La fondation a fait réaliser fin 2017 par l’institut Viavoice une enquête d’opinion publique Les idées communistes et marxistes dans la France d’aujourd’hui. Notre enquête peut appeler quelques commentaires :
1) Il n’est pas surprenant que l’idée sans cesse martelée depuis des décennies d’un communisme appartenant au passé soit largement partagée (62 % des personnes interrogées). Plus profondément la chute de l’Union soviétique et la disparition de la quasi-totalité des pays se réclamant du communisme ne sont évidemment pas étrangères à cette perception.
Néanmoins, il est intéressant de noter que pour 44% des sondés et même une franche majorité des sympathisants de gauche (62%) « les régimes totalitaires qui se sont réclamés du communisme n’ont rien à voir avec la pensée communiste ou marxiste initiale ».
2) En ce qui concerne les préoccupations et les attentes des français. Comme d’autres études le confirment déjà, elles portent sur des questions très concrètes qui vont dans le sens des priorités portées par les militants communistes.
Sans surprise, l’emploi et le pouvoir d’achat occupent les deux premières places (61% et 47%). Le système de soin et de santé la troisième avec 39% ce qui marque la dégradation forte constatée dans la dernière période. La sécurité vient en 4ème position avec 37%.
Il faut noter également que chez les sympathisants de gauche la lutte contre les inégalités et l’environnement sont mieux positionnés que dans l’ensemble de la population.
3) Pour 76% des personnes interrogées les classes sociales existent toujours. 56% pensent d’ailleurs que la lutte des classes est toujours d’actualité.
Le capitalisme, qui est pourtant le système en place, n’est perçu positivement que par 25% des sondés. A l’inverse, 56% en ont une mauvaise opinion.
Pour 37% des gens (contre 33%) « il sera un jour remplacé par un système plus juste ».
4) Pour ce qui concerne les idées communistes et marxistes elles-mêmes :
– Elles sont considérées par un gros tiers des sondés comme « toujours utiles pour dénoncer les excès du capitalisme » (36% contre 36%) ou encore « pour comprendre le monde d’aujourd’hui » (35% contre 31%).
– En revanche elles ne sont porteuses d’alternative que pour 18% des personnes interrogées.
– Ce décalage est cohérent avec ce que nous révèlent les questions portant sur l’image du communisme au travers des mots qui le représentent le mieux.
Anticapitalisme, révolution, mouvement social, nationalisations, lutte contre l’exploitation bénéficient de scores allant de 42% à 18%.
En revanche des thèmes tels que défense des salariés (13%), services publics (10%), proche du peuple (10%) ou encore progrès social (5%) montrent que le communisme a essentiellement une image « en contre », en opposition, mais pas « en pour », « en solutions ».
Cette dichotomie explique bien pourquoi le communisme n’apparait pas porteur d’une alternative.
Dans une période historique marquée, pour notre peuple, par la profondeur de la crise systémique du capitalisme et par la recherche de solutions pour construire un autre avenir, cette donnée doit susciter la réflexion.
Le travail sur le projet et pour des solutions n’est en rien antinomique avec la capacité de dénonciation, d’opposition et de résistance encore reconnues au communisme. Il en est, au contraire, le complément indispensable.
5) Ces remarques ont d’autant plus de poids que les préventions les plus fortes issues de l’assimilation du communisme aux régimes totalitaires qui s’en sont réclamé semblent être perçues différemment selon l’âge. Les 18/25 ans et les 25/34 ans considèrent largement moins que les plus de 50 ans et que les plus de 65 ans que le communisme est dépassé. (50% et 56% pour les premiers ; 66% et 72% pour les seconds pour une moyenne de 62%)
A noter aussi que le milieu social a une importance qui reste considérable quant aux appréciations portées sur les différents items. Pour reprendre celui du communisme dépassé, les ouvriers et employés sont 52% à le penser – 10% de moins que la moyenne – alors que les chefs d’entreprises, cadres et professions intermédiaires sont 8% de plus.
