Nous vous proposons la série « La bataille du Front Populaire » en partenariat avec L’Humanité.
Épisode 15. Le 26 avril 1936, les partis de gauche emportent les élections législatives malgré la violente campagne de l’extrême droite. La SFIO devient le premier parti de la coalition tandis que le PCF réussit sa percée. Par Corentin Lahu, historien.
Le 30 novembre 1935, le magazine Vu s’interrogeait dans sa une : « Si les Français se battaient. Front national contre Front populaire. Qui vaincrait ? » À cinq mois des élections législatives, la société française semble alors plus fracturée que jamais entre deux blocs aux aspirations antagoniques.
Si la droite nationaliste donne le ton à la campagne, la dynamique est bien du côté de la gauche, galvanisée par les premiers succès du Front populaire aux municipales de 1935. Après l’adoption d’un programme commun en janvier 1936, les forces de gauche se mettent en ordre de bataille autour de trois mots d’ordre « pour le pain, la paix et la liberté ».
La bipolarisation de la vie politique exacerbe les tensions. La campagne se déroule dans un climat de xénophobie, de haine antisémite et de violences physiques et verbales alimentées par la presse d’extrême droite. La plupart des attaques se concentrent sur Léon Blum, lynché le 13 février par des militants royalistes encouragés par la plume de Charles Maurras, qui, dans l’Action française, va jusqu’à appeler au meurtre du « juif Blum », qualifié aussi de « métèque » et de « détritus humain ».
Les droites agitent la peur du péril rouge et accusent Moscou d’être à la manœuvre. En cas de victoire de la gauche, elles promettent un avenir de ruines et de désolation : « Le programme du Front populaire peut se résumer ainsi : faillite financière, suppression des libertés républicaines, guerre civile, dictature révolutionnaire, guerre étrangère. »
À gauche, l’antifascisme cimente les rangs. « Qui est contre le Front populaire est avec Hitler. Qui est avec Hitler est pour la guerre ! » réplique-t-on à ceux qui seraient tentés de préférer le fascisme à une alternative de progrès. Les menaces qui pèsent sur la paix et les libertés préoccupent la gauche. Si la victoire du Frente popular en Espagne est source d’espoir, la remilitarisation de la Rhénanie et l’agression de l’Éthiopie par Mussolini laissent présager un sombre avenir sur la scène internationale.
La victoire des socialistes sur les radicaux
Pour la première fois, les partis se saisissent de la radio et du cinéma pour faire campagne, même si les meetings et la presse restent au cœur de l’animation de la vie politique. C’est le cas du PCF, qui, avec le film de Jean Renoir La vie est à nous ou le discours radiodiffusé de la « main tendue » de Maurice Thorez, s’adresse aux catholiques, aux paysans et aux classes moyennes afin d’élargir sa base de masse.
Le 26 avril, le premier tour des élections législatives est marqué par une forte participation à 84,3 %. Les partis du Front populaire, qui présentaient chacun leurs candidats, progressent de 300 000 voix par rapport au précédent scrutin de 1932, tandis que la droite en perd 70 000. Au sein des gauches, les rapports de force sont redéfinis. Les socialistes devancent pour la première fois le Parti radical en net recul, mais l’élément majeur de ces élections est la progression des communistes, qui gagnent près de 700 000 voix et passent de 8 % à 15 %.
La dynamique du Front populaire est amplifiée au second tour par le désistement systématique en faveur du candidat de gauche le mieux placé. Le 3 mai, la SFIO devient, avec 146 députés (+ 49 par rapport à 1932), la première force à la Chambre. Le PCF, qui passe de 10 à 72 députés, sort renforcé de cette séquence : le vote communiste se nationalise et consolide ses positions en région parisienne, dans le Nord, le Midi et le Centre.
Mais si les gauches (SFIO, PUP, PCF) dominent légèrement les droites, avec 229 députés contre 222, la nouvelle majorité parlementaire du Front populaire reste néanmoins conditionnée par l’attitude des 116 députés radicaux qui, avec 43 sièges en moins, sont les grands perdants de ce scrutin.
Dès le lendemain du scrutin, Marcel Cachin, dans l’Humanité, met en garde : « Il appartient à tous les groupements du Front populaire de conserver plus solide que jamais l’unité qui a assuré la déroute de ses adversaires irréductibles. » Léon Blum de son côté annonce que les socialistes sont prêts « à constituer et à diriger le gouvernement de Front populaire ».
Celui-ci est formé le 4 juin, sans les communistes, qui apportent leur soutien sans y participer. Mais un mois après la victoire des gauches dans les urnes, c’est dans les luttes que l’avenir du Front populaire se joue avec l’irruption d’un mouvement social sans précédent, celui des grèves avec occupation des usines.
Corentin Lahu, «Comment le Front populaire a remporté en 1936 la victoire dans les urnes?», L’Humanité, 4/07/2024