Skip to main content

©

Bibliothèque

Compte-rendu de la 3e conférence de l’ALNEF, Forum du réseau de la gauche africaine

 

L’ALNEF a vu le jour en 2010 sous l’impulsion du Parti communiste sud-africain, du Parti communiste du Soudan et d’autres organisations politiques du continent africain. Elles étaient 34 à participer à la première rencontre de Johannesburg en août 2010. Organisées à Ouagadougou, de 2008 à 2010, les Rencontres de la gauche africaine (RGA) ont depuis 2011 fusionné avec l’ALNEF.

Le réseau reçoit le soutien du Forum internationale de la Gauche suédoise (VIF). En tant que parti politique ayant une représentation parlementaire -20 sièges au parlement-, le parti de la gauche de Suède dispose de fonds du ministère des affaires étrangères pour soutenir les processus de démocratisation à travers le monde. Il contribue financièrement à l’activité de partis politiques progressistes et à la constitution de réseaux politiques de gauche en Asie (en Indonésie surtout), en Amérique latine et en Afrique depuis 2008.

L’assemblée générale de l’ALNEF qui s’est tenue à Bamako du 25 au 27 décembre 2011 avait pour objectif l’adoption du manifeste de l’ALNEF, des critères de participations, des statuts, d’un mécanisme de réponse rapide, d’une stratégie de communication et d’un certain nombre de résolutions jugées prioritaires. L’ambition était également de mener le débat sur des problématiques stratégiques – la solidarité entre les forces de gauche pour assurer la prise du pouvoir, son exercice avec application effective du programme de gauche ; la construction d’un réseau de gauche de la diaspora africaine – et d’actualité – les interventions militaires en Afrique ; les révoltes populaires tunisiennes et égyptiennes.

Lors de la cérémonie d’ouverture, Cheikh Oumar Cissokho, président du parti SADI (Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance) du Mali, qui accueillait à Bamako cette 3e rencontre de l’ALNEF, a insisté sur le contexte de grande instabilité du monde du « à la crise financière et à la crise de la dette. » L’Afrique subit outre le poids des politiques d’ajustement structurel et de la dette, les effets de crises multiples : de gouvernance, de l’éducation, écologique, alimentaire, sécuritaire avec l’augmentation du nombre de narcotrafiquants, et des conflits locaux.

Il a souligné « l’humiliante colonisation au nom de la mission civilisatrice » qui « se perpétue sous des nouvelles formes ». « L’impérialisme attaque à visage découvert et décide de qui doit gouverner dans les pays du sud », a-t-il affirmé, une perception qui est de plus en plus répandue dans l’opinion publique malienne, notamment après le rôle joué par la France dans les crises ivoirienne et libyenne.

Rappelant les héros des luttes pour les indépendances assassinés par les pouvoirs coloniaux ou réactionnaires, le président du SADI est convaincu que dans cette période d’aiguisement des crises et des conflits, de tels crimes devraient se reproduire sous des formes nouvelles.

Face à ces risques de déstabilisation du monde et de l’Afrique, dont plusieurs pays pourraient à l’issue de processus électoraux redoutés, basculés dans le chaos, l’ALNEF a donc pour mission de définir des moyens d’actions politiques, à l’image notamment de l’intégration latino-américaine imaginée par Simon Bolivar en Amérique latine pour libérer le continent du joug de l’impérialisme. L’héritage de Kwamé Nkrumah et de Modibo Keita, notamment, doit être ravivé et mis au service d’une nouvelle dynamique d’intégration dans l’intérêt des populations.

Les mobilisations de la place Tahrir trouvent un écho à Bamako. Elles sont devenues « le symbole fort de cette volonté populaire de faire obstacle à la restauration d’anciens régimes réprouvés ».

Ann Margarete Livh, présidente du Forum international de la Gauche suédoise, a souligné le besoin en ces temps de crise qui profite souvent à la droite et à l’extrême droite, d’un mouvement à l’échelle mondiale communiste et socialiste : « La brutalité du capitalisme impose de travailler ensemble ».

Pour Lotta Fornarve Johnsson, membre du bureau politique, chargée des relations extérieures du parti de la Gauche suédoise, le monde est face à de grands défis notamment celui de la montée de la xénophobie et du racisme, et celui de la menace qu’incarne le changement climatique. L’Union européenne traverse une crise économique inédite qui s’accompagne de fortes protestions populaires en Grèce, en Italie, au Portugal. Les dépenses publiques sont réduites dans les secteurs de l’éducation, de la santé et de la protection sociale. Les femmes en subissent durement les conséquences.

