Skip to main content
Bibliothèque

Mondialisation : des bienfaits à l’alibi

par

Depuis une vingtaine d’années les bienfaits de la mondialisation ont été vantés par les dirigeants des principaux pays, et ont constitué, avec les « nécessaires mesures d’adaptation », l’essentiel des compromis politiques qui se sont noués en faveur d’alternances où l’opposition faisait la politique de la majorité d’hier. Ce discours et cette pratique furent largement partagés. Partout, élites, notables et responsables de la planète contribuèrent à propager cette nouvelle idéologie qui sous couvert de libéralisme visait à instaurer les pires régressions sociales. De temps à autres, les protestations se transformaient en émeutes, des crises financières paniquaient les marchés. Pendant ce temps les chômeurs-FMI progressaient partout.

Des louanges qui ne masquent pas le recul social

Décennie après décennie le miracle promis se transformait en catastrophe mondiale. Dans un récent ouvrage, The Future of Capitalism, Lester Thurow signale que dans les années 60 le taux de croissance annuel de l’économie mondiale fut de 5%, puis de 3,6% dans les années 70, de 2,8% dans les années 80 et constate un taux de 2% sur la première moitié de la décennie 90. Ainsi, en deux décennies le capitalisme a perdu 60% de son élan. Et encore s’agit-il d’une moyenne, les pays les plus touchés se situant principalement dans la zone OCDE.

Les dégâts de cette politique sont connus : reculs de la démocratie, inégalités accrues, pertes de souveraineté, destructions de systèmes productifs et de cohésions sociales, abandons de valeurs républicaines et citoyennes, soumission à une « contrainte extérieure » dont les intérêts resteront rarement précisés.

Le rêve s’est écroulé ! L’économie mondiale tant attendue n’est pas venue au rendez-vous et les bienfaits espérés ont tardé à se manifester. Même à Davos, à l’occasion de leurs rituels Forum, les responsables de la planète ont admis l’échec de la mondialisation à répandre le progrès et l’opulence, et ont commencé à s’inquiéter ouvertement de la prise de conscience de ce fait par des opinions publiques qui refusent de plus en plus la logique d’une économie mondialisée assise sur l’austérité, la compétitivité sauvage et le chômage massif.

Le mouvement social de novembre et décembre en France était passé par là. Et s’il était encore nécessaire de lui donner du sens, les salariés allemands qui défilèrent peu après par centaines de milliers dans les rues en brandissant des drapeaux français s’en chargèrent à leur tour.

L’alibi de la mondialisation pour justifier les abandons

Après les louanges, puis l’inquiétude, l’excuse et l’alibi furent proposés. En effet, rares sont ceux qui se risquent encore à vanter les mérites de la mondialisation, mais nombreux s’y réfèrent pour justifier renoncements, abandons, sacrifices ou inaction. Ainsi, le piège refermé, on s’abstient de remettre en cause ses logiques constitutives, pour se contenter d’en pointer les contraintes quitte à les surestimer.

Pourtant, la mondialisation est loin d’être achevée voire d’être irrésistible. Seuls deux secteurs ont été jusqu’ici profondément touchés : la communication et la finance. Et, dans ces deux cas, le processus n’a pu prendre corps qu’en s’appuyant sur l’innovation technologique majeure constituée par l’informatique et l’existence de réseaux de taille planétaire. Certes, des acteurs nouveaux ont émergé dans l’économie mondiale, notamment les firmes transnationales et les marchés financiers, adoptant d’emblée une stratégie globale. Mais pour le reste, contrairement à des idées reçues, jamais les flux migratoires n’ont été aussi faibles, bien plus faibles que les déplacements massifs de populations de la fin du 19ème et du début du 20ème siècles. De même, le taux d’ouverture à l’économie mondiale n’est pas supérieur à celui qui prévalait à la veille de … la Première Guerre mondiale. C’est seulement 15% de la production des pays de l’OCDE qui est exportée, c’est dire que la production alimente pour 85% la consommation intérieures, malgré les efforts partout affichés de guerre commerciale. Et encore faut-il prendre en compte qu’environ la moitié du commerce mondial recensé est en réalité un commerce intra-firmes transnationales sans véritable changement de patrimoine et non pas un commerce entre Nations. Géographiquement, la mondialisation concerne pour l’essentiel trois pôles de l’économie mondiale (on parle de triadisation) auxquels on peut ajouter les fameux pays émergents, surtout asiatiques, ceux qui ont soudainement intéressés les capitaux internationaux au prix que l’on sait. C’est dire qu’elle laisse de côté des pays-continents entiers comme la Russie, l’Inde, la Chine, la quasi-totalité de l’Afrique et donc plusieurs milliards d’hommes.

