Par Chloé Maurel, historienne.
Les chroniques de recherches internationales, septembre 2019.
Les protestations contre le G7 tenu du 24 au 26 août 2019 à Biarritz s’inscrivent dans une histoire qui remonte aux années 1990. Déjà, en 1996, des citoyens opposés à la logique néolibérale avaient organisé une grande manifestation contre le G7 à Lyon. Puis, surtout, en novembre 1999, des militants ont protesté contre le sommet de l’OMC réuni à Seattle (États-Unis). 40 000 protestataires, mobilisés par le syndicat américain AFL-CIO, réussissent alors à bloquer cette réunion des puissances financières, pour exprimer leur opposition au libéralisme commercial. Tout en agissant de manière non-violente, ils parviennent à paralyser toute la ville, et l’état d’urgence est déclaré. Défilant dans les rues, les manifestants, venus du monde entier, arrêtent la circulation et empêchent les représentants des États membres de l’OMC de rejoindre le centre de conférences. Du fait de ces protestations d’ampleur, le sommet, baptisé « cycle du millénaire », doit être clôturé plus tôt que prévu. De ce sommet, on a surtout retenu les manifestations de protestations : c’était la première fois qu’un groupe de manifestants parvenait à bloquer un sommet international. La couverture par les médias a été très importante. La répression par les policiers, violente, brutale, sera critiquée par la presse et l’opinion mondiale. Un film, Bataille à Seattle (réalisé par l’Irlandais Stuart Townsend et sorti en 2008) retracera ces événements. C’est le début de l’altermondialisme, d’abord appelé « anti-mondialisme ». Les médias parlent de la « bataille de Seattle ».
Dans le sillage de ce mouvement protestataire, l’association ATTAC, née en France en 1998, qui développe le slogan « Un autre monde est possible », et qui prône la taxation des transactions financières (taxe Tobin), porte et canalise cette contestation contre les grands sommets capitalistes.
En 2001, le sommet de la Banque mondiale prévu à Barcelone est annulé du fait des menaces de manifestations. Cette même année 2001, à Gênes (Italie), se tient le sommet du G8. Devant les protestations des anti-G8, la police réprime brutalement, et tue un manifestant ; deux autres manifestants sont gravement blessés, et plus de 300 autres manifestants sont malmenés par la police. Cette répression, rapportée par la presse, marque les esprits. L’opposition se cristallise entre pro- et anti-capitalistes.
L’altermondialisme a le vent en poupe en ce début des années 2000, et cela se concrétise par l’organisation du premier Forum Social Mondial (FSM) à Porto Alegre (Brésil) en janvier 2001, dont les revendications sont l’opposition au néo-libéralisme incarné par le Forum économique mondial de Davos, l’exigence de l’annulation de la dette du Tiers monde, la réclamation de la taxe Tobin, et plus généralement l’aspiration à un monde plus juste et égalitaire. Des milliers de participants venus du monde entier y dialoguent et réfléchissent ensemble, et l’événement est couvert par des centaines de journalistes. L’événement est reconduit en 2002 et 2003, toujours à Porto Alegre. Dans les années suivantes, le FSM se déplace dans plusieurs villes, notamment des grandes villes des pays du Sud, comme Nairobi, Dakar, Bombay ou Tunis.
