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11 septembre, un an après : quelles grilles de lecture ?

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Un an après l’attentat du 11 septembre contre les deux tours du Trade World Center de Manhattan et le Pentagone les interrogations restent nombreuses sur la signification de cet acte et son impact sur la vie internationale. Tentons de décrypter l’écheveau et de proposer du sens à tous ces événements.

Un intégrisme islamiste

Depuis plusieurs décennies le monde arabo-musulman -1,4 milliard d’hommes de Rabat à Karachi en passant par Lagos et les banlieues européennes- fait face à un intégrisme religieux multiforme visant à s’emparer du pouvoir par tous les moyens, y compris les plus sanglants comme en Algérie, et à instaurer un modèle politique conforme à une conception moyenâgeuse de la religion musulmane. Après la Somalie et le Soudan, l’Afghanistan des Talibans était devenu la base arrière et le sanctuaire de ces réseaux envoyant ses Afghans essaimer dans divers pays pour porter assistance aux forces islamistes combattantes. Forgés dans le rude combat anti-soviétique des années 80 et entraînés par la suite, d’abord religieusement et idéologiquement au Pakistan puis militairement en Afghanistan, ces militants se retrouvèrent sur tous les points chauds, de l’Algérie à la Tchétchénie, en passant par les Philippines, la Bosnie, ou le Cachemire.

Aucun doute ne peut exister sur leur nature. Leur « anti-américanisme » récent ne peut en faire des anti-impérialistes ou des progressistes. Tout, depuis leurs soutiens internationaux, ou les cibles qu’ils se choisissent dans différents pays, jusqu’à leur projet sociétal, les désigne comme de farouches et déterminés opposants aux forces de gauche. Dans le monde arabo-musulman, leurs victimes sont les progressistes. Ils en ont tué plus là qu’en Occident. Leur projet politique ambitieux et conquérant – « islamiser la modernité »- vise à renverser nombreux régimes de cette région où les frustrations, les haines et les ranc ?urs accumulées à leur comble -de l’Irak à la Palestine- ne permettent plus aux élites politiques de faire face aux aspirations montantes. Ils peuvent espérer radicaliser et canaliser le mécontentement de millions d’hommes, voire faire basculer des régimes déjà minés en se lançant dans des campagnes d’attentats de plus en plus meurtriers dont celui du 11 septembre fut l’apothéose. Ce dernier par son caractère destructeur, symbolique et médiatique visait à faire de ses auteurs et de ses concepteurs de véritables héros dans le monde arabo-musulman. Car la vraie cible ce n’était pas Manhattan mais les foules frustrées du monde arabe et leur capacité à embraser la région. Ben Laden -dont l’implication de ses réseaux ne fait aujourd’hui plus guère de doute, sauf à adopter une attitude « négationiste » dont l’intérêt reste mystérieux- s’est servi de Bush comme d’un faire valoir devant des centaines de millions de musulmans. Abattre les États-Unis n’était ni dans ses intentions ni à sa portée.

Cette guerre, la première guerre, celle des islamistes contre le monde arabo-musulman n’avait jamais émus les États-Unis ou les grandes capitales occidentales comme Londres, véritable base-arrière – ou avancée ? Au contraire, une longue histoire commune les lie et s’entretient à coup de pétrodollars, de blanchiment, de financements occultes, de résidences secondaires, de paradis fiscaux, de fonds islamistes chargés de l’odeur de tous les trafics, des armes à la drogue. Car le islamistes présentaient pour les États-Unis l’avantage de savoir tenir le mécontentement social sous une chape de plomb ?

La démesure américaine

Surpris, humiliés et meurtris les États-Unis ont très vite compris que Ben Laden pouvait leur servir à son tour de faire-valoir dans leur posture, nouvelle, d’agressés. Posture qu’ils vont alors exploiter à la démesure s’engageant dans une autre guerre, la deuxième guerre celle-la. Elle concerne certes avant tout les islamistes les plus radicaux, ceux qui les ont défiés et dont l’anéantissement est ouvertement revendiqué en Afghanistan et ailleurs, sous ses formes militaires et financières. Mais au delà chacun a bien conscience que ce dont il s’agit est de plus grande importance et touche au rapport des États-Unis à l’ensemble du monde. Le terrorisme, seulement condamné lorsqu’il s’exerce à leurs dépens, devenant alors prétexte à une vaste réorganisation diplomatico-militaire visant à asseoir solidement et durablement une hégémonie mondiale se dégageant de tout carcan contraignant comme la mise hors-jeu de l’Otan, lors des bombardements de l’Afghanistan, a pu d’emblée le faire pressentir.