Dans ces conditions, faire de la mondialisation un monstre en surestimant à l’excès ses contraintes, après l’avoir tant louangée, n’est-ce pas prendre le parti de s’interdire toute recherche de politiques qui en contrarieraient les effets, en situant « à l’extérieur » les difficultés devant la crise ?

Car, peut-on séparer, dans ce domaine, l’intérieur de l’extérieur ? D’une certaine façon, on a la mondialisation que l’on mérite, c’est à dire celle que l’on a laissée se mettre en place à coups de délocalisations, de dérégulations successives, de primat du marché, celle qui s’est construite sur la base de la logique interne des forces structurant le système productif interne. Dès lors, ce qu’on invoque comme « contrainte externe » n’est que le retour d’un phénomène interne. Le moment où l’absence de tout contrôle et de régulation a tellement affaibli le système productif qu’il ne lui reste plus qu’à se soumettre à ce qu’il a créé.

Faire face à la mondialisation

Faire face à la mondialisation c’est d’abord changer de logique interne pour ne plus créer ce type de mondialisation. Aux sein des nations constituées les résistances sont fortes et constituent autant de « contraintes internes » sociales, économiques et culturelles qui oeuvrent à ce refus. Finalement ce sont deux « contraintes internes » qui s’opposent, l’une n’osant s’avouer comme telle et se dissimulant derrière la « contrainte externe » de la mondialisation supposée plus rationnelle. On invoque la mondialisation et ses « contraintes » pour mettre en place un peu partout des politiques d’ajustement dont la fonction consiste pour l’essentiel à ajuster l’interne à l’externe, c’est à dire à favoriser à l’intérieur du pays les intérêts de ceux qui sont liés à l’extérieur et profitent le plus pleinement du mode de fonctionnement d’une économie mondialisée selon des principes néo-libéraux. Au nom de la mondialisation, on avantage les élites « modernes » et « compétitives » au détriment bien souvent de la majeure partie de la population.

On doit distinguer dans le processus ce qui est inhérent à la formation d’un capitalisme mondial et donc largement inévitable, de ce qui relève de la politique économique, largement révisable au gré des équipes politiques au pouvoir. Il est ainsi possible d’établir une distinction entre mondialisation et libéralisation qui ouvre la perspective d’une mondialisation non libérale.

Proposer une mondialisation alternative, c’est avant tout prendre les mesures nécessaires pour maîtriser le maillon essentiel, l’articulation du national au mondial. C’est faire jouer à l’Etat tout son rôle et toute sa responsabilité dans la fonction essentielle de protection des populations contre les pires ravages des marchés. La montée de la mondialisation a ainsi rouvert le débat moins sur l’affaiblissement de l’Etat que sur ses nouvelles obligations pour assurer tout à la fois la défense de la nation et de ses habitants. C’est demander aux Etats de récupérer, face au désordre international, leur capacité d’affronter la puissance des firmes transnationales et des marchés financiers. C’est leur demander de faire l’inverse de ce qu’ils ont fait depuis vingt ans.

C’est dire combien résistance à la mondialisation et changement social sont indissociables.