par
« Nous, le peuple, Pour former une Union meilleure. » (Citation de la déclaration d’indépendance).
Il y a 221 ans, un groupe d’hommes s’est rassemblé dans une salle qui existe toujours de l’autre côté de la rue, et avec ces simples mots, lança l’extraordinaire aventure de la démocratie américaine. Agriculteurs et savants, hommes politiques et patriotes qui avaient traversé l’océan pour fuir la tyrannie et les persécutions, tous donnèrent enfin forme à leur déclaration d’indépendance lors d’une convention qui siégea à Philadelphie pendant tout le printemps 1787.
Ils finirent par signer le document rédigé mais encore inachevé. Ce document portait les stigmates du péché originel de l’esclavage, un problème qui divisait les colonies et qui faillit faire échouer les travaux de la convention jusqu’à ce que les pères fondateurs décident de permettre le trafic des esclaves pendant encore au moins vingt ans, et laisser ainsi aux générations futures le soin de terminer la tâche.
Bien sûr, la réponse à la question concernant l’esclavage était déjà en gestation dans notre constitution – une constitution avec, en son cœur, comme idéal l’égalité des citoyens devant la loi ; une constitution qui promettait à son peuple la liberté et la justice avec une Union qui pouvait et devrait s’améliorer au fil du temps.
Et pourtant des mots sur un parchemin ne suffirent ni à libérer les esclaves de leurs chaînes, ni à donner aux hommes et aux femmes, de toutes couleurs et de toutes croyances, leurs pleins droits et devoirs de citoyens des Etats-Unis. Il fallait encore que, de génération en génération, les Américains s’engagent, dans la rue et devant les tribunaux menant une guerre civile et une campagne de désobéissance civile et en prenant toujours des risques élevés afin de réduire l’écart entre la promesse de nos idéaux et la réalité de notre temps.
C’est l’une des tâches que nous nous sommes fixées au début de cette campagne – continuer la longue marche de ceux qui nous ont précédé, une marche pour une Amérique plus juste, plus égale, plus libre, plus généreuse et plus prospère. J’ai choisi de me présenter aux élections présidentielles à ce moment de l’histoire parce que je crois profondément que nous ne pourrons résoudre les problèmes de notre temps que si nous les résolvons ensembles. Que nous ne pourrons parfaire l’union seulement si nous comprenons qu’avec toutes nos histoires différentes, nous partageons tous les mêmes espoirs, que nous ne sommes pas tous identiques, que nous ne venons pas tous du même lieu mais nous voulons tous aller dans la même direction, vers un avenir meilleur pour nos enfants et petits-enfants.
Cette conviction me vient de ma foi inébranlable en la générosité et la dignité du peuple Américain. Elle me vient également de ma propre histoire d’Américain.
Je suis le fils d’un homme noir du Kenya et d’une femme blanche du Kansas. J’ai été élevé par un grand-père blanc qui a survécu à la Dépression et qui s’est engagé dans l’armée de Patton pendant la deuxième Guerre Mondiale et une grand-mère blanche qui était ouvrière à la chaîne dans une usine de bombardiers à Fort Leavenworth pendant que son mari était en Europe. J’ai fréquenté les meilleures écoles d’Amérique et vécu dans un des pays les plus pauvres au monde. J’ai épousé une noire américaine qui porte en elle le sang des esclaves et de leurs « maîtres » – un héritage que nous avons transmis à nos deux chères filles. J’ai des frères, des soeurs, des nièces, des neveux, des oncles et des cousins, de toutes races et de toutes teintes, dispersés sur trois continents, et tant que je serai en vie, je n’oublierai jamais que mon histoire est inconcevable dans tout autre pays au monde.
C’est une histoire qui ne fait pas de moi le candidat le plus conventionnel. Mais c’est une histoire qui a gravé au plus profond de moi l’idée que cette nation est plus que la somme de ses composantes, que tous ensemble nous ne faisons qu’un.