La corruption est aussi en cause. Et pourtant ce sont encore les gens ordinaires qui payent le prix fort de la crise. Les banques doivent prendre leur responsabilité. Des règles doivent être créées concernant la spéculation et l’accaparement des ressources.

L’enjeu de la dette en Europe rappelle ce que vit le continent africain soumis à une logique d’endettement depuis 40 ans. L’UE a en outre négocié des accords de partenariat économique avec les pays africains qui menacent directement leurs secteurs productifs et ouvrent leurs marchés aux multinationales, avec pour conséquence, l’impossibilité pour les populations d’espérer des revenus décents pour subvenir à leurs besoins.

Les mouvements dans le monde arabe ont soulevé des espoirs mais aussi des inquiétudes, notamment en Égypte avec la contre révolution des militaires et la répression qui s’abat sur les manifestants.

Amadou Seydou Traoré, figure de la lutte pour l’indépendance et de la résistance à la dictature militaire de Moussa Traoré au Mali, a rappelé l’histoire du mouvement progressiste africain incarné dans l’Union soudanaise du rassemblement démocratique africain, les forces de la jeunesse et syndicales, et la nécessaire unité dans l’action pour que les forces du changement réussissent.

Après les indépendances et la guerre froide, le camp socialiste d’Europe s’est effondré mettant en difficulté l’ensemble des mouvements qui ont aussi subi le manque de moyens en Afrique et en Asie. Les non-alignés ne sont pas parvenu à peser significativement sur la scène internationale. Dans le contexte de la mondialisation néolibérale, les banques et les marchés sont devenus omnipotents pouvant attaquer librement des Etats souverains.

Cela justifie d’autant plus la nécessité de construire un mouvement panafricain anti-impérialiste au service de l’émancipation du continent.

Pour Chris Matlhako, responsable des relations extérieures du Parti communiste sud-africain, les célébrations du cinquantenaire des indépendances africaines durant l’année 2010 ont démontré le manque de démocratie et de développement. Un tel réseau doit donc s’organiser pour militer en faveur d’une indépendance réelle. Selon lui, cette rencontre symbolise « l’unité des forces révolutionnaires de gauche », convaincues que « le socialisme constitue la clé de l’avenir du continent ».

Oumar Mariko, secrétaire général du Parti SADI, considère le rassemblement des forces de gauche comme indispensable dans un contexte marqué par la désunion des chefs d’Etat africain, notamment face à l’offensive de N. Sarkozy et de l’oTAN en Libye. Ni le président du Mali, ni celui de la Mauritanie ou du Burkina Faso ne s’y sont opposés. Pour ce qui concerne le Mali, 13550 maliens sont arrivés de Libye dans le dénuement le plus total. Plusieurs dizaines de Maliens sont encore emprisonnés par le CNT.

Les élections truquées, les émeutes parfois organisées, le soutien à des candidats sont des moyens utilisés par les anciennes puissances coloniales pour préserver leurs intérêts comme en témoigne le soutien de la France au candidat et nouveau président de la Guinée, Alpha Condé, selon O. Mariko.

Le réseau doit favoriser le partage d’expériences, la formation, l’information, la concertation, l’assistance mutuelle pour déjouer les pressions extérieures exercées par des pays étrangers et les institutions financières internationales. L’ALNEF doit faire la promotion d’un développement de l’Afrique par ses propres forces et non par celles qui sont extérieures au continent.

Plusieurs problématiques au cœur des enjeux d’un changement durable en Afrique sont évoquées :

Les élections :

Une vive critique est émise à l’égard des processus électoraux qui s’organisent sur le continent. Le contexte électoral est porteur de risques de déstabilisation profonde dans plusieurs Etats : le Sénégal (1er tour de l’élection présidentielle prévu le 26 février), le Mali (1er tour des présidentielles prévu le 29 avril), la Guinée (date des législatives encore inconnue), la RDC (scrutin présidentiel contesté avec deux présidents autoproclamés), l’Egypte (cycle électoral marqué par une vive répression des militaires), etc.

Des régimes prédateurs et réactionnaires organisent leur continuité à travers des élections truquées sur la base de modification arbitraire des constitutions, de manipulation des commissions électorales qui doivent pourtant être indépendantes et représentatives des forces politiques actives (litige sur la formation de la CENI au Mali qui ne comprend qu’un représentant de l’opposition et de la société civile), et des fichiers électoraux.

Les appartenances ethniques et tribales sont instrumentalisées à des fins politiques (risque de guerre civile entre peuls et malinkés en Guinée). La répression et l’utilisation de la violence sont de plus en plus répandues.

