par Claude Cartigny
Le 27 novembre 2007, une quarantaine de participants, dont seize États arabes, se sont réunis dans l’enceinte bien gardée de l’Académie navale d’Annapolis, petite ville du Maryland. Cette initiative avait été annoncée par G. Bush au début de l’été 2007 et a été vivement discutée depuis. Finalement, la montagne a accouché d’une souris : une courte déclaration conjointe israélo-palestinienne lue souhaitant qu’un règlement de paix soit atteint avant la fin 2008.
Cette courte déclaration va beaucoup moins loin que le projet de cinq pages présenté par les Palestiniens ; elle va cependant plus loin que les premières intentions israéliennes, qui étaient de ne mentionner aucune date butoir et de ne prévoir aucune suite à la réunion d’Annapolis. La reprise des négociations le 12 décembre et la mise en place d’un mécanisme de suivi sous la forme d’un comité de pilotage sont également des initiatives palestiniennes.
Un document de faible portée
A vrai dire, le faible contenu du document n’a surpris personne. Comment résoudre en une journée des conflits pendants depuis soixante ans lors d’une seule réunion ? Les questions clés (les frontières du nouvel Etat, le problème de l’eau, le statut de Jérusalem, le sort des colonies de peuplement de Cisjordanie, le droit au retour des réfugiés de 1948 et de 1967) n’ étaient pas inscrites à l’ordre du jour. Pourtant les paramètres d’une paix israélo-palestinienne sont depuis bien longtemps connus de tous. Les frontières de l’Etat palestinien doivent être situées aussi près que possible de la ligne du cessez-le-feu entre 1948 et 1967 ; les éventuelles annexions israéliennes doivent justement compensées ; Jérusalem devra devenir une ville à souveraineté partagée, Jérusalem-Est constituant la capitale du nouvel Etat ; enfin, le droit au retour des réfugiés doit être respecté, conformément à la résolution 198 du Conseil de sécurité. Sur ces points fondamentaux, rien n’indique que ni les Israéliens ni les Palestiniens aient changé de position.
Faute de pouvoir réellement ouvrir de nouvelles perspectives, les signataires de la déclaration conjointe ont tenté de ressusciter les morts, en demandant aux deux parties de respecter leurs obligations mutuelles liées à la feuille de route. La feuille de route est une initiative d’origine américaine présentée officiellement le 30 mars 2003 comme une initiative conjointe Etats-Unis – Russie – Union européenne – ONU. La feuille de route était censée créer un « Etat palestinien indépendant, démocratique et viable » en trois étapes devant aboutir à une solution finale avant la fin 2005. Evidemment, aucune des étapes de la feuille de route n’a été réalisée, même la première, qui ne devait pourtant prendre que deux mois.
L’obsession sécuritaire
Aujourd’hui comme hier, Israël ne montre aucune volonté de mener à bien « de manière immédiate et parallèle » la première étape de cette feuille de route. Cette première étape comporte des éléments sécuritaires, l’Autorité palestinienne s’engageant à mettre fin aux actes de violence contre des Israéliens, et des éléments territoriaux, Israël de son côté s’engageant à geler les implantations et à démanteler celles établies depuis 2001. Mais les Israéliens ont toujours fait des efforts sécuritaires de l’Autorité palestinienne le préalable à tout.
Fort du soutien américain, le Premier ministre israélien E. Olmert n’a même pas évoqué le problème des colonies à Annapolis. Il est irréaliste de demander à une Autorité palestinienne qui ne contrôle même plus la bande de Gaza de détruire « l’infrastructure de la terreur » en mettant hors-la-loi le Hamas et en emprisonnant tous ses combattants et sympathisants. Dès le début du processus d’Oslo, on a fait de la sécurité d’Israël le centre de toutes les discussions. On ne peut plus aujourd’hui invoquer à tout bout de champ cet argument sécuritaire. Les dirigeants israéliens doivent comprendre qu’ils ne peuvent pas considérer leur sécurité comme un élément jouissant d’une priorité absolue. Les mesures de sécurité ne doivent plus être utilisées comme un moyen unilatéral pour humilier les Palestiniens et disposer de leurs biens. La sécurité ne peut qu’être mutuelle et doit sauvegarder la vie et les biens des peuples de la région. Tant que tous ceux-ci, y compris les Palestiniens, ne verront pas leurs droits respectés, il n’y aura ni paix ni stabilité.
Une conférence pour la paix, ou une conférence pour la guerre ?
