par Claude Cartigny
Le gouvernement Sharon a bien appliqué son programme électoral. Il n’a pas d’opposition puisqu’il s’est assuré l’appui des travaillistes, Shimon Pérès en tête. L’ »homme de la paix » de 1993 y occupe les Affaires étrangères, c’est à dire le Ministère la Bonne Parole à porter à l’extérieur pour duper l’opinion internationale, tandis que MM. Sharon et Ben Eliezer (travailliste, ministre de la Défense, et ex-membre du gouvernement Barak) s’occupent de la vraie politique, celle des mitrailleuses, des hélicoptères et des chasseurs-bombardiers.
L’homme Sharon n’a pas changé. Il est toujours le chef de commandos spécialisés, dès 1952, dans les tueries de civils. Il est l’architecte de l’invasion du Liban de juin 1982. Il est celui qui a ouvert aux massacreurs phalangistes les camps de Sabra et Chatila, acte pour lequel il a été reconnu « responsable indirect » par la justice israélienne elle-même.
Le programme Sharon
Son programme se résume à peu de choses : rien sur les colonies, rien sur Jérusalem, rien sur les réfugiés. Le tout assorti du maintien indéfini du régime d’occupation militaire en fonction des seuls intérêts sécuritaires d’Israël tels qu’il les conçoit. Pour appliquer ce programme une seule méthode : matraquer, frapper toujours plus fort, ne pas hésiter à s’engager dans l’escalade d’une violence de masse chaque jour plus poussée et meurtrière à l’égard d’un peuple tout entier.
Il n’est plus de saison aujourd’hui de s’interroger sur les accords d’Oslo. Ils ont été déchirés et jetés aux orties. Chaque jour, l’armée effectue des incursions de troupes et de blindés en zone A (qu’Oslo avait définie comme relevant de la seule Autorité palestinienne), les locaux de l’Autorité sont pris quotidiennement pour cibles, en particulier les commissariats de police et les cantonnements de la « Force 17 », créée pour assurer la sécurité de l’Autorité, des cadres palestiniens sont assassinés, y compris ceux qui ont participé au « processus de paix ». Bref, on s’efforce de détruire physiquement l’Autorité palestinienne. Mais cette politique du pire commence à susciter questions et réprobation en Israël même.
Un timide retour américain
Lors de sa campagne, le nouveau président Bush avait promis de se tenir à l’écart et de ne pas s’impliquer personnellement dans la recherche d’un accord de paix définitif comme l’avait fait son prédécesseur. Lui aussi a tenu parole. Son seul acte à ce jour sur la scène moyen-orientale a été de bombarder Bagdad, pour la première fois depuis janvier 1991 !
Mais l’emploi des F-16 a contraint l’administration Bush à esquisser une réaction. Le contrat de vente prévoyant que ces avions ne doivent être utilisés que contre une menace extérieure, le vice-président Cheney a prié Sharon de bien vouloir les laisser au garage. Lorsque les attaques étaient effectuées par des hélicoptères d’assaut « Cobra » et « Apache » armés de missiles et de paniers de roquettes, M. Cheney n’y voyait pas d’inconvénient. Bien que ces systèmes d’armes aient été fournis par les Américains De la paire de Rangers aux systèmes antimissiles, presque tout vient des États-Unis.
Parallèlement, le rapport d la commission Mitchell a été remis lundi 21 mai (cette commission avait été créée à la suite du Sommet de Char El-Cheikh, début octobre 2000). Il préconise le gel de la colonisation comme condition de la reprise d’un dialogue. Ce rapport permet aux Américains de revenir sur la pointe des pieds comme acteur dans la résolution du conflit. Dans une conférence de presse tenue le même jour, le secrétaire d’État Colin Powel a considéré le rapport Mitchell comme base d’une reprise des négociations et a désigné William Burns, ambassadeur en Jordanie comme « assistant spécial » chargé du dossier (le médiateur de l’administration Clinton, Deniss Ross, avait été « remercié » fin janvier 2001 et jamais remplacé). Dans sa conférence du 21 mars, Colin Powell a aussi appelé la « communauté internationale » à se joindre aux efforts américains pour « faire pression sur tous les dirigeants de la région pour faire cesser les violences ». Il y a une profonde perversité à mettre ainsi sur le même pied « tous les dirigeants de la région ». Aujourd’hui c’est à Yasser Arafat que l’on s’adresse en priorité . C’est une immense hypocrisie, qu’on ne dénoncera jamais assez. Arafat a demandé de ne plus s’en prendre aux civils israéliens. Il a condamné tous les attentats, dont le dernier attentat sanglant de Nétanya. C’est feindre de croire qu’il maîtrise toute la situation alors que tout est fait pour l’affaiblir.