Les élections deviennent donc facteurs de troubles graves tout en permettant à des régimes vivant du détournement de l’argent public, de spéculation foncière et immobilière, d’utilisation de rente, de se maintenir au pouvoir sans être inquiétés (Guinée équatoriale, Gabon, Tchad).

Les institutions et États extérieurs au continent, censés incarnés une communauté internationale soucieuse de paix et de démocratie, devraient ainsi accompagner de façon impartiale les processus électoraux, tout comme l’Union africaine doit anticiper les crises électorales et mettre en œuvre des mécanismes garantissant un vote libre des citoyens. Les régimes sortant doivent créer les conditions d’un processus transparent permettant l’expression libre de tous les suffrages.

La souveraineté populaire :

La crise économique mondiale, la crise de la zone euro, l’approvisionnement en ressources stratégiques (alimentaires et énergétiques), le changement climatique engendrent une ruée sur les richesses du continent africain qui pose problème du point de vue de la souveraineté des Etats et des peuples sur leur territoire.

Une politique progressiste au service de l’intérêt général doit permettre de poser des conditions précises à l’exploitation des ressources, de préserver les intérêts et les secteurs stratégiques nationaux afin que les acteurs extérieurs, fonds d’investissement, Etats, entreprises multinationales, ne décident pas, en complicité avec des régimes impopulaires ou illégitimes, du type de développement à mettre en œuvre.

La place de l’Etat doit être repensée de façon à ce qu’un développement agricole et industriel puisse être impulsé et servir les objectifs d’un développement endogène du continent.

De ce point de vue, la réforme agraire est jugée essentielle. Les masses paysannes constituent la majorité des actifs dans les sociétés africaines malgré l’urbanisation rapide et la croissance sans limite des métropoles. Or, les systèmes et conditions de production sont encore archaïques. Les gouvernements et institutions internationales dont la mission est pourtant de soutenir le développement, se sont détournés de l’agriculture pour se concentrer sur les secteurs d’exportation et les matières premières. Les ressources agricoles et de la pêche sont cependant une richesse essentielle pour le continent qui possède un potentiel encore très inexploité mais menacé par le changement climatique et les choix de développement effectués. Des accords commerciaux défavorables aux pays africains limitent en outre le bénéfice que le continent peut tirer de ses ressources (APE UE-ACP, accords de pêches, accords avec les Etats-Unis).

Dans le contexte d’une crise économique et financière internationalisée du fait de la mondialisation néolibérale, la ruée sur les terres s’accélère depuis 2008 et la crise alimentaire. Les produits agricoles et la terre arables deviennent des valeurs refuges. Les investissements fonciers ont cru rapidement ces dernières années. Profitant d’un cadre législatif ambigu, les investisseurs étrangers et nationaux s’emparent de vastes surfaces qui ne sont pas, dans la plupart des cas, exploitées en faveur des populations nationales et de leur sécurité alimentaire, mais qui produisent des denrées exportées à l’étranger (biocarburant, riz, céréales, coton, etc.). Les petits paysans qui pratiquent une agriculture vivrière à des fins commerciales souvent assez limitées se retrouvent spolier de leur terre et contraints de migrer ou de travailler comme ouvriers agricoles dans les plantations. Cette situation nécessite des mesures rapides en faveur d’une réforme agraire dans les pays africains qui sécurisent les exploitations familiales et le droit des paysans à vivre dignement du travail de la terre.

C’est la condition sine qua none pour que les populations sortent durablement de la pauvreté.

Les valeurs morales, l’intégrité en politique et l’unité de la gauche :

Le réseau a consacré une part importante de ses débats à clarifier le terme de gauche pour comprendre ce qu’il recouvrait exactement. En Afrique, la gauche qui est arrivée en responsabilité n’a pas appliqué les principes qu’elle s’était fixée. La corruption, l’enrichissement personnel au détriment de l’intérêt général, la monopolisation du pouvoir ont caractérisé tout autant qu’à droite sa pratique du pouvoir (Sénégal, Mali, Burkina Faso, Congo-Brazzaville). Lorsqu’elle se revendique de l’opposition, il n’est pas toujours évident de saisir la profondeur de ses engagements. Au contraire, le constat est souvent fait d’un manque de courage politique pour affirmer des idées d’opposition lorsque cela est nécessaire, et d’une transhumance au gré des avantages que le parti majoritaire est disposé à offrir à ces représentants. Les gouvernements entretiennent une confusion sur ce qu’est l’opposition pour mieux l’instrumentaliser.