Tout au long de cette première année de cette campagne, envers et contre toutes les prévisions, nous avons vu combien les Américains avaient faim de ce message d’unité. Bien que l’on soit tenté de juger ma candidature sur des critères purement raciaux, nous avons remporté des victoires impressionnantes dans les Etats les plus blancs du pays. En Caroline du Sud où flotte encore le drapeau des Confédérés, nous avons construit une coalition puissante entre Afro-américains et Américains blancs.
Cela ne veut pas dire que l’appartenance raciale n’a joué aucun rôle dans la campagne. A plusieurs reprises au cours de la celle-ci, des commentateurs m’ont trouvé ou « trop noir » ou « pas assez noir ». Nous avons vu surgir des tensions raciales dans la semaine qui a précédé les primaires de Caroline du Sud. Les médias ont analysé chaque résultat partiel, à la recherche de tout indice de polarisation raciale, pas seulement entre noirs et blancs mais aussi entre noirs et moins noirs. Et pourtant ce n’est que pendant ces deux dernières semaines de campagne que la question raciale est devenue un facteur de division.
D’un côté on a laissé entendre que ma candidature était en quelque sorte un exercice de discrimination positive, basé seulement sur le désir de libéraux voulant acheter à bon marché la réconciliation raciale. D’un autre côté, on a entendu mon ancien pasteur, le révérend Jérémie Wright, exprimer dans un langage incendiaire des opinions qui risquent non seulement de creuser le fossé entre les races mais aussi de porter atteinte à ce qu’il y a de grand et de bon dans notre pays. Cela, à juste titre a offensé blancs et noirs confondus.
J’ai déjà condamné, en termes clairs, les déclarations si controversées du révérend Wright. Il reste encore pour certains des points qui les dérangent. Est-ce que je savais qu’il pouvait à l’occasion dénoncer avec violence la politique américaine intérieure et étrangère ? Bien sûr. M’est-il arrivé de l’entendre dire des choses contestables quand j’étais dans son église ? Oui. Est-ce que je partage toutes ses opinions politiques ? Non, bien au contraire ! Tout comme j’en suis sûr bon nombre d’entre vous entendent vos pasteurs, prêtres, ou rabbins proférer des opinions que vous êtes loin de partager.
Mais les déclarations à l’origine de ce récent tollé général ne relevaient pas seulement de la polémique. Elles n’étaient pas seulement l’indignation d’un leader spirituel dénonçant les injustices ressenties. Elles reflétaient plutôt une vue profondément erronée de ce pays – une vue qui voit du racisme blanc partout, une vue qui met l’accent sur ce qui va mal en Amérique plutôt que sur ce qui va bien. Une vue qui voit les racines des conflits du Moyen-Orient essentiellement dans les actions de solides alliés comme Israël, au lieu de les chercher dans les idéologies perverses et haineuses de l’Islam radical.
Le révérend Wright ne fait pas que se tromper, ses propos sèment la discorde à un moment où nous devons trouver ensemble des solutions à nos énormes problèmes : deux guerres, une menace terroriste, une économie défaillante, une crise chronique du système de santé, un changement climatique aux conséquences désastreuses. Ces problèmes ne sont ni noirs, ni blancs, ni hispaniques, ni asiatiques mais ce sont des problèmes qui nous concernent tous.
Au vu de mon parcours, de mes choix politiques, des valeurs et idéaux auxquels je suis attaché, on dira que je ne suis pas allé assez loin dans cette condamnation. Pourquoi m’être associé au révérend Wright en premier lieu, peuvent-ils se demander ? Pourquoi ne pas avoir rejoint une autre église ? Et j’avoue que si tout ce que je savais du révérend Wright se résumait aux extraits de sermons qui passent en boucle à la télévision et sur Youtube, ou si la Trinity United Church of Christ ressemblait aux caricatures colportées par certains commentateurs, il n’y a aucun doute, je réagirais certainement plus ou moins de la même façon qu’eux.
