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Le Livre blanc sur la défense : cap sur l’atlantisme

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Le 17 juin 2008, porte de Versailles à Paris, Nicolas Sarkozy a présenté devant un parterre de 3000 militaires et policiers le futur Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Un exercice, d’autant plus aisé pour lui que la commission qui avait planché sur le dossier fut composée par ses soins et ne pouvait prétendre qu’à une réflexion sur des options stratégiques prédéterminées. Ce show médiatique face à une assistance triée sur le volet et par principe figée au garde à vous ne pouvait cependant ignorer la morosité existante au sein des armées. Ainsi nombre de militaires de haut rang présents auraient préféré être plus étroitement associés à l’élaboration du document, qu’être invités à la fin du spectacle par le chef de l’Etat à chanter « la Marseillaise ». L’annonce d’une réduction drastique des effectifs de l’armée française de 54 000 postes en six ou sept ans ( -16 % ), la remise en cause d’équipements jusque lors estimés modernes tel le char Leclerc, l’allongement des délais frappant les grands programmes militaires (frégates Fremm, avions Rafales, missiles Scalp etc.), la décision retardée concernant le deuxième porte avions, la nouvelle carte militaire en France effaçant une cinquantaine d’établissements suscitant hostilité tant au sein des troupes que dans les villes affectées, véritable cure d’amaigrissement, baptisée dans « Valeurs actuelles » de « séisme dans les armées » n’incitait guère les militaires présents au sourire. D’autant que perçait l’objectif central de l’opération, préparer les Français au retour programmé de la France dans la structure militaire intégrée de l’OTAN. Bien évidemment le « devoir de réserve » interdisait à l’assistance toutes observations ou contestations lors d’un débat qu’on se garda bien d’ouvrir. Ce ne fut qu’après que le groupe « Surcouf » composé d’officiers généraux et supérieurs anonymes des trois armées a rendu publique une déclaration estimant le Livre blanc comme « une espérance déçue ». Le constat auquel se livre le groupe « Surcouf » est intéressant à plus d’un titre. Il ne se limite pas à une irritation face aux coupes annoncées, il s’interroge sur la voie suivie et reflète le souhait d’autres ambitions pour une défense nationale crédible. Un souhait qui ne concerne pas seulement les militaires mais tous les Français. La défense d’un pays est une question majeure, d’autant qu’elle s’inscrit comme le deuxième budget de la nation.

Nul doute que le précédent Livre blanc adopté en 1994 qui était déjà en décalage à l’époque avec les bouleversements intervenus à la charnière des années 89-90 ne correspondait plus aux réalités du monde présent. Reste à savoir si la nouvelle mouture prétendant engager la France pour la décennie à venir, voir au-delà, y correspond. Au regard des textes livrés il est permis d’en douter et l’ambition formulée par le ministre de la défense Hervé Morin de « prendre une défense d’avance » apparaît pour le moins surréaliste.

