par Michel Rogalski
La 15ème Conférence des Parties (COP 15) de la Convention Climat vient de s’achever à Copenhague succédant à celles de Bali et de Poznan selon un rituel onusien désormais bien huilé où se côtoient diplomates et politiques, scientifiques et experts, et société civile plus accompagnante que contestatrice. La feuille de route en avait été définie précédemment par l’accord-cadre de la réunion de Bali (2007). Les climatologues avaient alerté dès les années 80 des risques de l’impact des émissions de gaz à effet de serre (CO2 et méthane principalement) et, dès 1988 se met en place une institution originale, le Groupe Intergouvernemental d’Experts sur l’évolution du Climat (GIEC), qui remet son premier Rapport en 1990. Le Sommet de la Terre à Rio en 1992 décide de la mise sur pied de la Convention Climat dont tout découle aujourd’hui. La responsabilité de l’activité humaine dans le changement climatique est déjà actée et sa probabilité se verra de plus en plus confirmée au fil des quatre rapports successifs du GIEC.
En 1997, après cinq années de négociations, le Protocole de Kyoto est adopté par 175 pays et constitue la première mise en forme d’un régime de coordination internationale sur le climat définissant des obligations qui lient des Etats à travers des objectifs quantifiés et des échéances. Pour entrer en vigueur, il faudra attendre jusqu’à 2005, le temps qu’un nombre d’Etats suffisant l’aient ratifié. Habile dans sa conception, le Protocole a associé les pays du Tiers monde à la négociation, tout en les mettant, au nom d’un principe de responsabilité commune mais différenciée, à l’écart de toute contrainte jusqu’à 2012, étape de sa renégociation. La discussion s’est donc principalement déroulée entre la Russie, les pays de l’Europe de l’Est et ceux de l’OCDE. Rechignant à tout accord international contraignant et soucieux d’un coût financier qui profiterait principalement à la Russie, les Etats-Unis ne ratifieront jamais le Protocole. Le système des quotas institué aurait fait des Russes, en pleine désindustrialisation, des vendeurs et des Américains des acheteurs sur le marché des permis négociables d’émissions de gaz à effet de serre.
Objectif climat
Parmi les enjeux de Copenhague figuraient donc, pour donner au Protocole une dimension véritablement mondiale, les conditions de l’entrée américaine dans le mécanisme et l’arrivée des pays du Tiers monde au demeurant peu convaincus dès le départ de la réalité d’une menace climatique. En clair, fallait-il ramener les Etats-Unis à la date repère de 1990, comme les autres pays du Nord, et les pénaliser de leur inaction, ou « passer l’éponge » et les laisser choisir une autre date de référence ? Et jusqu’où fallait-il ou était-il possible d’aller dans les compensations financières et les transferts technologiques gratuits au Tiers monde ? Et enfin, fallait-il traiter plus longtemps les grands pays émergents comme la Chine et l’Inde, comme de simples pays du Tiers monde, compte tenu de l’importance de leurs émissions, ou les associer plus rapidement à l’effort collectif ?
La conférence de Copenhague a accouché pour l’essentiel des effets d’annonce qui l’ont précédée et qui restent à préciser à travers les engagements écrits que les principaux Etats se sont engagés à coucher sur le papier sous un délai rapide. Ce n’était pas la réunion finale à laquelle ONG et scientifiques avaient tenté de nous faire croire, mais plutôt un premier round d’observation qui se poursuivra sous formes de réunions/négociations pendant trois années, jusqu’à fin 2012. Nul doute que le nouveau « Sommet mondial de la Terre », devant se réunir à Rio en 2012 sur le thème de l’économie verte, sous une triple constellation (Rio+20, Johannesbourg+10 et même Stockholm+40), sera le cadre final d’un accord sur le climat. Plusieurs problèmes majeurs hanteront les discussions préparatoires :
- Il doit être tenu pour certain que les pays du Sud exigeront des compensations financières d’adaptation dès maintenant et qu’ils conditionneront la suite de leur engagement à la réalité des sommes reçues. Faudra-t-il imaginer des formes de collectes internationales pour alimenter un Fonds spécifique ? Comment éviter qu’il ne s’agisse que d’un redéploiement de l’aide publique au développement, déjà jugée bien faible ? Les grands pays émergents devront-ils être contributeurs ou bénéficiaires de l’aide ?