Mais le fait est que ce n’est pas tout ce que je sais de cet homme. L’homme que j’ai rencontré il y a plus de vingt ans m’a éveillé à la foi chrétienne, c’est un homme pour qui aimer son prochain, prendre soin des malades et venir en aide aux miséreux est un devoir. Voila un homme qui a servi son pays dans les Marines ; il a étudié et enseigné dans les meilleures universités et séminaires, pendant plus de trente ans il a dirigé une église et en se mettant au service de sa communauté a accomplit l’œuvre de Dieu sur terre : loger les sans-abris, assister les miséreux, ouvrir des crèches, attribuer des bourses d’études, rendre visite aux prisonniers, réconforter les séropositifs et les malades atteints du sida.
Dans mon premier livre, les Rêves de mon père, je décris mes premières impressions sur l’église de la Trinity :
« L’assistance se mit à crier, à se lever, à taper des mains, et la force puissante de sa voix emportait les mots du révérend jusqu’aux chevrons (…) .Et dans ces simples notes – l’espoir ! – J’entendis autre chose. Au pied de cette croix, à l’intérieur des milliers d’églises de la ville, j’ai imaginé l’histoire de simples noirs fusionnant avec celle de David et de Goliath, de Moïse et du Pharaon, des chrétiens jetés dans la fosse aux lions et du champ d’os desséchés d’Ezekiel. Ces histoires de survie, et liberté, et d’espoir – devenaient notre histoire, mon histoire ; le sang qui avait été versé était notre sang, les larmes étaient nos larmes. Cette église noire, en cette belle journée, était devenu un navire qui portait l’histoire d’un peuple jusqu’aux générations futures et vers un monde plus grand. Nos luttes et nos triomphes devenaient soudain uniques et universels, pour les noirs et même bien au delà des noirs. En faisant la chronique de notre voyage, les histoires et les chansons nous donnaient les moyens de revendiquer des souvenirs au sujet desquels nous n’avions pas à avoir honte (…) des souvenirs que tout le monde pourrait étudier et chérir – et avec lesquels nous pourrions commencer à reconstruire. »
Telle a été ma première expérience à Trinity. Comme beaucoup d’autres églises majoritairement noires à travers le pays, la Trinity incarne un microcosme de la communauté noire – On y voit le Docteur et la mère de famille dans l’assistance ainsi que l’étudiant modèle et le voyou repenti. Comme toutes les églises noires, les services religieux de Trinity résonnent de rires tapageurs et de plaisanteries truculentes. On y danse, on tape des mains, on crie et on hurle ce qui peut paraître bizarre à un nouveau venu. L’église contient toute la tendresse et la cruauté, l’intelligence extrême et l’ignorance frustre, les combats et les succès, tout l’amour et aussi oui, l’amertume et les préjugés composant l’expérience noire en Amérique.
Et ceci explique sans doute, mes rapports avec le révérend Wright. Aussi imparfait qu’il peut être, je le considère comme un membre de ma famille. Il a renforcé ma foi, célébré mon mariage, et a baptisé mes enfants. Pas une fois dans mes conversations avec lui je ne l’ai entendu parler d’un groupe ethnique dans des termes péjoratifs, ou manquer de respect ou de courtoisie envers les blancs avec lesquels il parle. Il contient en lui les contradictions – le bon et le mauvais – de la communauté qu’il a servie diligemment pendant tant d’années.
Je ne peux pas plus le renier que je ne peux renier la communauté noire, je ne peux pas plus le renier que je ne peux renier ma grand-mère blanche – une femme qui m’a aidé à m’élever, une femme qui a fait tant de sacrifices pour moi, une femme qui m’aime plus que n’importe qui au monde, mais aussi une femme qui par le passé m’a avoué sa peur des noirs lorsqu’elle les croisait dans la rue, et que plus d’une fois, j’ai entendu proférer des remarques racistes qui m’ont offensé.