Déjà le gouvernement Barak, notamment par les bouclages, avait créé le chaos dans les territoires. Depuis l’arrivée au pouvoir de Sharon, on ne cesse de répéter chaque jour qu’Arafat est redevenu un chef « terroriste » et n’est plus un partenaire de négociation acceptable. On a entrepris de détruire physiquement l’Autorité, avec un soin tout particulier pour ses infrastructures de sécurité. Dans ces conditions, comment peut-on exiger d’Arafat qu’il mette fin aux « violences » alors qu’on a sapé son autorité morale et qu’on le prive de ses moyens matériels et humains de sécurité ?
Le fantôme de l’Europe
Alors que se déroule cette tragédie, un silence assourdissant emplit nos oreilles ! C’est celui de l’Union européenne. Ce silence n’est guère étonnant. Un seul pays avait autrefois une influence politique dans la région, c’était la France. C’est elle qui fut à l’origine de la déclaration de Venise, en juin 1980, reconnaissant le droit des Palestiniens à un État. Mais en mars 1991, dans un regrettable article publié dans Le Monde, Roland Dumas nous a expliqué que la politique arabe de la France n’avait jamais existé, que c’était un « mythe ». Il s’agissait de préparer le terrain au retrait de la diplomatie française au bénéfice de la Politique Extérieure et de Sécurité Commune (PESC), prévue au titre V du traité de Maastricht.
Les autres pays des Quinze n’ont jamais eu de politique étrangère, ou en ont une décidée à Washington, ou limitée aux relations avec leurs voisins immédiat. Ces pays n’analysent pas la crise israélo-palestinienne de la même façon, n’envisagent pas les mêmes issues, n’ont pas les mêmes intérêts. A la tête de cet ersatz de politique étrangère, on a placé M. Javier Solana, ex- secrétaire général de l’OTAN, et qui n’a pu jouer un rôle qu’au sein de la commission Mitchell où il siégeait sous direction américaine. Pour le reste, il s’efforce de trouver le plus petit dénominateur commun dans le conglomérat hétéroclite des Quinze. Il n’est pas très difficile à trouver : il suffit de ne rien faire. Soyons juste, depuis le 16 mai, on n’achète plus les pamplemousses cultivés dans les colonies…
Et maintenant
D’abord, la France devrait refaire entendre sa voix de façon indépendante, sans se soucier de savoir si cela plaira au Luxembourg ou au Danemark. Il faut que la négociation reprenne. Yasser Arafat et le négociateur palestinien Yasser Abed Rabbo s’y sont déclarés prêts.
Ces négociations doivent avoir pour but la mise en ?uvre des résolutions 242 et 338 de l’ONU, comme c’était déjà le cas lors de l’ouverture de la conférence de Madrid en octobre 1991. Pour cela, Israël doit cesser de se considérer et cesser d’être considéré par certains de ses amis comme un État à qui les règles du droit international ne s’appliquent pas. Dans l’immédiat, une force internationale de l’ONU doit être déployée au moins en zone A afin de faire respecter la convention de Genève de 1949 sur la protection des populations civiles en temps de guerre. Bien sûr, cette idée fait hurler les dirigeants de Tel-Aviv, mais imagine-t-on M. Sharon ordonner d’ouvrir le feu sur une force de l’ONU comprenant des soldats américains, britanniques, français ou russe ?
Ensuite tout redeviendrait négociable – Jérusalem, les frontières, les colonies, les réfugiés, la continuité territoriale.
Pas d’alternative à la paix
M. Sharon devrait y réfléchir : soit il fait la paix avec les Palestiniens, soit il doit mettre en ?uvre une « solution finale » où il ne s’agira pas de tuer 500 Palestiniens et de faire prendre l’air à ses F-16 de temps en temps, mais où il lui faudra en exterminer 2 millions sous les yeux du monde entier, car tant qu’il restera un Palestinien vivant, il luttera contre le régime d’occupation militaire.
Dans l’immédiat, le risque d’un conflit régional ne peut être complètement exclu. Certes, les États arabes n’ont guère envie d’en découdre pour la cause palestinienne. Même ceux qui ont été transformés en forteresse militaire par l’aide américaine (l’Égypte, l’Arabie Saoudite, les Émirats) savent qu’ils seraient battus. Il en va de même de la Syrie. Mais pour les dirigeants de régimes attachés avant tout à leur survie politique, il peut apparaître qu’une défaite militaire « glorieuse » devant Israël serait moins dangereuse que des explosions populaires dues à leur inaction et extrêmement périlleuses pour leur pouvoir.
Toutes les mèches sont donc allumées. Est-il encore temps de les éteindre, alors que peu de pompiers semblent prêts à répondre à la sirène d’alarme.