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La gouvernance d’internet doit être du ressort de l’ONU

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En avril 2014, le Brésil a organisé à Sao Paulo un important sommet international appelé NETmundial, visant à poser les bases d’une gouvernance internationale d’internet. Le réseau créé il y a tout juste 25 ans a été longtemps historiquement dominé par les États-Unis. Créé d’abord dans le cadre militaire et universitaire sous le nom d’ARPANET, il a ensuite connu un succès exponentiel en s’ouvrant au public, et, si l’esprit libertaire des informaticiens qui en sont les pionniers est toujours perceptible, ce sont surtout les firmes et les intérêts privés qui le dominent à présent : des firmes essentiellement américaines comme Google, Yahoo ou Facebook. L’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), créé en 1998, organisme qui délivre adresses IP et noms de domaine sur Internet, est une société californienne, liée au gouvernement américain (elle dépend du ministère américain du commerce). L’ICANN sous-traite les opérations techniques – gestion des domaines « .com », « .net », etc. – à la société américaine privée VeriSign. Les États-Unis ont ainsi érigé le dogme de la propriété privée au cœur d’internet.

Le net entre les firmes privées et la surveillance des États ?

Choquée, comme une partie de l’opinion mondiale, par la révélation, faite en 2013 par Edward Snowden, de la surveillance massive par la NSA (National Security Agency des États-Unis) d’internet  et en particulier des communications privées échangées sur le web, Dilma Rousseff, la Présidente du Brésil, a appelé en organisant cette réunion à repenser la gouvernance mondiale d’internet. 

Au niveau national, le Brésil s’affirme comme un pays très avancé dans la défense de la vie privée sur internet avec le vote par le Congrès brésilien en avril 2014 d’un « Cadre civil »,  véritable « Constitution de l’internet », qui établit des droits et devoirs pour les pouvoirs publics, les entreprises et les usagers du web.

Le NETmundial, co-organisé par 12 pays dont, outre le Brésil, la France et les États-Unis, a rassemblé plus de 900 participants, représentant plus de 80 gouvernements mais aussi le secteur privé, le monde académique, la société civile et des institutions techniques, donc des acteurs aux intérêts très divers. Il a condamné l’espionnage sur internet et appelé à une nouvelle gouvernance d’internet, par une approche « multiacteurs » (c’est-à-dire donnant un rôle aussi bien aux instances publiques qu’aux acteurs privés et à la société civile).

Quelques mois auparavant, en septembre 2013, Dilma Rousseff avait plaidé, par un discours enflammé devant l’Assemblée générale des Nations unies, pour un contrôle multilatéral de l’utilisation d’internet ; elle y avait critiqué vertement les États-Unis pour leur non-respect de la vie privée des internautes. Sous son impulsion, l’Assemblée générale a adopté une résolution affirmant que le respect de la vie privée des internautes est un droit humain fondamental.

Sentant depuis plusieurs mois la contestation monter, les États-Unis ont accepté déjà depuis mars 2013 de réviser le statut de l’ICANN, pour le rendre plus indépendant, ce qui correspond à un vœu de l’ICANN lui-même. Il y a quelques mois, le président de l’ICANN, Fadi Chehadé, a d’ailleurs rencontré Dilma Rousseff, pour lui demander d’agir pour mettre en place une nouvelle gouvernance d’Internet.