Ce problème devient plus aiguë lorsqu’il est question de construire des alliances pour battre le régime contesté. La viabilité des coalitions tient à l’intégrité de ceux qui l’incarnent et à la fidélité de leur engagement pour une société plus juste. Le cas de coalition ayant permis à des personnes d’être portée au pouvoir pour ensuite réaliser l’inverse de ce qui avait été convenu au sein de l’alliance, est répandu.

Les débats sont ainsi traversés par des distinctions entre « gauche dure », à la capacité de compromis limitée et mesurée, et « gauche molle », qui tourne le dos à la transformation profonde de la société et fait alliance avec les forces du centre ou de droite.

Souvent la gauche se caractérise par sa division. Les forces sont dispersées. Le travail unitaire devient donc le défi majeur qui commence par la formation et la construction collective d’une ambition. Il est pertinent au niveau national, mais aussi régional.

La mobilisation populaire et la conscientisation des sociétés :

Dans des Etats en déliquescence, sous l’effet des pressions extérieures et de la responsabilité des élites locales, les populations sont souvent désabusées de la politique dont elles n’espèrent pas de changement. La violence et les conflits marquent les mémoires et dissuadent de pratiquer un engagement partisan. Par ailleurs, l’isolement, l’analphabétisme et la misère relèguent bien souvent la politique au rang de préoccupation lointaine et non déterminante pour le quotidien.

Le défi des forces de gauche dont les moyens sont en outre souvent très limités devient celui de la diffusion des idées, de la persuasion, de la mobilisation. Le réseau a ainsi pour tâche de réfléchir à des supports de communication accessibles à tous (exemple d’une BD pour jeune public intitulée « capitalisme et esclavage » à Trinidad) et à des vases communicants entre partis politiques, forces et médias de gauche, site internet, radio, etc., pour tisser un maillage efficace, transmettre des informations et actionner les leviers de mobilisations.

Les radios jouent de ce point de vue un rôle particulier pour les populations qui sont encore majoritairement analphabètes. Des convergences régionales pourraient s’organiser entre radios, notamment sur la zone sahélienne Mali, Niger et Burkina Faso avec les radios Kayira et Alternative Niger, par exemple. Les jeunes peuvent être à l’initiative de tels échanges.

Le réseau pourrait aussi se doter d’une revue pour concrétiser l’échange d’expériences et d’analyses, participer à la formation des militants et sympathisants.

Les mobilisations populaires contre la vie chère qui se déroulent depuis plusieurs années dans la quasi-totalité des pays africains peuvent constituer un terreau fertile pour une remobilisation citoyenne autour d’enjeux politiques. Les partis politiques progressistes doivent unanimement soutenir ces manifestations.

Au Kenya où la gauche n’est pas enracinée dans l’histoire politique du pays, les mouvements sociaux ont été précurseurs des mobilisations, notamment dans les villes et avec les mouvements pour la défense des droits fonciers et de l’accès à la terre.

La révolte populaire constitue une voie légitime pour le changement, quand les élections ne permettent plus l’alternance et la redéfinition des politiques, comme en ont témoigné les soulèvements en Tunisie. Les partis ont d’abord sous-estimés leur ampleur considérant qu’il ne s’agissait que d’une répétition des grèves du bassin minier de Gafsa en 2008, précurseurs de la révolution en cours depuis le 17 décembre 2010.

Le printemps arabes a démontré que les dictatures sont souvent des tigres de papier qui craignent les mobilisations populaires. Les partis de gauche doivent donc se préoccuper constamment des exclus et des populations de journaliers, de précaires qui souffrent et subissent l’humiliation de façon quotidienne.

Les rassemblements des indignés en Europe et le mouvement Occupy Wall Street aux Etats-Unis sont aussi légitimes dans le sens où ils traduisent l’insatisfaction des peuples. Aux Etats-Unis, les grands médias et pouvoirs dominants cherchent donc une stratégie pour délégitimer ces mobilisations en lançant une campagne visant à dénigrer les manifestants assimilés à des soulards et des drogués anarchistes.

Il est proposé d’organiser des espaces de mobilisations notamment à l’occasion des sommets de l’UEMOA par exemple, et de tenir des contre-sommets populaires. Les élections peuvent aussi devenir un moment de mobilisations pour favoriser la mise en place d’un contrôle populaire du processus électoral.