Ces personnes sont une partie de moi. Et elles font partie de l’Amérique, ce pays que j’aime.
Certains verront ceci comme une tentative pour justifier ou excuser des propos simplement inexcusables. Je peux vous assurer qu’il n’en est rien. Je suppose qu’il serait plus prudent, politiquement, de continuer comme si de rien n’était en espérant que cette affaire soit vite oubliée. Nous pourrions faire peu de cas du Révérend Wright et ne voir en lui qu’un excentrique ou un démagogue, comme certains l’ont fait avec Geraldine Ferraro, l’accusant, au lendemain de ses récentes déclarations, de préjugé racial.
Mais je crois que ce pays, aujourd’hui, ne peut pas se permettre d’ignorer les problèmes de races. Nous commettrions la même erreur que le révérend Wright dans ses sermons offensants à propos de l’Amérique – en simplifiant et en recourant à des stéréotypes et en accentuant les côtés négatifs au point de déformer la réalité.
Le fait est que les propos tenus et les problèmes soulevés au cours des dernières semaines reflètent les aspects complexes du problème racial dans ce pays, problèmes que nous n’avons jamais vraiment approfondis, cette partie de notre Union que nous devons encore perfectionner. Et si nous abandonnons maintenant pour revenir simplement à nos positions respectives, nous n’arriverons jamais à nous unir pour surmonter ensemble les défis que sont : l’assurance maladie, l’éducation ou la création d’emplois pour chaque Américain.
Pour comprendre cet état de choses, il faut se rappeler comment on en est arrivé là. Comme l’a écrit William Faulkner, « le passé n’est pas mort et enterré. En fait, il n’est même pas passé. » Nul besoin de citer ici l’histoire des injustices raciales dans ce pays. Mais devons nous rappeler que si tant de disparités existent dans la communauté afro-américaine d’aujourd’hui, c’est qu’elles proviennent en droite ligne des inégalités transmises par la génération précédente qui a souffert de l’héritage brutal de l’esclavage et de Jim Crow.
La ségrégation à l’école a produit et produit encore des écoles défavorisées, cinquante ans après Brown vs. The Board of Education, rien n’a changé et la qualité inférieure de l’éducation que dispensent ces écoles aide à expliquer les écarts de réussite entre les étudiants blancs et les étudiants noirs aujourd’hui.
La légalisation de la discrimination – c’est à dire des noirs que l’on empêchait, souvent par la violence, d’accéder à la propriété, des crédits que l’on n’accordait pas aux entrepreneurs afro-américains, des propriétaires noirs qui n’avaient pas droit aux prêts du FHA (Federal Housing Administration, l’Administration fédérale en charge du logement), des noirs exclus des syndicats, des forces de police ou des casernes de pompiers – a fait que les familles noires n’ont jamais pu accumuler un capital conséquent à transmettre aux générations futures. Cette histoire explique l’écart de fortune et de revenus entre noirs et blancs et la concentration des quartiers de pauvreté qui persistent dans tant de communautés urbaines et rurales aujourd’hui.
Le manque de débouchés parmi les noirs, la honte et la frustration de ne pas pouvoir subvenir aux besoins de leur famille a contribué à leur désintégration – un problème que les politiques d’aides sociales pendant de nombreuses années ont certainement aggravé. Le manque de services publics élémentaires dans un grand nombre de quartiers noirs – avec des aires de jeux pour les enfants, des patrouilles de police, le ramassage régulier des ordures ménagères et l’application des codes d’urbanisme a créé un cycle de violence, de gâchis et de négligences qui continuent à nous hanter.