Le sommet NETmundial, qui a abouti à la publication d’un consensus (certes non contraignant), apparaît comme une première étape vers la mise en place d’une nouvelle gouvernance d’internet. Il s’inscrit dans la continuité du dernier sommet de l’ONU sur la gouvernance d’Internet, organisé en décembre 2012 à Dubaï par l’Union internationale des télécommunications (UIT). L’UIT, agence spécialisée de l’ONU chargée des télécommunications, est la plus ancienne organisation intergouvernementale technique de coordination puisqu’elle a été créée en 1865 sous le nom d’Union internationale du télégraphe. Le sommet de Dubaï, 12ème conférence mondiale sur les télécommunications internationales, regroupant pays et opérateurs, faisait suite aux sommets mondiaux sur la société de l’information (SMSI), organisés par l’UIT à Genève 2003 et à Tunis en 2005. Le sommet de 2012 avait pour objet la révision du règlement international des télécoms, datant de 1988. Ce sommet a marqué une évolution dans le rapport de force mondial concernant internet : il a vu la cristallisation de l’opposition entre les États-Unis d’un côté, désireux de garder le contrôle sur internet, et certains pays émergents de l’autre, comme la Russie, la Chine et les émirats arabes, désireux de contrôler internet au niveau national, et ainsi d’être libres d’éventuellement le censurer. Le nouveau règlement des télécommunications internationales a été signé, à la fin de ce sommet, par 89 pays, 55 pays dont les principaux occidentaux refusant de le voter (France, États-Unis, Royaume-Uni, Canada notamment), estimant qu’il permet la censure d’internet par des pays non démocratiques. Les médias occidentaux ont alors présenté ce sommet de manière manichéenne comme l’opposition des régimes autoritaires censurant internet et des démocraties. L’UIT est critiquée par pays occidentaux, qui dénoncent le manque de transparence, le secret des négociations, le caractère fermé de la structure, et sa dépendance historique à des monopoles d’État sur les télécoms. En revanche l’UIT est soutenue par la Russie, qui y mène une politique d’influence, augmentant ses financements à cette organisation tandis que les pays occidentaux les diminuent. Le secrétaire général de l’UIT, le Malien Hamadoun Touré, est proche de la Russie (il a fait ses études dans l’ex-URSS).

Confier internet à l’ONU ?

Pour dépasser le double écueil d’un contrôle économique d’internet par les firmes américaines ainsi que d’une surveillance généralisée du web par le gouvernement américain d’un côté, et d’une censure d’internet par les régimes autoritaires (Chine, Turquie…) de l’autre, quelle solution émerge ? Ce serait de confier la gouvernance d’internet à l’ONU, instance universelle la plus légitime car la plus démocratique à ce jour. C’est ce que prône le Brésil, qui appelle à accroître les pouvoirs d’organismes dépendant des Nations unies comme le Forum sur la Gouvernance de l’Internet (FGI), qui, à ce jour, est une simple instance consultative.

Or, ce n’est pas vraiment la voie vers laquelle on se dirige à présent : les États-Unis font tout pour garder le contrôle sur internet via sa privatisation et pour éviter que la gouvernance d’internet soit confiée à l’ONU. En mars 2014, le ministère du commerce des États-Unis a affirmé son projet de procéder à une transition vers la totale « privatisation » et « internationalisation » de l’ICANN d’ici à septembre 2015, à la condition que la solution proposée ne conduise pas à donner le contrôle de l’IANA (composante de l’ICANN chargée de gérer notamment les adresses IP) à l’UIT c’est-à-dire à l’ONU. Les États-Unis souhaitent qu’il soit donné une large place au secteur privé (dominé justement par les États-Unis) dans la nouvelle gouvernance du web. Internet est véritablement un outil de puissance, que les États-Unis n’entendent pas lâcher. Un élément est très parlant : dans le document préparatoire au Netmundial, le mot « multistakeholder » est employé 46 fois, le mot « démocratie » jamais !

L’ONU, qui seule peut apporter ce caractère démocratique à la gouvernance d’internet, devrait s’attacher à plusieurs tâches :

– gérer l’architecture de l’internet (noms de domaine, harmonisation mondiale…)

– résorber la fracture numérique. Aujourd’hui seule 1/3 de la population mondiale a accès au web, 1,3 milliard de foyers en sont privés. En Afrique, seuls 16% des habitants ont accès à internet.  Cet objectif s’inscrirait dans la continuité de l’action de l’ONU dans ce domaine, puisqu’en 1980 déjà, des personnalités du monde entier et des pays du Sud avaient, dans le cadre de l’Unesco, appelé à un « nouvel ordre mondial de l’information et de la communication » (NOMIC) ; en vain, déjà, à l’époque, à cause de l’opposition des États-Unis.

– interdire la censure d’internet

– interdire la surveillance d’internet à des fins politiques ou commerciales.

C’est dans le cadre des Nations unies que l’on peut avancer vers cet objectif. Face aussi bien aux États-Unis, qui sont en train de construire le plus grand centre de cybersurveillance du monde à Bluffdale, dans le désert de l’Utah, qu’aux pays autoritaires comme la Chine, l’Iran ou la Turquie, qui censurent internet, il est urgent d’instaurer une gouvernance véritablement démocratique d’internet.■

Avril 2015