La monnaie et l’indépendance financière :

Le Franc CFA est perçu comme une survivance anachronique de l’empire colonial français. Construire une Afrique indépendante nécessite de se soustraire à la domination de l’oligarchie financière et donc de forger une monnaie indépendante. Il est d’ailleurs souligné que Kadhafi avait le projet de lancer une monnaie africaine qui aurait pu remettre en cause la domination du Franc CFA dans les anciennes colonies françaises. Cette considération peut avoir sa place dans les raisons qui expliquent les motivations de l’offensive militaire emmenée par la France sous la bannière de l’Otan.

Les participants ont de vives inquiétudes sur les conséquences de la crise de l’euro sur le Franc CFA. La France pourrait espérer limiter les conséquences de la crise en provoquant une dévaluation, ou une redéfinition de la parité avec l’euro. Une telle politique aurait des conséquences négatives sur l’inflation, le pouvoir d’achat et les conditions de vie des Africains de la zone francophone et par extension sur tout le continent.

La sortie du Franc CFA exige néanmoins d’en penser les implications en concertation avec les organisations de la diaspora africaine et les forces progressistes d’Europe. Un atelier de réflexion et de propositions sur la monnaie pourrait s’organiser de manière à maîtriser davantage les enjeux et fonder une alternative crédible à la situation actuelle qui intègre l’articulation avec une reprise de contrôle sur les banques et les marchés financiers.

A un autre niveau, le réseau doit également concevoir les moyens de son autonomie financière. Une cotisation sera demandée à chaque membre. Le recours à des bailleurs extérieurs est indispensable au début, mais il ne devra pas constituer une donnée permanente.

Le fossé est grand entre des forces progressistes aux moyens dérisoires et les forces réactionnaires financées par les multinationales, l’utilisation des rentes et de la spéculation. La démocratie devient celle de l’argent et des riches. Dans un tel contexte, la mobilisation des populations devient un des seuls leviers permettant de changer la donne. La solidarité matérielle entre forces de gauche doit être mutuelle et réciproque. L’économie sociale et solidaire peut soutenir la construction d’une alternative politique. Au Brésil, les forces de gauche agissent avec le soutien du secteur de l’ESS.

La solidarité :

Elle doit se déployer à différents niveaux, sur le plan local, national, régional et continental en Afrique et avec les partis et organismes d’Europe et d’Amérique latine. Le travail en réseau de la gauche africaine peut permettre aux partis européens de mieux relayer l’information sur l’Afrique auprès des institutions, des organisations militantes et des opinions publiques.

Elle doit permettre un dialogue permanent pour une meilleure compréhension mutuelle. Concernant l’offensive de l’OTAN en Libye, la gauche africaine doit savoir qu’en Europe des positions diverses se sont exprimées. En France, les parlementaires du groupe communiste et républicain se sont opposés à l’intervention militaire contrairement aux socialistes qui l’ont approuvé à l’exception d’un député. Bien que des désaccords existent entre les partis, l’unité du camp progressiste est nécessaire pour faire avancer les idées de changement. Elle est possible si les différents membres sont correctement informés des positions des uns et des autres. La solidarité implique également d’empêcher la cristallisation des enjeux à partir d’une lecture en termes de choc des civilisations et d’affrontement entre camp occidental et reste du monde. L’Occident renvoie à des dimensions culturelles, idéologiques, politiques, économiques et sociales diverses, non-homogènes dont la cohérence est limitée et débattue. Le sens qu’on lui donne dépend donc fondamentalement de l’analyse des enjeux et ne peut être univoque. En Occident, les affrontements politiques sur l’avenir et les choix de sociétés sont vifs, notamment dans le contexte de la crise. Il convient d’éviter les généralités qui nuiraient à la compréhension des luttes en cours et à l’établissement des convergences nécessaires pour construire une alternative cohérente au capitalisme financiarisé.

Concernant la France, il convient de clarifier que la politique menée par le gouvernement de N. Sarkozy ne reçoit qu’un soutien de plus en plus limitée dans l’opinion (victoire de la gauche aux élections régionales, locales, européennes et au sénat) et qu’elle est combattue par des acteurs politiques et sociaux : partis, syndicats, associations, intellectuels, chercheurs.

La condamnation de l’impérialisme, de l’ingérence et de l’interventionnisme militaire ne doit pas encourager l’expression d’un racisme anti-blanc, d’un sentiment anti-occidental ou anti-français qui diviseraient et isoleraient les acteurs politiques sur la base de considérations artificielles.