Depuis la prise de pouvoir du Hamas à Gaza, M. Abbas ne gère plus que la moitié de la population palestinienne. Il ne dirige plus qu’une Autorité fantomatique, un territoire « saucissonné » par les routes de contournement et les checkpoints israéliens et amputé par la perte de Gaza. Dans l’éventualité de nouvelles élections, il est infiniment probable que le Hamas l’emporterait à nouveau. M. Abbas n’a aucun mandat de son peuple pour négocier quoi que ce soit. D’ailleurs, l’annonce de sa participation à la conférence d’Annapolis a entraîné une avalanche de protestations et de manifestations à Gaza, mais aussi dans les camps de réfugiés du Liban, et jusque dans le réduit de Ramallah, siège de l’Autorité palestinienne. La société palestinienne est une société délitée par les effets de 40 ans d’occupation militaire. L’économie est paralysée. Des tensions politiques de plus en plus acérées ont débouché sur un bain de sang à l’été 2007. Les Palestiniens sont de plus en plus amers et divisés. Ils se sentent trahis par des dirigeants qui ne semblent aujourd’hui survivre que par l’indifférence israélienne et le soutien américain.
E. Olmert, de son côté, comptabilise aujourd’hui moins de 30% des intentions de vote. Il a été discrédité par la conduite catastrophique de la guerre contre le Liban en juillet 2006 et par les accusations de corruption que la justice israélienne porte contre lui. La société israélienne est elle aussi malade de la guerre. En douze ans, un Premier ministre a été assassiné et six gouvernements se sont succédé. La misère d’une société palestinienne assiégée trouve son parallèle dans l’angoisse d’une société israélienne bunkérisée. Plus Israël discrimine et humilie les Palestiniens en les enfermant derrière des murs de béton et des barrières de fil de fer barbelé, plus les communautés et colonies juives se ghettoïsent et se condamnent elles-mêmes à vivre à l’abri du béton. Dans ces conditions, on comprend que ni E. Olmert ni M. Mahmoud Abbas ne jouissent dans leur pays d’un niveau de popularité qui leur permettrait de se lancer dans un nouveau processus de paix doté de la crédibilité minimum.
Le seul à tirer profit de la réunion d’Annapolis est le président américain G. Bush. En effet, pourquoi aurait-il convoqué cette conférence à grand bruit alors qu’il n’existait pas l’ombre d’un accord entre Palestiniens et Israéliens, s’il n’en escomptait pas quelques retombées positives pour lui ? Décrié par ses adversaires comme le « président de la guerre », il aimerait certainement se présenter comme le « président de la paix » si un traité israélo-palestinien était effectivement signé avant qu’il ne quitte la Maison Blanche en janvier 2009. Il espère peut-être que ce nouveau rôle lui permettrait de faire oublier sa présidence calamiteuse et la longue liste des désastres engendrés par sa politique, en Irak, en Afghanistan, au Pakistan et dans les relations avec l’Iran.
Pourtant, cet investissement tardif du président Bush dans le processus de paix au Proche-Orient a de quoi laisser pour le moins dubitatif. Ce subit intérêt pour la paix cache en effet d’autres considérations. L’ombre d’un grand absent a en effet pesé sur la conférence, celle de l’Iran. La montée en puissance de la République islamique et de l’islamisme radical est en effet considérée à Washington comme un échec encore pire que le chaos irakien. La stratégie de Mme Rice consiste à construire un front anti-iranien en rassemblant une coalition des Etats arabes dits modérés et même au-delà, par exemple en détachant la Syrie de son alliance iranienne. Mais les Etats-Unis savent bien qu’il est impossible d’amener à la même table qu’Israël l’Arabie saoudite et la Syrie sans qu’il soit officiellement question du conflit israélo-arabe dans tous ses aspects. Washington a besoin du soutien arabe dans son entreprise d’isolement de l’Iran, et les Etats arabes « modérés » ont besoin du soutien américain pour faire face à leur vulnérabilité et à leur impopularité. D’où la tentative américaine de les rassembler dans une alliance stratégique isolant l’Iran, le Hamas ainsi que les mouvements nationalistes ou sunnites combattant les Américains en Irak. Cet objectif était très clair dans le discours prononcé par G. Bush : « Nous menons une bataille pour l’avenir du Moyen-Orient, et nous ne pouvons pas céder la victoire aux extrémistes ».
Des pressions indispensables sur Israël
Dès le 28 novembre, E. Olmert et G. Bush se rencontraient pour discuter des questions « non palestiniennes », c’est-à-dire bien évidemment de l’Iran. On connaît les préférences des deux hommes pour les « solutions » militaires. La conférence de paix ne serait-elle qu’un paravent pour masquer des préparatifs de guerre ? On ne peut pas absolument l’exclure. Même dans une hypothèse optimiste, la conférence d’Annapolis n’aura offert que quelques mois de répit à la politique américaine. Quant au conflit israélo-palestinien, il ne sera pas possible de le résoudre sans de véritables pressions sur Israël, pressions auxquelles la « communauté internationale » est encore loin d’être prête.