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L'Humanité 7 février 1934 ©BNF Gallica

Nous vous proposons la série « La bataille du Front Populaire » en partenariat avec L’Humanité.
Épisode 2 par Danielle Tartakowsky, historienne. S’employant à capter la crise politique et le désarroi de la population, durement frappée par la crise économique, les ligues et mouvements d’extrême droite appellent à manifester et convergent vers l’Assemblée nationale. On dénombre 15 morts et 1 500 blessés. Faute de soutiens, Daladier démissionne et la droite reprend le pouvoir.

En mai 1932, la droite dite d’Union nationale perd la majorité au profit des radicaux. Plongés dans la crise économique, ceux-ci compromettent plus avant la situation budgétaire et la santé du franc. La mobilisation limitée des salariés du privé gagne les chômeurs, agriculteurs, anciens combattants et le service public. La crise devient morale et politique. Dans un climat délétère, cinq cabinets tombent en treize mois.

Les ligues et autres mouvements de droite extraparlementaire se multiplient. Aux côtés de l’Action française de Charles Maurras, des Jeunesses patriotes de Pierre Taittinger, des Croix-de-feu du colonel de La Rocque et de la Fédération des contribuables, Solidarité française, fondée par le parfumeur François Coty et le Francisme de Marcel Bucard sont plus directement inspirés du fascisme italien. Ces mouvements recrutent parmi les victimes de la crise, classes moyennes en premier lieu, fédérant les mécontentements et rancœurs. Ils en appellent à l’omnipotence d’un chef et aspirent à une reprise autoritaire du pays.

Un arc de cercle autour du Palais Bourbon

Fin décembre 1933, l’affaire Stavisky, scandale politico-financier dans lequel sont compromis nombre d’élus radicaux, précipite leur action.

Le président de la République confie au radical Daladier le soin de former un nouveau gouvernement qu’il doit présenter le 6 février devant la Chambre pour obtenir l’investiture. Dans l’intervalle, il limoge Chiappe, préfet de police de Paris, dont les complaisances à l’égard des ligues sont notoires. La sanction met le feu aux poudres.

L’Action française, les Jeunesses patriotes et la Fédération des contribuables appellent à manifester le 6 contre Daladier et sont rejointes par les Croix-de-feu et la fédération de la Seine de l’Union nationale des combattants (UNC).

Leur manifestation s’organise à partir de points de rassemblement éloignés les uns des autres mais qui dessinent un arc de cercle autour du Palais Bourbon, devenu la cible de l’antiparlementarisme, selon des itinéraires convergents vers lui à l’exception du cortège de l’UNC. Dépourvue de tout ordonnancement rigoureux, cette manifestation s’adresse à tous et affirme un rapport aux masses qu’elle entend mettre en mouvement. L’Action française invite ainsi « ses amis », les « Parisiens » et les « Français » à se dresser « contre le régime abject ».

Les Jeunesses patriotes enjoignent le « peuple de Paris » « d’imposer silence aux factions et (de) donner à la nation des chefs dignes d’elle ». Seule l’Arac, située dans la mouvance communiste, soucieuse de disputer la colère des anciens combattants à l’UNC, sa très puissante rivale de droite, invite à manifester « contre le fascisme, la guerre impérialiste, le gouvernement voleur des mutilés de guerre et complice des escrocs ».

Si les cortèges de l’UNC et de l’Arac se dirigent vers cet objectif strictement symbolique qu’est l’Arc de triomphe, les autres convergent vers la place de la Concorde, puis tentent de marcher sur le Palais bourbon, protégé par les forces de police. Dans les travées de la Chambre, des élus de droite multiplient les interventions à dessein de prolonger la séance. À l’extérieur où règne la plus grande confusion, on crie « à bas les voleurs » et « démission » !

Le flot grossit d’heure en heure et la manifestation vire à la rixe sanglante avec les forces de police. Des autobus brûlent. Une barricade est échafaudée. Daladier obtient un vote de confiance par 360 voix contre 220. Le calme ne revient pas pour autant. On compte au matin 15 morts et près de 1 500 blessés. La plus grande expression de violences à Paris depuis la Commune.

Capitulation de Daladier

Daladier sollicite, la nuit durant, les soutiens indispensables pour mettre terme à l’émeute. Mais la justice, la police et l’armée ne les lui accordent qu’avec parcimonie. Il choisit de démissionner le 7 au matin. Cette capitulation transforme ce qui n’était qu’une manifestation particulièrement violente en un mouvement objectivement insurrectionnel. Un fait sans précédent dans l’histoire de la République.

La question de savoir si l’on peut qualifier le 6 février de tentative de coup d’État fasciste a longtemps divisé la communauté historienne. Moins d’un an après la victoire de Hitler, la réponse positive ne fit aucun doute pour les organisations ouvrières. Cette immédiate conviction permit la riposte, son ampleur et son succès.

Les ligues s’étaient crues très brièvement victorieuses. Mais, dès le 7, c’est à la droite classique que le président de la République s’adresse pour former le nouveau gouvernement. Le processus complexe et long de construction du Rassemblement populaire contribue à muer leur brève victoire en victoire à Pyrrhus. Les droites quittent la rue pour ne la retrouver que le 30 mai 1968.

Danielle Tartakowsky, «6 février 1934 : de l’émeute à la tentative de coup d’État» L’Humanité, 17/06/2024