Débat sur les interventions militaires et les luttes populaires :

Plusieurs intervenants ont tenu à souligner que si l’intervention militaire en Libye ne peut constituer une sortie de crise permettant la paix et la construction d’une société de justice et de droit, et qu’elle doit être condamnée avec force, le régime de Kadhafi ne peut être cautionné pour autant. Instaurer un pouvoir autocratique de plus de 40 ans constitue un frein au développement de la démocratie et un signe de la faiblesse des structures politiques.

Aminata Dramane Traoré estime que les Africains ont pu s’identifier aux Tunisiens en lutte car l’immolation de Mohamed Bouazizi est le symbole du désœuvrement des jeunes et de l’absence de perspective en termes d’emploi, une préoccupation largement partagée par la jeunesse africaine.

Elle a justifié l’aventure impérialiste en Afrique du Nord par la sauvegarde des intérêts stratégiques de l’Occident : « L’effet tache d’huile en Égypte a pris de cours l’ensemble des acteurs. La France a voulu reprendre le dessus en déboulonnant Kadhafi. Les puissances occidentales ont instrumentalisé la cause des peuples pour justifier le renversement d’un régime qui était devenu un obstacle. Kadhafi les a défiés sur leur propre terrain. Le fonds d’investissement libyen devenait gênant pour le capitalisme occidental. Au plan culturel, l’image de Kadhafi est le symbole d’une identité africaine dans un monde occidental en profonde crise civilisationnelle. »

« Les Occidentaux veulent faire croire qu’à la faveur des élections, les intérêts de la population pourront être défendus, alors qu’ils ne soutiennent pas les forces réellement démocratiques et de progrès. Ils veulent que se mettent en place des régimes qui puissent les aider à sortir de la crise systémique dans laquelle ils sont empêtrés. »

« Le monde capitaliste financiarisé se pose l’enjeu de l’accès aux ressources et donc d’une conquête à caractère néocoloniale notamment pour les besoins énergétiques. La France se rabat sur le pétrole du Gabon et sur l’uranium du Niger. Il s’agit de pillage en bonne et due forme. »

Pour A. Traoré, la gauche doit trouver des réponses aux enjeux majeurs de l’emploi en crise depuis la privatisation des entreprises publiques et le démantèlement des secteurs productifs. La classe politique actuelle n’a pas de proposition conséquente en la matière, selon elle.

Mohamed Jmour, secrétaire général du PTPDT, est convaincu que la Tunisie vit un processus révolutionnaire qui se situe au-delà de la révolte ou du simple mouvement social. Ses racines sont à rechercher dans les grèves des ouvriers du bassin minier de Gafsa qui se sont mobilisés pendant plus de six mois en 2008, au prix pour certains d’entre eux, de peines d’emprisonnement d’une durée de 10 ans. Les soulèvements arabes démontrent qu’il faut se détacher d’une vision figée et dogmatique de la notion de révolution qui mènerait à un renversement des classes dominantes et serait dirigée par un parti.

« L’ampleur d’une révolution dépend de l’unité des forces de la gauche. Si elle n’est pas au rendez-vous, le processus peut aboutir à une issue décevante pour les populations qui se sont levées au prix de leur vie. La vivacité de la jeunesse, moderne, qui a bravé la dureté du régime et de la répression, la classe ouvrière et les salariés, le mouvement syndical et la centrale de l’UGTT ont joué un rôle déterminant tout comme les avocats tunisiens qui ont une longue tradition de lutte anticolonialiste ».

M. Jmour a souligné que les mots d’ordre de la révolution étaient la liberté, la démocratie, la dignité, la justice sociale et civile contre la bourgeoisie compradore et mafieuse au pouvoir. Les manifestants ne se réclamaient pas de l’islam. Les frères musulmans ont d’ailleurs courtisés le régime de Ben Ali pour titrer avantage de la dictature. L’Etat bourgeois n’a été totalement démantelé, mais le peuple a arraché des conquêtes démocratiques essentielles comme la liberté de s’exprimer, la liberté de la presse, de se réunir et de manifester.

Pour l’avocat tunisien, le 21e siècle ouvre une nouvelle ère pour la révolution. Ses ennemis nombreux, ont déclenché un regain de l’impérialisme, notamment de la part des Etats-Unis qui sont intervenus directement des les affaires intérieures du pays, auprès du gouvernement Ghannouchi 2, et en finançant les campagnes des partis traditionnalistes et conservateurs.

La désunion de la gauche l’a empêché de devenir la deuxième ou troisième force politique représentée à l’assemblée constituante. Mais cet échec reste relatif car la révolution est un processus et la lutte continue. Des contradictions existent entre les forces de la coalition de la nouvelle constituante qui ouvrent des perspectives politiques.

