par Michel Rogalski
Subies et forcées ou voulues et espérées, les migrations ont été marquées par la dynamique inégale des rythmes de développement des différentes régions du monde. Portées par l’esclavage, le colonialisme, la conquête de continents, elles ont connu des formes variées. Mais elles s’inscrivent désormais dans le panorama d’une planète qui a rétréci, rendant leur acceptation plus délicate qu’auparavant. Elles ne concernent que 2 % à 3 % de la population mondiale, soit environ 150 millions de personnes.
Le nomadisme planétaire n’est pas la solution à la misère des peuples
Elles doivent être bien distinguées des flux d’asile politique (très faibles) ou de la liberté de circulation massive (tourisme, échanges scientifiques, visites familiales) ou encore de la problématique de personnes déplacées de l’autre côté d’une frontière (catastrophes naturelles, conflits, etc.) en situation provisoire. Les flux migratoires impliquent quant à eux établissement et fixation, et relèvent autant du droit des personnes que du droit des États. Ils ne peuvent s’inscrire dans une vision libérale qui prendrait pour modèle une libre circulation des capitaux ou des marchandises dont on connaît d’ailleurs les ravages. Le nomadisme planétaire n’est pas un modèle collectif de développement et ne résoud aucun problème.
Actuellement, les zones de migrations s’organisent essentiellement autour des principaux points de contacts Nord-Sud (Mexique-États-Unis, Maghreb-Europe), autour d’anciens axes coloniaux (Afrique noire-France, Asie-Grande-Bretagne), ou se mettent en place à l’occasion de la formation d’espaces d’accumulation rapide (golfe Persique, Asie Pacifique, pays pétroliers), souvent à partir de pays proches. Contrairement à une idée faussement répandue, ces flux migratoires Sud-Sud, qui convergent vers des zones en développement rapide, sont aujourd’hui dominants. La libre circulation des travailleurs profite avant tout au capital, car elle favorise leur mise en concurrence à l’échelle du monde et permet d’augmenter les taux d’exploitation de toute la main-d’ouvre, immigrée ou non. Elle met de l’huile dans les rouages du capitalisme mais ne contribue pas au développement des hommes.
Les effets sont pervers pour les pays de départ. Avec les travailleurs migrants, ce sont souvent les fractions les plus dynamiques et entreprenantes qui quittent leur pays d’origine. Ces véritables saignées ne peuvent être sans conséquences sur les possibilités de leur développement. Les revenus transférés aux familles ne remplaceront jamais les pertes subies, même si l’on sait qu’aujourd’hui ils atteignent le niveau de l’aide publique au développement. Les migrants sont de plus en plus mal accueillis, de moins en moins désirés, et souvent livrés à des réseaux maffieux internationaux de trafic de main-d’ ?uvre pour être finalement abandonnés à un patronat négrier. Ils servent de plus en plus de boucs émissaires au moindre retournement de conjoncture, se retrouvent utilisés dans l’exacerbation de tendances xénophobes.
La misère s’est partout répandue, nourrissant des situations explosives, de régressions sociales, idéologiques, et alimentant les intégrismes religieux et des retours vers le communautarisme. Proche de nous, le Maghreb a payé un lourd tribut, et nous avons pu en mesurer l’effet immédiat sur les flux migratoires. Ce qui fait avant tout partir les hommes, c’est la misère, l’insécurité à vivre, le sous-développement et l’absence d’espoir. L’émigration est structurellement encore inévitable pour longtemps car elle s’incrit dans de profonde inégalités sociales où la moitié la plus pauvre de la planète observe à travers la petite lucarne télévisée l’autre moitié vivre dans ce qui lui paraît être un luxe inaccessible et se demande quelle est la fatalité qui l’a fait naître au mauvais endroit. Mais dans le même temps, l’immigration massive est impossible. Au Nord, elle n’est plus acceptée et provoque des tensions sociales politiquement ingérables. Au Sud, elle déstabilise des États partout fragilisés par la mondialisation. C’est pourquoi les migrations internationales sont devenues un facteur de tension internationale majeur. Les rapports Nord-Sud doivent s’inscrire dans une autre logique pour permettre à chacun de vivre chez lui dans la dignité. La question des migrations restera sans solution tant que les causes qui la provoquent perdureront. Les rapports Nord-Sud sont vivement interpellés. Or ils s’inscrivent dans des relations de domination de plus en plus asymétriques.
Le double défi de la solidarité et du développement
Partout, au Nord, comme au Sud, les peuples en sont les victimes. Certes, en mettant en concurrence travailleurs et nations, la mondialisation apparaît comme un facteur de grande « insolidarité », mais dans le même temps, en « rétrécissant » la planète, elle aide à la conscience d’un rapprochement de luttes. Nous sommes entrés dans une période où l’intérêt commun se manifeste d’emblée entre les acteurs de luttes autour de la planète. Il s’agit de luttes dont la convergence est d’emblée perçue, et dont la disparité dans la situation des acteurs ne fait pas obstacle à leur mise en relation. Il s’agit là de potentialités de luttes ouvertes par la mondialisation.
Contribuer à résoudre la question des migrations, c’est d’abord s’inscrire dans un combat solidaire avec ceux qui, dans leur pays, entendent se battre collectivement dans des conditions difficiles pour sortir leur pays de l’ornière du sous-développement et le dégager de relations internationales dominantes. C’est aider à faire prendre conscience chez nous que le développement des pays du Sud doit être considéré comme une première priorité. C’est traiter les migrants avec humanité, avant tout comme des victimes, et non pas comme des délinquants. Les migrations internationales nous lancent donc un double défi : celui de la solidarité et celui du développement, et soulignent l’urgence d’organiser l’interdépendance mondiale autour de la coopération entre les peuples permettant à chaque pays de se développer.