La même démonstration pourrait être faite concernant l’appréciation du capitalisme ou du libéralisme.
6) Enfin, la partie de notre enquête consacrée aux biens communs est également riche d’enseignements.
La démarche selon laquelle certains biens services et espaces devraient appartenir à la collectivité dans un état d’esprit de partage et de solidarité (2 premiers items) est largement majoritaire avec 58% (33 et 25).
A l’inverse, les visions négatives d’un égalitarisme allant à l’encontre des libertés individuelles sont très minoritaires (10%).
Pour l’essentiel les biens communs sont bien identifiés. Et les phénomènes de rejet qui pourraient concerner des biens, services ou espaces accessibles à tout un chacun, les formes de propriété collective ou encore la gestion par des entreprises publiques sont très minoritaires.
A l’inverse ces trois items sont largement soutenus par les sympathisants de gauche.
Cette thématique des biens communs (au sens le plus large du terme) est probablement une voie à explorer. Elle peut être de nature à renouveler les propositions et le projet d’un communisme du XXIème siècle.
Alain Obadia,
Président de la Fondation Gabriel Péri
Communisme et marxisme :
Des idées perçues comme « dépassées »… et pourtant portées par les nouvelles générations
Et si les idées communistes et marxistes retrouvaient une nouvelle jeunesse ?
Peu crédible il y a encore quelques années, cette hypothèse apparaît en tout cas confortée par certaines évolutions notoires au sein de l’opinion publique : alors que la chute du mur de Berlin puis celle de l’URSS avaient représenté pour beaucoup la fin des idéaux communistes, voire la « fin de l’Histoire »[1] par la « victoire » du libéralisme économique occidental sur le modèle soviétique, certaines analyses ou idées d’essences communistes ou marxistes reviennent progressivement sur le devant de la scène.
Deux phénomènes en particulier attirent l’attention. Le premier est lié au retour d’un sentiment de « lutte des classes » au sein de la société, à la faveur de la crise sociale et de la montée des inégalités. Le second est un clivage générationnel marqué dans les opinions et imaginaires liés au communisme, qui est perçu plus favorablement par les jeunes générations, moins marquées par le souvenir de la guerre froide et des régimes autoritaires qui ont revendiqués l’idéal communiste dans la seconde moitié du XXe siècle.
Les idées communistes et marxistes : d’une image surannée à un retour progressif ?
Certes l’idée selon laquelle les idées communistes et marxistes seraient « dépassées » est partagé par 62 % de la population française. Dans la même idée, 42 % de l’opinion publique pense également qu’il est toujours « mal vu de se dire communiste » aujourd’hui, contre 33 % d’un avis contraire et 25 % sans opinion. Enfin « la pensée de Karl Marx » n’est perçue positivement que par 17 % des Français, contre 57 % de la population qui la perçoit négativement, et 26 % sans opinion.
Pour autant, derrière ces visions se cache un clivage générationnel important et non dénué de sens : alors que les personnes âgées de plus de 65 ans – qui avaient au moins 37 ans au moment de la chute du mur de Berlin – sont seulement 14 % à avoir une opinion positive de l’auteur du Capital et du Manifeste du Parti communiste, ce taux monte à 26 % auprès des 18-24 ans et 21 % auprès des 25-34 ans, générations qui n’ont pas connu directement la guerre froide et des régimes communistes d’Europe de l’Est.
L’idée selon laquelle le mot communisme fait « ancien, dépassé » est également marqué sur le plan générationnel : 72 % des plus de 65 ans partagent cette idée, mais ce taux décroît avec l’âge : 66 % dans la génération ayant 50 à 64 ans, 56 % auprès des 35-49 ans et des 25-34 ans, et seulement 50 % des 18-24 ans. Si ces opinions devaient continuer à évoluer selon la même tendance dans les années à venir, il y a donc fort à parier que le communisme apparaîtra de moins en moins « dépassé »… à l’avenir.