Oumar Mariko a rappelé que le SADI a fermement condamné la résolution 1973 des Nations unies ouvrant la voie à l’offensive militaire en Libye qui a fait près de 70000 morts selon lui. « Les propositions de sorties de crise de Kadhafi n’ont jamais été rendues publiques », a-t-il affirmé. Les autorités maliennes et l’Assemblée nationale ont refusé de venir en aide au régime libyen, alors que les plus hauts responsables de l’État se rendaient fréquemment en Libye pour des visites personnelles avant les troubles.

Les ressortissants maliens vivant en Libye ont été capturés par le CNT, présentés à la télévision comme des mercenaires de Kadhafi, torturés et exécutés dans des conditions inhumaines.

Des ressortissants maliens qui avaient émigrés en Libye sont venus témoigner de leur situation. Les routes migratoires qui mènent en Libye sont des zones de non droit où les femmes qui les empruntent sont traitées avec mépris et violence. Lorsque la guerre a éclaté en Libye, elles ont été les premières victimes, violées par de jeunes libyens. Des Maliens en fuite sont morts à la frontière égyptienne. Les autorités maliennes n’ont pas porté secours aux ressortissants. La nourriture était lâchée par avion. Lors de la distribution de couvertures, 8 personnes sont mortes.

Mamane Sani, de l’ORDN du Niger, a précisé que la manifestation de Tripoli réprimée dans le sang par les hommes de Kadhafi n’était pas une information vérifiée mais un prétexte pour justifier la résolution 1973. Deux organismes français ont commis un rapport d’enquête dans lequel les membres de la mission déclarent de ne pas avoir trouvé de traces de ce massacre (http://www.cf2r.org/images/stories/…). Pourtant Aljazeera a fait circuler cette rumeur. Les radios communautaires sont un moyen en contrepoint de diffuser une information alternative.

L’ensemble des intervenants ont dénoncé les dirigeants africains qui agissent à l’encontre des intérêts des peuples, et l’Union africaine qui ne peut, en l’état, incarner une alternative progressiste d’avenir pour le continent.

Tene Sop, Secrétaire Général du Conseil National pour la Résistance/Mouvement Umnyobiste (CNR-MUN) du Cameroun, considère qu’être contre l’impérialisme ne constitue pas un programme politique, tout comme lutter contre les institutions financières ne donne pas des orientations concrètes pour mettre en place des politiques économiques et sociales. Un travail d’élaboration collective doit soutenir les activités du réseau.

Pour les intervenants, le débat doit se structurer sur l’essentiel. Pourquoi défendre une démocratie qui est asservie aux intérêts du capitalisme financiarisé et placée sous la contrainte de la dette ? Dès que des voix s’élèvent pour poser les enjeux de fonds, la menace des bailleurs se fait plus pressante. Les associations rechignent à investir le cœur des débats car elles courent le risque d’une suppression des fonds qui leur sont accordés. En Europe, la classe politique ne veut pas contrarier les acteurs de la finance et « les marchés ».


L’ALNEF a pris l’engagement de tenir sa prochaine assemblée générale en Tunisie fin 2012. Elle sera organisée par les partis PCOT et le PTPDT de Tunisie.

Parmi les défis que le réseau devra affronter, l’instabilité croissante au Sahel peut apparaître comme une préoccupation majeure. Le conflit en Libye a provoqué une augmentation de la quantité d’armes en circulation dans la région. Les narcotrafiquants et les islamistes qui entretiennent des liens étroits renforcent leur présence sur le territoire. Ils pratiquent l’enlèvement contre rançon des ressortissants étrangers et menacent aussi les habitants de la région, victimes de l’insécurité croissante.

Les narcotrafiquants bénéficient de soutien au plus haut niveau dans les armées du Mali et du Niger. Des véhicules militaires de cette dernière escortent les convois du narcotrafic dans le désert saharien. Malgré l’information rendue publique au Mali de l’implication de généraux dans le trafic de drogue, le chef de l’Etat, Amadou Toumani Touré, n’a rien entrepris pour les inquiéter.

Par ailleurs, la situation politique au Niger fait craindre une déstabilisation du régime du nouveau président, Issoufou Mahamadou, élu le 7 avril 2011 pour le PNDS. L’alliance conclut avec Lumana, le parti du président de l’Assemblée nationale, Hama Amadou, pourrait se fragiliser. Des dysfonctionnements s’observent au sein du gouvernement où s’opposent les ministres du président et ceux soutenant Hama Amadou. Par ailleurs, la lutte contre la corruption et la levée de l’immunité parlementaire décrétées par le chef de l’Etat pourraient inquiéter députés et hauts fonctionnaires.

