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Amérique latine : turbulences d’un continent

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30 ans après le coup de Pinochet contre Salvador Allende, l’Amérique latine a bien changé. Le contexte géopolitique régional s’est totalement transformé. Pourtant ce sont bien les mêmes problèmes qui perdurent. Globalement, l’Amérique latine va mal, même si telle ou telle expérience ou avancée peut indéniablement s’observer.

Au-delà des diversités et des spécificités propres à chaque pays le continent partage une grande instabilité politique et économique, une corruption croissante, une fuite de capitaux destructrice et surtout un rapport de proximité asymétrique avec le grand voisin du Nord qui surdétermine ses choix essentiels et rend tributaire les débats nationaux de l’hypothèque de Washington. C’est dire le courage qu’il faut aux peuples et aux gouvernants qui ont décidé de s’émanciper de ces contraintes et les difficultés qu’ils trouveront en travers de leur route. Car l’impérialisme dispose de relais puissants. En effet, l’Amérique latine n’est pas la même pour tous. Les 45 % de pauvres et de précaires côtoient quelques riches, très riches, vivant de façon ostentatoire et déjà nord-américanisés pour lesquels les comptes bancaires dollarisés n’ont plus de mystère et qui ont su s’enrichir au fur à mesure que leur pays entrait en déclin, terrassés par les politiques économiques d’inspiration néo-libérales mis en place à peu près partout sous injonctions des institutions financières internationales. Pour ceux-là, fuites de capitaux, spéculation, aller-retour à Miami, shopping et fastes constituent l’essentiel de leur activité. Il y a longtemps qu’ils ne développent plus le continent mais qu’ils en vivent.

Un modèle de développement dominé

Car le continent n’est pas pauvre. Il dispose de richesses naturelles, d’une main d’ ?uvre qualifiée dotée d’un savoir faire, d’un potentiel scientifique, de capitaux, de technologies, bref de tous les atouts qui permettent de se développer. Hélas ! pour son malheur, l’ensemble des relations qui l’unit aux États-Unis a contribué à façonner un modèle de développement dominé où les richesses produites s’évaporent et où l’obsession des gouvernements consiste à attirer les quelques capitaux qui font défaut au prix de politiques monétaires et sociales désastreuses qui précipitent encore plus vers la récession. Ce modèle, dominant des vingt dernières années est entré en crise après avoir littéralement dévasté le continent. Certes, les années 80 et 90 avaient bien été marquées comme une rupture par rapport aux régimes militaires musclés des décennies précédentes. Les transitions démocratiques y avaient souvent pris une forme hybrides -les « démocratures »- où militaires tortionnaires et victimes avaient dû apprendre à vivre ensemble à coup d’amnisties rétroactives symbolisant la fragilité des rapports de forces établis. Les processus de démocratisation des années quatre-vingt se sont épuisés attestant de leur incapacité à toucher aux problèmes essentiels de ces sociétés et à faire face à la pauvreté grandissante de la grande masse de la population.

Des aspirations au changement

Ces échecs ont nourri des aspirations au changement. Depuis 1998, Hugo Chávez a imprimé un tour nouveau au Venezuela balayant la stabilité « démocratique » de ce pays mise en place en 1958 pour gérer l’alternance entre sociaux-démocrates / sociaux-chrétiens. Malgré ses succès électoraux, il doit affronter les tentatives de déstabilisation des nostalgiques de l’ancien système -de l’Opus Dei au patronat en passant par les médias privés et les syndicats corrompus- trouvant une oreille complaisante du côté de Washington. L’opposition, qui n’hésite pas à se réclamer de la société civile, vient de connaître deux échecs qui l’ont laissée groggy et divisée. Tout d’abord un coup d’État que les partisans du président Chávez ont su faire avorter en 48 h et une longue grève du secteur pétrolier qui s’est révélée impopulaire et à finalement permis au gouvernement de prendre le contrôle de l’industrie pétrolière qui était devenue un état dans l’État. L’opposition qui avait tout misé sur un « référendum révocatoire » qui peut être exigé sur tout détenteur d’un poste électif arrivé à mis parcours ne sait même plus s’il faut le mettre en ?uvre alors que la popularité de Chávez n’est à ce jour dépassée par aucun opposant.

C’est dire combien les succès électoraux de la gauche au Brésil et en Équateur vont peser dans la dynamique continentale. De portée différente, il marquent l’aboutissement de longues luttes. L’accession au pouvoir de Lula est considérée comme un laboratoire d’une gauche qui a su fédérer avec efficacité un arc-en-ciel de sensibilités alliant réformisme, radicalité, marxistes et chrétiens. Mais les conditions du succès -pas de majorité parlementaire, un petit nombre de gouverneurs favorables au Parti des Travailleurs- ont contraint Lula à composer avec la droite en s’engageant à respecter les accords passés par celle-ci avec les organismes internationaux. La base électorale renâcle. Le président demande à être jugé sur son budget 2004 qui sera vraiment le sien. En prenant appui jusqu’alors sur le MERCOSUR, rassemblement régional en Amérique latine, il portait les espoirs d’une résistance continentale à l’ALENA, vaste zone de libre-échange voulue par les États-Unis et englobant toutes les Amériques, sauf Cuba. Sa première visite à Washington, très observée, a beaucoup déçu. Il s’est engagé auprès de Bush à faire adhérer le Brésil à l’ALENA et s’est vu de fait confier par les États-Unis un rôle de puissance régionale partenaire. Indiscutablement, le Brésil peut et doit jouer un grand rôle en Amérique latine. L’option choisie d’être le point d’appui du grand voisin du Nord étonne tous ceux qui voyaient le Brésil prendre la tête de la résistance à l’ALENA.

La situation colombienne reste toujours inextricable pour les États-Unis dont le « Plan Colombie » ne réussit ni à contrer le narco-trafic -prétexte officiel- ni à réduire le développement des guérillas des FARC, véritable objectif. Ce Plan n’a pu parvenir à associer le Venezuela, l’Équateur ou le Brésil, pays limitrophes et très réticents à s’engager.

Le tournant politique brutal pris aux États-Unis avec l’équipe Bush a tendu les relations avec l’Amérique latine. Cuba est devenu un objectif central à déstabiliser. Le gouverneur de Floride, frère du Président, et dont l’État constitue la base arrière des anticastristes, s’y emploie avec énergie. Avec ses moyens, Cuba qui a déjà absorbé le choc de l’effondrement soviétique sans remettre en cause ses options, fait de nouveau face à l’adversité et sait toujours mobiliser en sa faveur un fort courant de sympathie et de solidarité bien au-delà du continent et des seules forces révolutionnaires.