C’est la réalité avec laquelle le révérend Wright et d’autres Afro-américains de sa génération ont du grandir. Ils sont devenus adultes à la fin des années 50 et au début des années 60, époque où la ségrégation était toujours en vigueur avec des perspectives d’avenir systématiquement réduites. Ce qui est remarquable ce n’est pas de voir combien ont échoué face à la discrimination, mais plutôt combien d’hommes et de femmes ont surmonté les obstacles et combien ont su ouvrir la voie pour ceux qui, comme moi, viendraient ensuite.
Mais parmi tous ceux qui ont bataillé dur afin d’obtenir une part du rêve américain beaucoup n’y sont pas arrivés, ceux-là ont été finalement vaincus, d’une façon ou d’une autre, par la discrimination. L’expérience de l’échec a été léguée aux générations futures : ces jeunes hommes et femmes, de plus en plus jeunes, que nous voyons aux coins des rues ou au fond de nos prisons, sans espoir ni perspectives. Même pour les noirs qui s’en sont sortis, les questions de la race et du racisme continuent à définir leur vision du monde de manière fondamentale. Pour les hommes et les femmes de la génération du Révérend Wright, la mémoire de l’humiliation et la peur de la précarité n’ont pas disparu ; pas plus que la colère et l’amertume de ces années passées. Cette colère ne s’exprime certainement pas en public ou devant des collègues ou des amis blancs. Mais elle trouve une voix chez le coiffeur ou autour de la table familiale. Parfois, cette colère est exploitée par des politiciens, pour gagner des voix en jouant avec la carte raciale, ou pour compenser leurs propres incompétences. De temps en temps il lui arrive aussi de trouver une voix le dimanche matin à l’église, du haut de la chaire ou sur les bancs des fidèles. Le fait que tant de gens soient surpris d’entendre cette colère dans certains sermons du Révérend Wright nous rappelle simplement vérité connue : « c’est à l’office du dimanche matin que la ségrégation se manifeste le plus aux Etats-Unis ». Cette colère n’est pas toujours productive ; en effet, trop souvent elle nous détourne de nos vrais problèmes ; elle empêche la communauté afro-américaine de nouer les alliances indispensables pour provoquer un véritable changement. Mais cette colère est réelle, elle est puissante et, souhaiter qu’elle disparaisse, la condamner sans comprendre ses racines, sert seulement à creuser le fossé d’incompréhension qui existe entre les deux races.
De fait, une colère semblable existe dans certaines parties de la communauté blanche. La plupart des Américains de la classe ouvrière et de la classe moyenne blanche n’ont pas l’impression d’avoir été spécialement favorisés du fait de leur appartenance raciale. Leur expérience est celle de l’immigrant – dans leur cas, ils n’ont hérité de personne, ils sont partis de rien. Ils ont travaillé dur toute leur vie, souvent pour voir leurs emplois délocalisés ou leurs retraites partir en fumée après une vie de dur labeur. Ils sont inquiets pour leur avenir, et voient leurs rêves s’éloigner ; à une époque de stagnation des salaires et de concurrence mondiale, les chances de s’en sortir se réduisent à zéro. Alors quand on leur dit que leurs enfants sont affectés à une école à l’autre bout de la ville, quand on leur dit qu’un Afro-américain qui décroche un bon job ou une place dans une bonne faculté est favorisé à cause d’injustices qu’ils n’ont pas commises, quand on leur dit que leur peur de la délinquance dans les quartiers est une forme de préjugé, le ressentiment s’accumule au fil du temps.
Comme dans la communauté noire, ces choses qui fâchent ne se disent pas non plus très ouvertement, mais elles affectent le paysage politique depuis au moins une génération. C’est la colère envers la politique d’assistanat de l’Etat Providence et la politique de discrimination positive qui ont donné naissance à la coalition de Reagan. Les politiciens ont systématiquement exploité la peur et l’insécurité à des fins électorales. Les présentateurs des talk-shows et les analystes conservateurs se sont bâti des carrières en débusquant des accusations de racisme inventées de toutes pièces tout en assimilant les débats légitimes à propos des injustices et inégalités raciales soit politiquement correct soit du racisme.
