’agisse d’investissements ou de commerce. Des coalitions nouvelles se mettent en place dans l’ordre international et confirment qu’un monde multipolaire émerge. Le Tiers monde, sous divers rassemblements ou coalitions, accroît sa capacité de négociation collective dans les enceintes internationales. Il résiste de façon décisive à l’OMC en s’opposant à la libéralisation commerciale ravageuse pour ses territoires et agit pour défendre ses acquis pour l’accès aux marchés du Nord que lui offrait l’ancien cadre des Accords de Lomé/Cotonou. Dans les négociations internationales sur l’environnement, où se joue la question du changement climatique, il fait valoir l’intérêt de ses populations au développement sans pour autant nier le caractère indispensable des efforts nécessaires.

Cette démarche collective prend appui sur les expériences nationales nouvelles qui voient le jour, notamment dans l’Amérique latine du tournant à gauche, où l’on assiste à des attitudes de souveraineté maîtrisées qui se traduisent par des revendications sur les ressources naturelles et le réexamen des accords passés avec les firmes étrangères associées à leur exploitation. Le retour d’un discours sur l’autonomie latino-américaine n’est pas sans rappeler les thématiques portées dans les années soixante-dix par le Mouvement des Non-Alignés. L’ordre mondial bouge vite si l’on en juge l’arrivée massive de la Chine en Afrique ou les ambitieux projets du Brésil à l’égard de ce même continent comme en témoigne la récente tournée africaine de Lula. La stratégie américaine doit elle-même s’adapter. Il n’est plus question d’affronter le sud globalement mais d’y trouver des alliés-relais fidèles avec lesquels il est signé des accords de libre commerce comme la Colombie, le Chili ou le Maroc.

Bien sûr des question se posent face à de telles évolutions. Les pays leaders, comme la Chine, l’Inde, le Brésil ou l’Afrique du Sud, agissent-ils pour eux-mêmes ou pour l’intérêt de tous les pays du Sud. Visent-ils simplement à acquérir le statut de grande puissance pour intégrer ses cénacles – Groupe permanent du Conseil de sécurité, G 8 élargi- ou porter les intérêts de l’ensemble des pays du Sud ? Bref, s’agit-il de porter un véritable ordre multipolaire ? Il est encore trop tôt pour se parer de certitudes. Mais ce qui est sûr, c’est que des nouveaux rapports Nord-Sud se redessinent. Et pour l’instant à l’avantage du Sud.