Jean Ristat (1943-2023), fils du peuple devenu poète et tant de choses encore n’est plus.
Jean Ristat fut de ces jeunes gens qui, aux côtés d’Aragon dont il devint le fils spirituel, osèrent créer, inventer de nouvelles écritures, peintures, dialogues et réflexions intellectuelles ; qui osèrent bousculer les codes, lever les interdits, défendre la liberté d’aimer (« Camarade, ne mets pas l’amour en prison » écrit Jean Ristat dans son Ode pour hâter la venue du printemps en 1978). Pour Jean Ristat, « écrire c’est résister ». De là, viennent l’ abondante, surprenante (Lord B !), envoutante littérature, la création de la revue Digraphe qui réunit tous les intellectuels essentiels de l’époque (un colloque est en préparation pour l’automne 2024), la direction des Lettres françaises, l’attention constante au devenir de la maison Elsa Triolet-Aragon. Ce sont aussi de multiples initiatives audacieuses dont le rassemblement Place de la Concorde le 21 janvier avec au menu : textes et tête de veau ou encore la débaptisation de la rue de Varenne en rue Louis Aragon au nom des vigilants de Saint-Just. Il y aurait tant à dire encore. Nous y reviendrons.
D’ores et déjà quelques éléments pour en connaitre plus:
- Voir ou revoir la Carte blanche donnée à Jean Ristat dans le cadre du Cycle du séminaire sur Aragon organisé par l’Université permanente dont la Fondation est partenaire.
- Lire l’article de Jean-Pierre Léonardini, « Mort de Jean Ristat, poète et camarade« , L’Humanité, 4 déc. 2023.
- Lire ou découvrir les Lettres françaises, Grand hebdomadaire littéraire, artistique et politique, créé en 1941 par Jacques Decour et Jean Paulhan pour lequel de nombreux artistes écriront comme Raymond Queneau, François Mauriac ou Louis Aragon, qui le dirigea pendant près de vingt ans. Contraint de cesser sa parution en 1972, ce grand projet des Lettres françaises de pourra renaître et vivre par-delà les difficultés grâce à la tenacité de Jean Ristat.
Le retour à Varenne
Texte lu par Jean Ristat en présence de Pierre Bourgeade, Denis Fernandez-Recatala et Dominique Grandmont devant le 56, avenue de Varenne.
Nous, Digraphe section française des Vigilants de Saint-Just, réunis ce jeudi 10 mars 1988 à 11 heures du matin, jour de la mi-carème, à Paris 7e arrondissement.
Vu l’absence de funérailles nationales pour Aragon sous prétexte qu’on en faisait plus.
Vu la promesse non tenue d’un hommage national parce que sans doute un ministre n’avait jamais lu l’affiche rouge.
Vu les cinq années écoulées depuis la mort du poète.
Vu la carence de l’administration, l’embarras de la classe politique et l’inculture des médias.
Attendu qu’il vécut au 56 de cette rue avec Elsa Triolet pendant plus de vingt années.
Attendu qu’Aragon appartient à la France et par-delà les frontières à tous les hommes pour qui l’avenir est le souci majeur.
Attendu que son œuvre par son génie, sa diversité et son ampleur ne peut se comparer qu’à celle de Victor Hugo en son siècle.
Attendu qu’elle nous aide à changer le monde et l’homme pour des lendemains qui chanteront évidemment.
Attendu qu’Aragon par sa vie et ses écrits a combattu le racisme, le fascisme, qu’il a œuvré jusqu’à son dernier souffle pour la paix, la liberté, l’amitié entre les peuples, l’avènement d’une société plus juste et fraternelle.
Attendu que l’amour, la poésie et la révolution, pour nous ces mots d’ordre ne font qu’un.
Décidons :
Au nom de la République des lettres dont les représentants frileux se couchent sous la bannière du social girondisme triomphant
en espérant un petit bout de chiffon rouge ou mauve et un déjeuner au palais comme prix à tous leurs renoncements, grandes têtes molles comme des signets entre les pages de leurs livres révolus.
Par un coup d’État,
De débaptiser la ci-devant rue de Varenne et entendons ne la désigner désormais que sous le nom de rue Aragon.
Il revient les gens sur les chemins des villes.
Se parlent rapprochant leurs cœurs éblouis.
Il revient, le paysan de Paris.
Il revient, le poète.
Paris, souviens-toi de celui qui écrivait « Arrachez-moi le cœur vous y verrez Paris ».
Premiers ministres, passés, présents et à venir, écoutez : un poète ne meurt pas !
Rendez Aragon à la France.