Tout comme la colère noire s’est souvent avérée contreproductive, les ressentiments des blancs nous ont aveuglé sur les véritables responsables de l’étranglement de la classe moyenne : une culture d’entreprise où les délits d’initiés, les pratiques comptables douteuses et la course aux profits rapides sont monnaie courante ; la capitale de Washington sous l’emprise des lobbies, une politique économique au service d’une minorité de privilégiés. Et pourtant souhaiter la disparition de cette rancœur des blancs, la qualifier d’inappropriée et même de raciste, sans reconnaître qu’elle peut avoir des causes bien légitimes, contribue également à agrandir la fracture raciale et à faire en sorte que l’incompréhension demeure.
Voila où nous en sommes actuellement. Incapables de nous sortir depuis des années de cette impasse raciale. Contrairement aux dires de certains qui me critiquent, noirs ou blancs, je n’ai jamais eu la naïveté de croire que nous pourrions régler nos différends raciaux en l’espace de quatre ans de mandature ou avec ma seule candidature, et qui plus est avec une candidature aussi imparfaite que la mienne.
Mais j’ai affirmé une conviction ferme – une conviction enracinée dans ma foi en Dieu et ma foi dans le peuple américain que si nous travaillons ensemble nous arriverons à panser nos vieilles blessures raciales, et qu’en fait nous n’avons pas le choix si nous voulons continuer à avancer sur le chemin d’une Union meilleure.
Pour la communauté Afro-américaine, cela signifie accepter le fardeau de notre passé sans en devenir victime. Cela signifie continuer d’exiger une vraie justice dans tous les aspects de la vie américaine. Mais cela signifie également associer nos propres revendications : pour une meilleure assurance maladie, de meilleures écoles, de meilleurs emplois, aux aspirations de tous les Américains, qu’il s’agisse de la femme blanche luttant pour briser le plafond de l’échelle hiérarchique, de l’homme blanc qui a été licencié ou de l’immigré s’efforçant de nourrir sa famille. Cela veut dire aussi assumer pleinement nos responsabilités dans la vie – en exigeant davantage de nos pères, en passant plus de temps avec nos enfants, en leur faisant la lecture, en leur enseignant que même si ils rencontrent beaucoup de difficultés et de la discrimination dans leurs vies, ils ne doivent jamais succomber au désespoir ou au cynisme ; ils doivent toujours croire qu’ils peuvent être maîtres de leur propre destin.
L’ironie, c’est que cette notion fondamentalement Américaine et conservatrice de l’effort personnel est fréquemment présente dans les sermons du Révérend Wright. Mais mon ancien pasteur n’a pas compris que l’on ne peut pas chercher à s’aider soi-même sans croire que notre société puisse changer également.
L’erreur profonde du Révérend Wright n’est pas d’évoquer le racisme dans notre société. Mais d’en parler comme si rien dans notre société n’avait changé, comme si aucun progrès n’avait été accompli ; comme si ce pays, un pays ou un noir peut être candidat au poste suprême et construire une coalition de blancs et de noirs, d’hispaniques, d’asiatiques, de riches et de pauvres, de jeunes et d’anciens, pouvait encore être prisonnier de son passé tragique. Or ce que nous savons et ce que nous avons vu c’est que l’Amérique peut changer. C’est là le vrai génie de cette nation. Ce que nous avons déjà réalisé nous donne de l’espoir – l’audace d’espérer – dans ce que nous pouvons et devrons accomplir demain.