Par la suite, l’altermondialisme a progressivement perdu de sa vigueur, car l’association ATTAC-France a subi une crise interne en 2006, et, plus largement, ce mouvement a connu un effacement, car des courants contradictoires et concurrents ont fait voler en éclat le sentiment unitaire, mettant au jour une hétérogénéité des revendications à l’intérieur de la mouvance altermondialiste : défense du droit des minorités et des exclus, préoccupations écologiques, protestations contre les crises alimentaires et énergétiques, refus de l’impérialisme et du néo-colonialisme, défense de la protection sociale et des services publics (éducation, santé, culture), aspirations à un protectionnisme universaliste, à une décroissance, à l’autogestion, etc. De plus, depuis les attentats du 11 septembre 2001, d’autres priorités sont apparues comme la lutte contre le terrorisme, et depuis l’accident nucléaire de Fukushima en 2011, les craintes concernant l’avenir de la planète et de l’environnement sont passées au premier plan, éclipsant parfois les enjeux proprement sociaux. En outre, les thèses de l’altermondialisme ont prêté à des discussions et à des désaccords, car elles ne peuvent pas vraiment se parer de la légitimité de la poursuite des combats tiers-mondistes des années 1960, ni de la reprise de la démarche du Nouvel Ordre Économique International (NOEI) de 1973-1974. Enfin, la mouvance altermondialiste, qui avait été portée par le virage à gauche de l’Amérique latine (rappelant que les batailles victorieuses s’inscrivent dans un cadre national), a été affaiblie par l’actuel virage à droite de cette partie du monde (et même à l’extrême-droite pour le Brésil, avec l’accession à la présidence de Jair Bolsonaro et l’emprisonnement de Lula). Cela a entraîné un net reflux de l’altermondialisme, et beaucoup de désillusions chez les militants.
Malgré cet affaiblissement de l’altermondialisme, les protestations récentes contre le G7 de Biarritz, qui ont rassemblé 5000 participants, mobilisés contre le dérèglement climatique et les injustices sociales, s’inscrivent malgré tout dans cet héritage. Ce mouvement a réuni des citoyens se rattachant aux mouvements anticapitalistes, altermondialistes, écologistes, féministes, basques,« gilets jaunes », syndicalistes (Solidaires, CGT, CNT…), d’ONG et associations (ATTAC, Bizi, Oxfam, Alternatiba, Les Amis de la Terre, Via Campesina…).
Même si l’association ATTAC et le FSM ont ces dernières années connu un essoufflement, la vigueur des contestations contre ce sommet des grandes puissances atteste de l’existence d’un mouvement de fond, de rejet du capitalisme dans l’opinion mondiale. Le récent mouvement des « gilets jaunes » en France, de même que le mouvement « Occupy Wall Street » né en 2011 aux États-Unis, ou encore celui des « Indignados » en Espagne, né la même année, en sont également des signes. C’est un élément positif que ce soulèvement et cette organisation des citoyens contre la logique capitaliste, et notamment contre le fonctionnement oligarchique que représentent les sommets du G7.
L’ordre du jour adopté par le sommet du G7 de 2019, portant sur la lutte contre les inégalités, n’a pas fait illusion pour les citoyens critiquant cette réunion des puissants : il a servi seulement à faire diversion et à donner l’impression trompeuse d’une préoccupation sociale. D’ailleurs, les représentants des pays du Sud invités, et des ONG conviées à ce G7, ne se sont vus accorder que très peu la parole, et y ont été marginalisés, ce qui montre bien que leur invitation ne constituait qu’un alibi, une manœuvre pour désamorcer les critiques et pour donner à ce sommet un vernis social.
Refusant d’être dupes, 15 000 citoyens anti-G7 ont manifesté à Hendaye le 24 août 2019 ; ils n’ont pas hésite à se livrer à des actions de désobéissance civile, comme le décrochage de portraits du président Macron ; mais la police omniprésente (quelque 13 000 membres des forces de l’ordre mobilisés) a usé de grands moyens pour décourager les protestataires, ayant recours à des canons à eau et à des gaz lacrymogènes pour réprimer ces manifestants pacifiques, et interpellant 68 d’entre eux, au mépris du droit à manifester, et souvent en utilisant la violence.
En cette fin d’été 2019, les mouvements protestataires contre le G7 de Biarritz, vigoureux, et aiguisés par la conscience écologiste et par l’indignation devant les incendies criminels dans la forêt amazonienne, ont bien montré que les peuples n’ont pas dit leur dernier mot. Ce contre-G7 s’est achevé par une déclaration finale récapitulant les positions anticapitalistes et écologistes des militants rassemblés. D’autres mobilisations sont prévues bientôt : grèves internationales sur le climat, du 20 au 27 septembre, journée internationale du droit à l’avortement, le 28 septembre, et semaine internationale de la rébellion, en octobre.