- L’effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre reste un objectif fondamental pour limiter le réchauffement climatique et les discussions resteront vives sur la hauteur des engagements, leurs rythmes et les mécanismes économiques jugés les plus efficaces et équitables pour les atteindre. Faudra-t-il notamment élargir le système des quotas négociables ou instaurer une taxe carbone mondiale d’un même niveau quel que soit le pays ? Ou articuler les deux mécanismes ?
- Les gains en efficacité énergétique, le développement d’énergies renouvelables et la mise en œuvre d’une transition vers une économie décarbonée supposeront un partage de connaissances et des transferts technologiques massifs et gratuits vers les pays du Sud. À travers quels mécanismes ? Jusqu’où les pays du Nord seront-ils prêts à sacrifier sur l’autel du droit de propriété intellectuelle ?
Ainsi, les négociations climatiques sont de plus en plus travaillées par la fracture Nord-Sud et deviennent, en l’absence d’autres lieux institutionnalisés, l’une des rares enceintes où peuvent être évoquées de façon concrète les grandes questions du développement.
Les enjeux : gouvernance et développement
Au-delà des grands dossiers discutés, la conférence de Copenhague a révélé de grands enjeux. Le climat est devenu au fil des années l’un des sujets majeurs de la « gouvernance mondiale » dont on sait combien elle peine à se mettre en place tant les réalités de l’Etat-nation souverain restent vivaces. La stratégie des Etats, leurs connivences ou opposition ont révélé combien la gestion d’un bien commun d’intérêt planétaire était encore largement assujettie aux intérêts particuliers. Jusqu’à présent, les Etats-Unis étaient le seul pays à placer ses intérêts nationaux au-dessus de tout compromis. Pour eux, la mondialisation ne pouvait signifier adaptation à des contraintes, mais au contraire, occasion de refaçonner le monde aux nécessités de leurs besoins. C’est au nom de ce principe que trois présidents successifs – Clinton, Bush et Obama – ont laissé sans ratification le Protocole de Kyoto, pourtant signé par leur pays. La Chine adopte aujourd’hui la même posture et, par avance, s’exonère de tout contrôle international sur le niveau de ses émissions. Copenhague a montré que le climat était devenu un caillou dans la gouvernance mondiale et que toute avancée décisive dépendrait désormais d’un accord entre la Chine et les Etats-Unis, pays à l’origine de la moitié des émissions.
Aujourd’hui, les pays du Sud n’entendent pas voir la défense de l’environnement s’opposer à leur développement, d’autant qu’ils estiment avec raison ne porter aucune responsabilité historique dans l’état de la planète. Leur ambition est de voir leur population accéder à des standards de vie décents, ce qui suppose des taux de croissance économique élevés incompatibles avec les préconisations du GIEC pour maintenir la hausse de température à moins de 2°C. La Chine a proposé de réduire son intensité carbonique de 45 % d’ici à 2020, relativement à 2005. Pendant ces quinze années, son PIB, qui double tous les sept ans, aura été multiplié par quatre, ce qui l’amènerait malgré tout, si ses engagements sont respectés, à émettre au moins deux fois plus de gaz à effet de serre en 2020 relativement à 2005. Les grands pays émergents en croissance rapide sont dans la même situation. Demander à ces pays de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre ne signifie rien d’autre que de leur proposer d’entrer en décroissance. Ce qui est politiquement informulable. Si l’on ne veut pas casser les rythmes de développement de ces pays, il faut substituer au raisonnement en terme de réduction d’émissions en pourcentage celui de modification de trajectoire et les aider à dissocier les quatre courbes croissance-énergie-carbone-émissions pour arriver à une stabilisation de ces dernières. Ce qui signifie améliorer l’intensité énergétique, réduire la part de l’énergie d’origine fossile et capter et stocker une large part des émissions. Cette politique qui n’est pas hors de portée des pays riches de l’OCDE à faible croissance (1 à 2 %) demande un effort bien plus important aux pays du Sud et particulièrement à ceux qui sont en croissance rapide, d’autant plus qu’ils accueillent souvent des délocalisations industrielles en provenance du Nord.
Bref, Copenhague a peut-être contribué à déciller les yeux de certains qui, partant de l’existence réelle de problèmes de dimension planétaire comme le climat, auraient précipitamment cru qu’une économie mondiale existerait déjà et que des normes identiques pourraient s’appliquer d’un bout à l’autre de la planète (niveau de taxe, pourcentage de réduction de GES) sans considération des spécificités nationales ou des trajectoires de développement. Il leur faudra encore apprendre à faire avec les coordinations souveraines.