Nous vous proposons la série « La bataille du Front Populaire » en partenariat avec L’Humanité.
Épisode 4 par Serge Wolikow, historien, président du Conseil scientifique de la Fondation Gabriel Péri. Ce n’est pas Léon Blum qui, en 1934, avança ce mot d’ordre de front populaire, mais Maurice Thorez, le secrétaire général du Parti communiste. D’abord un mot d’ordre, le Front populaire est également un mouvement social et une expérience gouvernementale.
Au départ, l’évolution est rapide puisque, le 27 juillet 1934, est signé un pacte d’unité d’action antifasciste entre le Parti communiste et le Parti socialiste. Trois mois avant, les deux partis restaient profondément opposés, comme ils l’avaient été depuis la scission de 1920. Pourtant, après le 12 février, dans les deux partis des forces favorables au rapprochement se font sentir, des initiatives à la base, notamment dans les comités de vigilance antifascistes, se multiplient.
Au sein du Parti socialiste, une minorité est favorable à l’action commune avec le PCF. Du côté de celui-ci, le débat prend une forme particulière puisqu’un des leaders du parti, Jacques Doriot, mène au nom de l’unité avec les socialistes une campagne contre la direction du parti et l’Internationale communiste. Celle-ci, dirigée désormais par Georges Dimitrov, appelle à Moscou les leaders du PCF pour dénouer la crise, seul Thorez s’y rend. Son arrivée coïncide avec un infléchissement de la ligne du mouvement communiste international qui met désormais en avant l’urgence de l’action commune avec les socialistes. Les dirigeants de l’Internationale avaient récusé cette démarche lorsque, après l’arrivée de Hitler au pouvoir, en 1933, les communistes français l’avaient préconisée.
Un pacte d’unité d’action
Ce retournement, qu’on ne peut isoler de la nouvelle diplomatie soviétique, marquée par un rapprochement avec la France, est très vite pris en charge par le PCF. De différentes manières, le PCF s’adresse aux socialistes dès la fin du mois de mai 1934 pour leur proposer des actions communes, notamment autour de la défense des antifascistes allemands. Une conférence nationale du parti, réunie fin juin, modifie substantiellement l’analyse du PCF sur la démocratie et sur la nation, considérées désormais comme des réalités politiques à disputer et à défendre contre la réaction fasciste. Elle se termine par un vibrant appel à l’unité d’action antifasciste. Le 27 juillet 1934, un pacte d’unité d’action est signé entre les deux partis après un mois de discussions et de négociations ponctué par de nombreux meetings qui attestent d’un véritable engouement populaire en faveur de leur rapprochement. Si le Parti communiste a renoncé à faire figurer la grève comme moyen d’action privilégié et à cesser les polémiques, le Parti socialiste accepte la formule de défense des libertés démocratiques plutôt que celle de la démocratie en tant que telle.
Les deux partis passent pour la première fois des accords de désistement à l’occasion des élections cantonales, début octobre 1934, qui voient la droite progresser mais également les deux partis de gauche. C’est à ce moment que, dans les colonnes de l’Humanité et dans les meetings, Maurice Thorez avance le mot d’ordre de « Front populaire antifasciste pour le pain, la paix et la liberté ». Si, jusqu’à présent, l’Internationale communiste a accompagné et soutenu les initiatives de front unique, il n’en va pas de même face à cette initiative qui s’adresse au Parti radical, pivot de la vie politique française mais au gouvernement avec la droite. Le projet pouvait paraître risqué eu égard au rapport de force à gauche. Il suscita les réserves de l’Internationale attestées par une démarche du communiste italien Togliatti pour dissuader Maurice Thorez de faire une déclaration publique qui officialisait le monde d’ordre, en vain. Le Parti socialiste accueillit avec réserve cette proposition surprenante, mais elle trouva un écho parmi le mouvement syndical et les comités antifascistes.
Lutter contre les ligues fascistes
Après quelques mois, la perspective des élections municipales relance la dynamique unitaire qui, grâce aux désistements mutuels entre les trois partis de gauche, se traduit par une avancée électorale et la conquête de nombreuses municipalités, en particulier dans la banlieue parisienne. Dans le prolongement de ces résultats, une délégation commune des partis de gauche à la Chambre des députés se constitue, tandis que dans tout le pays, le 14 juillet 1935 est l’occasion de grandes manifestations communes. Sous la bannière du Rassemblement populaire, les manifestants prêtent le serment de lutter contre les ligues fascistes et de défendre la République. Ces démonstrations monstres, auxquelles se sont associés les syndicats et de nombreuses associations, scellent une alliance qui va se traduire, quelques mois plus tard, par l’élaboration d’un programme commun électoral en vue des élections législatives d’avril-mai 1936.
Serge Wolikow, 1936. Le monde du Front populaire, le Cherche-Midi, 2016.
Serge Wolikow, «27 juillet 1934: du front unique au Front populaire, un long processus», L’Humanité, 19/06/2024