Nous vous proposons la série « La bataille du Front Populaire » en partenariat avec L’Humanité.
Épisode 5 par Michel Pigenet, historien. Dès le lendemain des émeutes du 6 février 1934, les syndicats font front contre l’extrême droite. D’abord séparément, ils vont sous la pression de la base et la constitution du Front populaire cheminer vers l’unité qui conduira à la réunification de la CGT et de la CGTU.
« Alerte ! Tenez-vous prêts à toute action sur mot d’ordre confédéral. Gouvernement démissionnaire, libertés publiques menacées, organisez sans délai manifestation avec tous groupes de gauche. » Le 7 février 1934, le télégramme de Léon Jouhaux aux UD de la CGT témoigne de la réactivité des « confédérés » à l’émeute d’extrême droite de la veille.
Le régime tient, mais le renoncement de Daladier à diriger le gouvernement permet un virage à droite sous couvert d’« union nationale ».
Le 7, donc, la CGT appelle à la grève générale pour le 12, « contre les menaces de fascisme et pour la défense des libertés publiques ». Le 9, la manifestation interdite de la CGTU et du PC est l’occasion de nouveaux affrontements. Le 10, ces deux organisations se rallient à l’action du 12.
La grève pousse à l’unité
Ce jour-là, le succès de la grève et la taille des cortèges font monter l’exigence d’unité, bousculant les réticences des appareils. À défaut de savoir quelles suites donner à la démonstration, les syndicats sortent confortés de la séquence, en premier lieu les « confédérés », dont les initiatives pallient les défaillances de la gauche politique éclatée en courants d’apparence irréconciliables.
La division n’est pas moins grande du côté de syndicats au creux de la vague. En recul, la CGT totalise moins de 500 000 adhérents, contre 250 000 à la CGTU, sa rivale, en difficulté.
Il faut encore compter avec les syndicats « autonomes », tandis que la CFTC, que son identité chrétienne tient à l’écart, peine à conserver les 150 000 adhérents de 1932. Forte de sa supériorité numérique, la CGT affiche un réformisme robuste, rétif à l’action directe, institutionnalisé et porteur de projets.
Issue de la matrice syndicaliste révolutionnaire, la CGTU en cultive la combativité, mais en rejette la farouche indépendance pour afficher ses liens avec le Parti communiste.
Septembre 1934, la CGT adopte un « plan de rénovation économique »
En février, chaque confédération campe sur ses positions. La CGTU, adepte du front unique à la base, dénonce la « démagogie antifasciste » des « confédérés », lesquels récusent l’unité d’action au profit d’une fusion organique aux allures d’absorption.
Gagnée aux thèses planistes, la direction de la CGT combine revendications ouvrières – salaires, 40 heures, congés payés… –, grands travaux et réformes de structure – nationalisation du crédit, contrôle des banques et des industries clés, planification démocratique. En septembre 1934, elle adopte un « plan de rénovation économique ».
Audacieux, mais technocratique, le document s’attire les foudres de la CGTU, sans enthousiasmer le gros de ses syndiqués en quête d’objectifs plus concrets et immédiats. La SFIO a d’autres priorités.
L’appel à « l’action commune » lancé par Thorez le 30 mai 1934 a débouché, en effet, sur la signature d’un pacte d’unité d’action PS-PCF, qu’il est question d’étendre aux radicaux. Détachées des échéances électorales, les relations intersyndicales sont moins fluides.
Le lent rapprochement de la CGT et la CGTU
À la suite du tournant communiste, la CGTU obtient l’amorce d’une négociation épistolaire avec la CGT, interrompue dès la mi-juillet. À la base, des syndicalistes, confrontés aux rigueurs des décrets-lois gouvernementaux, s’impatientent.
Des « syndicats uniques » voient le jour, notamment chez les cheminots. Le courant finit par atteindre l’échelon des fédérations et des UD, en particulier dans les chemins de fer, les services publics et parmi les fonctionnaires.
Sur la défensive, les dirigeants « confédérés » lâchent du lest. Les discussions avec la CGTU reprennent le 9 octobre 1934. Trois questions retiennent l’attention : l’indépendance syndicale, l’existence de fractions politiques, le cumul de responsabilités syndicales et partisanes.
Huit rencontres se succèdent jusqu’en septembre 1935. Au cœur de l’été 1935, les principaux points litigieux semblent surmontés. Dynamisé, le processus de fusion autorise la convocation, le 28 janvier 1936, d’un CCN auquel participent les représentants de 47 fédérations et 88 UD unifiées.
L’unité enfin trouvée lors du congrès de Toulouse en mars 1936
Le congrès réuni à Toulouse, du 2 au 5 mars, scelle l’unité. Il confirme aussi l’avantage des confédérés, qui recueillent les deux tiers des mandats. La discussion sur le programme et l’action s’achève néanmoins par la double réaffirmation unanime du soutien de la CGT au programme du Front populaire et de sa fidélité au plan de 1934.
Toulouse n’efface pas quinze années de division. Dans les profondeurs du salariat, pourtant, les effets de la réunification ne tardent pas à se faire sentir. Depuis 1935, les grèves reprennent de l’ampleur et renouent avec le succès. En mai 1936, la CGT repasse le seuil du million d’adhérents. Après la victoire électorale, une formidable mobilisation ouvrière et syndicale consacrera la portée historique du Front populaire.
Michel Pigenet, «De la riposte à l’extrême droite à la réunification de la CGT et de la CGT-U», L’Humanité, 20/06/2024