L’équipe Bush junior, mal élue, a su magistralement capitaliser le 11 septembre et s’en servir pour mettre en ?uvre un programme marqué par l’unilatéralisme et la volonté de se désengager de tout accord contraignant conclu dans un contexte jugé à ses yeux moins favorable, celui de la Guerre froide et de la parité avec les Soviétiques. La politique extérieure, tournant le dos à une recherche d’une gestion commune et négociée des grands problèmes de l’humanité -sécurité militaire, changement climatique, tribunal pénal international, armes biologiques, etc.- exprimant alors sous une forme brutale l’expression d’intérêts nationaux ne voulant pas être liés à des instruments internationaux chargés d’exprimer des valeurs communes et de gérer des biens communs. Jamais les États-Unis n’auront autant défié les droit des autres peuples. Les mesures sécuritaires qui se mettent en place sous couvert de lutte contre le terrorisme risquent de ne pas être circonstancielles et de renforcer en premier lieu les intérêts nationaux américains. Elles s’accompagnent d’un discours quasi-hystérique sur le Bien et le Mal masquant les véritables enjeux des affrontements en cours.

L’impact mondial

L’événement du 11 septembre a déjà marqué de façon durable l’année écoulée :

D’abord, le rapprochement russo-américain, ou plus exactement le pas pro-occidental des Russes est indéniable et probablement durable. Il s’explique par l’abcès tchétchène, le besoin de capitaux et de technologie et la nécessité pour les Russes d’un retour réussi vers l’Asie centrale. La nouvelle donne permet à la Russie de devenir un partenaire fréquentable et d’être, au moins formellement, associée aux affaires du monde.

L’exacerbation du conflit israélo-palestinien constitue, ensuite, le deuxième trait de la nouvelle situation. Le discours de Bush a permis à Sharon de radicaliser le sien, de démoniser les Palestiniens, de détruire les structures de l’État palestinien, de continuer la colonisation, d’écarter l’ONU et l’Union européenne de tout rôle sur le terrain, d’effacer la démarche d’Oslo (la paix contre les territoires), de devenir insensible à toute pression internationale et finalement de radicaliser certaines fractions palestiniennes rendant encore plus difficile un retour lointain à la paix.

Enfin, le régime des Talibans, qui n’avait d’autres reconnaissances internationales que celles du Pakistan et de l’Arabie saoudite, s’est écroulé, entraînant dans sa suite le démantèlement du sanctuaire de l’organisation d’Oussama Ben Laden. L’apocalypse prédit par certains, l’embrasement islamiste de toute la région, ne s’est pas réalisé. Mais force est de constater que désormais la lutte contre les réseaux islamiste est devenue une constante de la vie internationale et qu’elle contribuera encore longtemps à structurer des logiques d’alliances et de coopération.

Nul doute également que l’attentat du 11 septembre a ouvert une nouvelle période, celle des conflits asymétriques infra-étatiques, doublés d’une tentative de déni d’action (menace de réseaux dormants) visant à entraver la capacité de réaction, où les adversaires ne sont pas de même nature, emploient des armes différentes qui ne permettent plus la mise en ?uvre des postures stratégiques des guerres classiques ou de dissuasion issue de la Guerre froide.

Mais surtout ce que le 11 septembre et ses suites ont révélé, c’est l’extrême difficulté à faire émerger à l’échelle du monde des valeur communes et universelles partageables par tous les hommes et autour desquelles construire un monde non fragmenté et divisé. La citoyenneté mondiale est encore loin. Pour l’atteindre, il est nécessaire de s’attaquer à la misère et à l’exclusion massive qui touchent des milliards d’hommes.


Ce rapide constat appelle une double attitude. Tout d’abord, les progressistes du monde arabo-musulman doivent faire l’objet d’une solidarité sans faille. Il se livre au sein du monde musulman une bataille religieuse intense dont l’issue est d’importance mondiale, puisque c’est là que se joueront les prémices d’un conflit de civilisations si le fascisme vert l’emporte. Ensuite, comme toujours, c’est aux États-Unis même que se construiront les rapports de force qui dicteront l’attitude américaine face au monde. C’est avec les pacifistes et les démocrates de ce pays que les liens doivent être tissés. C’est la seule réponse à l’unilatéralisme de leur gouvernement. Bref, ni Bush, ni Ben Laden !, non pas comme un ni-ni paralysant, attentiste ou à mi-distance, mais contre l’un et l’autre et en refusant de faire de chacun d’entre eux le véritable ennemi de l’autre.