Dans la communauté blanche, le chemin vers une Union plus parfaite signifie reconnaître que ce qui indispose la communauté Afro-américaine n’est pas simplement un pur produit de l’imagination des noirs ; que l’héritage de la discrimination, les actes de discrimination aujourd’hui, bien que moins présents que par le passé, sont bien réels et doivent êtres combattus. Pas simplement avec des mots, mais aussi par des gestes, par l’investissement dans nos écoles et nos communautés ; en faisant respecter nos lois sur les droits civils et en garantissant une justice pénale plus équitable ; en fournissant à cette génération les moyens de s’en sortir qui ont manqué aux générations précédentes. Il faut que chaque Américain comprenne que les rêves des autres ne se réalisent pas forcément au détriment des siens ; et qu’investir dans la santé, le bien-être, l’éducation des enfants noirs et blancs contribuera à la prospérité de tous les Américains.
En fin de compte, on attend de nous, ni plus ni moins, que ce que toutes les grandes religions du monde exigent : nous conduire envers les autres comme nous aimerions qu’ils se conduisent envers nous. Soyons le gardien de notre frère, nous disent les Ecritures. Soyons le gardien de notre soeur. Cherchons ce qui nous soude les uns aux autres, et laissons notre politique refléter cet esprit.
Nous avons un choix à faire dans ce pays. Nous pouvons accepter une politique qui multiplie les divisions intercommunautaires, les conflits, et le cynisme. Nous pouvons aborder le problème racial en voyeurs, comme nous l’avons fait pendant le procès d’O.J. Simpson, ou sous un angle tragique, comme nous avons fait après l’ouragan Katrina – ou encore pour alimenter les journaux télévisés du soir-. Nous pouvons passer en boucle les sermons du Révérend Wright à la télévision et débattre du sujet jusqu’à l’élection en se demandant si je partage ou non avec ses propos offensants. Nous pouvons exploiter la moindre bavure dans le camp d’Hillary Clinton prouvant qu’elle joue la carte raciale, ou nous pouvons nous demander si les électeurs blancs voteront en masse pour John McCain en Novembre, quel que soit son programme politique.
Oui, nous pouvons faire cela.
Mais dans ce cas, je vous garantis qu’aux prochaines élections, nous trouverons un autre sujet de distraction, puis encore un autre, et un autre encore, et rien jamais ne changera.
Ou bien, maintenant dans cette campagne, nous pouvons dire ensemble « non, pas cette fois. » Cette fois nous voulons parler des écoles délabrées qui volent l’avenir de nos enfants, les enfants noirs et les enfants blancs, les enfants asiatiques, les enfants hispaniques et les enfants Amérindiens. Cette fois nous voulons dire non au cynisme qui présente ces enfants qui ne nous ressemblent pas comme incapables d’apprendre, comme s’ils étaient le problème des autres, comme s’ils n’étaient pas les enfants de l’Amérique. Pourtant ces enfants sont bien nos enfants, et nous ne les laisserons pas tomber dans notre société, en ce 21ème siècle. Non, pas cette fois.
Cette fois nous voulons parler des files d’attente dans les services d’urgences des hôpitaux composées de blancs, de noirs et d’hispaniques qui n’ont pas d’assurance maladie et qui ne peuvent pas, seuls, s’attaquer aux groupes de pression de Washington, mais qui pourront le faire si nous y travaillons tous ensemble.
Cette fois, nous voulons parler de la fermeture des usines qui avaient par le passé fourni une vie décente aux hommes et aux femmes de toutes races, nous voulons parler de maisons à vendre qui par le passé appartenaient aux Américains de toutes religions, de toutes régions et de toutes professions. Cette fois nous voulons parler du fait que le vrai problème n’est pas que quelqu’un qui ne vous ressemble pas puisse vous prendre votre emploi mais que l’entreprise pour laquelle vous travaillez va se délocaliser dans le seul but de faire du profit.
Cette fois nous voulons parler des hommes et des femmes de toutes couleurs et de toutes croyances qui servent ensemble, combattent ensemble et versent leur sang ensemble sous le même fier drapeau. Nous voulons parler du moyen de les ramener à la maison, de les faire revenir d’une guerre qui n’aurait jamais dû être autorisée, qui n’aurait jamais dû avoir lieu. Nous voulons aussi parler du moyen de leur démonter notre patriotisme en prenant soin d’eux et de leurs famille, en leur versant les allocations auxquelles ils ont droit.