Opinion sur la « pensée de Karl Marx » selon la classe d’âge (% opinions positives)
Affirmation selon laquelle « le mot communisme fait ancien, dépassé »
selon la classe d’âge (% « Oui »)
Un clivage social toujours marqué dans les rapports au communisme et au capitalisme
Au-delà du clivage générationnel, un clivage social existe également dans les imaginaires liés au « communisme » comme au « capitalisme » et au « libéralisme » : si ce clivage était régulièrement souligné durant les « Trente glorieuses », compte tenu d’une certaine conscience de classe et de la présence forte du Parti communiste dans la vie ouvrière, il peut paraître moins évident aujourd’hui compte tenu de l’éloignement progressif des catégories populaires de la gauche et de ses idées, du moins sur plan électoral.
Notre étude montre pourtant que ce clivage social est toujours bien présent, et continue à structurer le rapport au communisme et au capitalisme :
– Alors que 70 % des catégories aisées (CSP+) considèrent que le communisme fait « ancien » et « dépassé », cette opinion n’est partagée que par 52 % des catégories populaires, employés et ouvriers ;
– De même, si parmi les catégories aisées 44 % des répondants considèrent qu’il est toujours « mal vu de se dire communiste aujourd’hui », cette opinion n’est partagée que par 36 % des répondants au sein des milieux populaires ;
– Et le même constat peut être fait vis-à-vis du « capitalisme » – perçu positivement par 31 % des catégories aisées contre à peine 15 % des catégories populaires – ou encore du « libéralisme économique » (34 % contre 22 %), accréditant l’idée selon laquelle la perception du système économique reste fortement conditionnée socialement.
Affirmation selon laquelle « le mot communisme fait ancien, dépassé » selon la catégorie sociale (% « Oui »)
Opinions positives sur le capitalisme et le libéralisme selon la catégorie sociale (% opinions positives)
Le retour de la lutte des classes ?
En dépit de ces clivages marqués et de ces tendances, les principales idées communistes restent toutefois minoritaires, notamment lorsqu’elles nécessitent une part d’espoir et d’idéal, au sein d’une société à bien des égards « désenchantée » : ainsi, alors que 38 % des Français sont d’accord pour dire que la pensée de Karl Marx reste utile pour comprendre le fonctionnement du capitalisme aujourd’hui, ils ne sont plus que 18 % (et 32 % à gauche) à voir dans les idées communistes et marxistes « une alternative crédible » au système économique actuel.
Pour autant, une idée essentielle de l’analyse marxiste et communiste est toutefois déjà majoritaire dans l’opinion : celle de la lutte des classes. Pour les trois quarts des Français, il existe toujours des classes sociales dans la société (76 %) et pour une majorité le concept de « lutte des classes » reste d’actualité pour décrire les rapports sociaux actuels (56 %).
Un concept qui a déjà fait un retour remarqué sur le plan médiatico-politique, à la faveur de la montée des inégalités, des scandales financiers successifs (Panama ou Paradise papers) et des revenus croissants des plus grandes fortunes. Remettant ironiquement au goût du jour une phrase pourtant écrite au milieu du XIXe siècle : « La production du capitalisme engendre, avec l’inexorabilité d’une loi de la nature, sa propre négation ». Après tout, l’Histoire n’est peut-être pas tout à fait finie.
Stewart Chau, Consultant (Viavoice) Aurélien Preud’homme, Directeur des études politiques (Viavoice)
Modalités de réalisation de l’étude : sondage réalisé par Viavoice pour la Fondation Gabriel Péri, du 25 au 30 octobre 2017, auprès d’un échantillon de 1502 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.Représentativité par la méthode des quotas, appliquée aux critères suivants : sexe, âge, profession, région et catégorie d’agglomération.