Sur le plan alimentaire et social, le Niger comme l’ensemble de la région, mais avec plus d’acuité, redoute une crise alimentaire plus violente que dans les années précédentes en raison de la mauvaise pluviométrie et des faibles récoltes de l’année 2011. 6 millions de Nigériens sur les 16 millions d’habitants que compte le pays pourraient souffrir de la faim. L’enjeu est de savoir comment le nouveau gouvernement utilisera la rente pétrolière qui lui permet d’emprunter à des taux très élevés sur les marchés financiers. Mais pour être autorisé à contracter de nouveaux prêts par le FMI, le Niger a aussi du revoir son budget à la baisse (coupes dans les dépenses de santé et d’éducation).

Les prix des denrées alimentaires ont commencé à augmenter il y a plusieurs semaines. Rappelons qu’à l’été dernier dans la corne de l’Afrique 12 millions de personnes subissaient les pénuries alimentaires et que désormais, plusieurs centaines de milliers d’habitants du Sud-Soudan, nouvellement indépendant mais contraint à la restriction de l’approvisionnement en produits agricoles suite à la fermeture de la frontière avec le Nord, sont directement menacés par la faim. Le problème alimentaire s’étend.

A cela vient s’ajouter la suppression sous les injonctions du FMI des subventions sur le pétrole, dont le Niger est producteur depuis novembre 2011. Les manifestations contre la hausse des prix du carburant ont été interdites par le président, mais le mécontentement social reste fort, notamment parmi les jeunes et les étudiants qui réclament de meilleures conditions de vie. Deux manifestants ont récemment été tués par la police.

Le Sénégal et le Mali vont aborder des élections présidentielles dans la première moitié de 2012. La candidature de A. Wade unanimement dénoncée au Sénégal, en Afrique et à l’étranger, pourrait susciter des soulèvements populaires à l’image de ceux de juin dernier. Le dépôt des candidatures fixé à la fin janvier devrait cristalliser les tensions.

Au Mali, le processus électoral s’organise dans des conditions qui ne respectent pas les dispositions constitutionnelles. La formation de la CENI a été vivement dénoncée par l’opposition et les associations de la société civile. La volonté du chef de l’Etat d’organiser à la faveur du premier tour de l’élection présidentielle, le 29 avril, un référendum portant sur la réforme de la constitution (renforcement des pouvoirs du président, création d’un sénat sans prérogatives claires, valorisation des principes de la charte du Mandé au détriment des principes de la déclaration des droits de l’homme) suscite de vives oppositions.

Les tensions ravivées au Nord par le retour au Mali de plusieurs centaines de Touareg ayant combattu dans l’armée de Kadhafi pourraient le dissuader de provoquer ce referendum et même d’organiser les élections aux échéances prévues. Les conditions d’un dialogue national avec les Touareg ne sont pas réunies, ni les moyens d’une pacification durable de la région nord.

Enfin, le pays connaît lui-aussi des difficultés sur le plan agricole qui exigeraient le lancement d’une culture de contre-saison pour pallier les mauvaises récoltes de la précédente campagne. Le désœuvrement en milieu rural devrait s’accroître si rien n’est entrepris rapidement. Les villes et Bamako en particulier ne semblent pas en capacité d’assurer des conditions de vie dignes aux populations qui quittent les campagnes. Les conséquences de la privatisation des entreprises comme la CMDT (coton), et l’HUICOMA (huileries) liquidée par la société TOMOTA, une entreprise ad hoc qui n’a assuré aucun plan social ni réinvestissement -comme l’exigeait la loi de privatisation et ce, malgré un sit-in des travailleurs qui aura duré presque un an à la Bourse du Travail-, se font encore sentir. Transrail, la régie du chemin de fer, a été vendue pour 25 à une entreprise canadienne, menaçant directement le devenir de nombreuses familles qui tirent leur revenu de son existence. L’aéroport dont la rénovation s’effectue dans le cadre du Millenium challenge accordé par les Etats-Unis au Mali, devrait être également privatisé.

La crise sociale est visible et se durcit sur l’ensemble du continent. L’onde de choc des révolutions arabes ne peut que révéler l’ampleur des luttes pourtant minorées, mais déjà en cours en Afrique. La gestion patrimoniale de l’Etat par une bourgeoisie devenue parasitaire suscite indignation, révoltes et mobilisations. Le réseau de la gauche africaine et ses partenaires pourraient contribuer à construire une issue politique à ces contestations.