Je ne me présenterai pas à l’élection présidentielle si je ne croyais pas du fond du cœur que c’est ce que souhaite l’immense majorité des Américains pour ce pays. Certes il se peut que l’Union ne soit jamais parfaite, mais génération après génération, elle a prouvé qu’elle pouvait s’améliorer. Et aujourd’hui, chaque fois que je me sens envahi par le doute ou le cynique au sujet de cette possibilité, la jeune génération me donne de l’espoir. Ces jeunes dont les attitudes, les croyances et le réel désir de changement sont déjà rentrés dans l’histoire dans cette élection.
Il y a une histoire que j’aimerai partager avec vous aujourd’hui – une histoire que j’ai eu le grand honneur de raconter lors de la commémoration de la naissance de Martin Luther King, dans son église, Ebenezer Baptist à Atlanta.
C’est l’histoire d’une jeune blanche de 23 ans appelée Ashley Baia qui a travaillé pour notre campagne à Florence en Caroline du Sud. Depuis le début elle avait été chargée de mobiliser une communauté majoritairement Afro-américaine, et un jour elle s’est retrouvée autour d’une table ronde où chacun à son tour, racontait son histoire expliquant pourquoi il se trouvait là.
Ashley a raconté que quand elle avait 9 ans, sa maman a eu un cancer. Et parce qu’elle avait manqué plusieurs jours de travail elle a été licenciée et aussi perdu son assurance maladie. Elle a dû se mettre en faillite personnelle et Ashley a décidé qu’elle devait faire quelque chose pour aider sa maman.
Elle savait que la nourriture était ce qui coûtait le plus cher, alors Ashley a convaincu sa mère que ce qu’elle préférait manger par-dessus tout c’était les sandwichs à la moutarde et aux cornichons. C’était bien sûr ce qu’il y avait de moins cher.
Elle a mangé cela pendant un an jusqu’à ce que sa maman aille mieux, elle a dit à tous les participants de la réunion qu’elle s’était engagée dans la campagne pour aider les milliers d’autres enfants du pays qui eux aussi, veulent et doivent aider leurs parents.
Ashley aurait pu voir les choses autrement. Quelqu’un aurait pu lui dire à un moment, que la cause des ennuis de sa maman c’était les noirs qui, trop paresseux pour travailler, vivaient des allocations ou bien les hispaniques qui entraient clandestinement dans le pays. Mais ce n’est pas ce qu’elle a fait, elle a cherché des alliés dans son combat contre l’injustice.
Ashley termina son histoire puis se levant elle demanda à chacun d’expliquer à leur tour pourquoi ils s’étaient engagés dans la campagne. Ils donnèrent tous différentes histoires et différentes raisons, beaucoup évoquèrent un problème précis. Et finalement ce fut le tour de ce vieil homme noir qui n’avait pas encore parlé. Ashley lui demanda pourquoi il est là, il n’évoqua pas de problème spécifique, il ne parla pas de l’assurance maladie ou de l’économie, il ne parla pas de l’éducation ou de la guerre, il ne dit pas qu’il était venu à cause de Barack Obama. Il dit simplement à tous, « je suis ici à cause d’Ashley. »
« Je suis ici à cause d’Ashley. » A lui seul, ce déclic entre cette jeune fille blanche et ce vieil homme noir n’est pas suffisant. Ce n’est pas assez pour donner une assurance maladie aux malades ou du travail à ceux qui n’en ont pas et une éducation à nos enfants.
Mais c’est de cette façon que nous commencerons. De cette façon que notre Union se développe et se renforce. Et comme tant de générations l’ont compris tout au long de ces 221 années qui se sont écoulées depuis qu’un groupe de patriotes rassemblés ont signé ce document à Philadelphie, c’est de cette façon que commence le travail pour parfaire l’Union.