Une vision occidentalisée de l’ordre du monde

En premier lieu la grille de lecture du monde contemporain, de ses enjeux, de ses défis, sur laquelle s’appuie le document est non seulement étroite, discutable, mais aussi partisane dans une vision très occidentale des valeurs à promouvoir. Sans doute le Livre blanc souligne-t-il les changements intervenus sous l’effet de la mondialisation, les transformations induites sur l’environnement économique, social, politique, mais pour y décerner d’emblée de nouveaux risques, de nouvelles menaces, créant une vulnérabilité accrue pour l’Occident dont il convient de se prémunir par des moyens militaires adaptés. Ainsi la grille de lecture retenue ne prend pas véritablement en compte la transformation du système des relations internationales dans toutes ses composantes et se polarise sur une vision de l’ordre mondial définie par les seuls critères occidentaux. On trouve à ce sujet nombre d’analogies avec les documents de l’OTAN et ceux des stratèges américains. En dernière analyse la sécurité internationale découlerait de la supériorité des armes, de l’efficacité des systèmes militaires de protection et de l’unité du camp occidental. Cette analyse du Livre blanc n’est pas inédite, car en début d’année, lors de ses vœux au corps diplomatique Nicolas Sarkozy avait déjà annoncé sa volonté de situer la France dans sa « famille occidentale ». Depuis, dans ce sens, des objectifs stratégiques ont été concrétisés par l’installation ou le renforcement des forces armées françaises dans les zones de guerre américaines, comme en Afghanistan. Mais le Livre blanc va délibérément plus loin dans la volonté d’engager la France dans une politique de puissance comme contribution à une réponse occidentale, atlantiste, sécuritaire et militaire, aux crises du monde aujourd’hui. Ainsi considérant que le catalogue des menaces a changé, tout en soulignant l’attachement indéfectible à la dissuasion nucléaire, considérée dans une gamme d’options plus diversifiées, comme un fondement essentiel de la stratégie nationale, la mission de projection, tout comme les alliances occidentales apparaissent naturellement. Bien que conservant une capacité militaire sur les façades occidentales et orientales du continent africain, le Livre blanc préconise leur concentration sur un axe géographique prioritaire, allant de l’Atlantique jusqu’à la Méditerranée, au golfe Arabo-Persique et à l’océan Indien. Ainsi conçue est mis en exergue la capacité de projeter 30 000 hommes en six mois sur un arc de crise allant de la Mauritanie à l’Afghanistan, déployés nécessairement dans le cadre de l’OTAN ou en coalition. Dans le même esprit, Nicolas Sarkozy évoque une indispensable ambition européenne à devenir un acteur majeur de la gestion des crises et de la sécurité internationale, et qui pour cela doit se doter des capacités militaires et civiles correspondantes. Selon lui un Livre blanc européen de la défense et de la sécurité pourrait traduire cette ambition. A cet égard, tout en observant un silence révélateur sur toute notion d’autonomie, il souligne la complémentarité entre l’Union européenne et l’OTAN et annonce déjà comme une contribution à la rénovation de l’Alliance atlantique projetée pour le Sommet qui aura lieu à Strasbourg-Kehl en 2009, la pleine participation de la France aux structures militaires intégrées de l’OTAN, en soulignant que ce retour incitera l’Organisation « à faire plus de place à l’Europe ». Illusions ou réalisme à l’égard des autres pays partenaires au sein de l’Union ?

Ainsi tant dans l’analyse du contexte géopolitique mondial, dans la stratégie qui en résulte et le modèle de défense retenu le Livre blanc traduit un alignement pur et simple, via l’OTAN, sur les Etats-Unis.

Une autre orientation est-elle encore possible ?

A première vue, la messe semble dite, le Livre blanc est ficelé, rendu public et déclaré opérationnel. Pour autant on sait qu’il est contesté. Ce qui n’a rien d’étonnant au regard de la procédure d’élaboration. Les axes ont été retenus sans même être approuvés par le Parlement auquel il sera pourtant demandé de voter les applications. C’est un déni de démocratie car la souveraineté populaire est un élément fondamental de la défense nationale. Le choix d’une politique de défense ne peut demeurer le fait du prince car il s’agit de maîtriser l’avenir du pays dans le contexte mondial. Ce choix dans la transparence doit faire l’objet d’une consultation du Parlement et des principales forces politiques du pays. La consultation doit être réouverte et pourquoi ne pas lancer un processus d’Etats généraux permettant d’associer largement dans le pays les forces vives, les acteurs sociaux, le monde de la jeunesse ? Il convient sans doute de faire monter la pression en ce sens, en suggérant dans le débat des alternatives aux options actuellement retenues, qui inscrivent la France dans des politiques de force et de domination avec prédominance des moyens armés accentuée par le lien étroit avec l’OTAN. Ainsi, la France ne devrait-elle pas, plus que jamais, défendre des valeurs universelles, penser le futur, préparer les décennies à venir par une stratégie adaptée, prendre toute sa place sur la scène internationale pour la refondation de la construction européenne, pour la transformation et la démocratisation des institutions internationales, pour peser dans la voie d’une régulation progressiste des relations économiques internationales, pour le développement et une coopération dans l’égalité avec le sud, pour un règlement politique des conflits, pour une diplomatie de la prévention et du multilatéralisme, pour une sécurité collective et démilitarisée, pour le désarmement. Ce sont là quelques axes de réflexion à débattre sur la base desquels une autre conception de la défense et de la sécurité pourrait être établie.